10 octobre 2023

Temps de lecture : 6 min

« Nous serons tous demain des égéries de luxe », Stéphane Galienni (BLSTK.ART)

Stéphane Galienni, co-fondateur et directeur de création de BLSTK.ART s’est imaginé un clone numérique IA baptisé « Incognito Influencer » qui s’est introduit dans les Fashion Weeks de New York, Londres, Milan et Paris. Une démarche expérimentale qui soulève de nombreuses questions. Et si nous entrions dans une nouvelle ère dinfluence dominée par une génération d’influenceurs IA virtuels, plus vrais que nature ?

INfluencia : vous avez imaginé un clone numérique, un « Incognito Influencer » afin de vous incruster numériquement au premier rang des défilés ou sur les podiums des Fashion Weeks, sans invitation VIP. Qu’est-ce qui vous en a donné l’idée ?

Stéphane Galienni : chaque année, lors de la rentrée, nous décryptons les dernières tendances de mode observées sur les podiums et leurs évènements environnants et analysons les stratégies des marques sur ces temps forts, car nous délivrons fin octobre un « digest report #SS24 » pour nos clients. Mais tout cela se passe derrière nos écrans, depuis l’agence basée à Paris. L’idée de départ était donc de créer un influenceur imaginaire qui s’incrusterait « numériquement » au premier rang des Fashion Weeks de New York, Londres, Milan et Paris : une nouvelle façon de décrypter les tendances #SS24, de démontrer notre capacité à faire du storytelling digital, de délivrer du contenu IA au rythme soutenu des défilés et ce, dans le tempo exigé des réseaux sociaux.

IN. : et quel but vouliez-vous atteindre ?

S.G. : notre premier objectif était de faire-valoir notre savoir-faire IA auprès de notre réseau professionnel (clients, prospects, partenaires, médias) sur un temps très court de quatre semaines, mais dans un contexte important de la rentrée mode et autour d’un nouveau phénomène qui préoccupe les industries créatives : l’intelligence artificielle.

Le second objectif était d’émerger rapidement et sans investissement média face aux grandes agences de création qui se positionnent clairement sur de nouvelles offres IA, par effet d’annonce, mais souvent sans références. « Incognito Influencer Project » n’est pas une campagne de communication pour notre agence BLSTK.ART mais une démonstration de notre expertise IA en tant qu’agence et bureau de tendances.

Le troisième objectif est de recueillir des insights « panel » avec ce projet embryonnaire en analysant la réaction des audiences engagées, c’est-à-dire 150.000 impressions, 1.500 likes, et plus de 350 commentaires reçus, qui ont été largement positives sur ces quatre semaines, m’encourageant à poursuivre ce projet pour 78% d’entre elles (sondage LinkedIn et Instagram, post Fashion Weeks).

IM : quelles réactions des marques de luxe avez-vous eues ?

S.G. :« Incognito Influencer Project » a suscité la curiosité de plusieurs responsables de marque dans les univers mode et beauté principalement, avec qui j’ai pu échanger en France mais aussi aux États-Unis. Je ne peux pas en dire plus pour l’instant, incognito oblige. Nous venons de réaliser notre première couverture IA pour The Creative Peak Magazine édité par Traveller Made / Serandipians, que nous avons révélée à la presse au Royal Monceau durant la Paris Fashion Week. Nous avons aussi un programme d’acculturation et de formation IA qui intéresse les entreprises et les agences, notamment sur le plan créatif, avec plusieurs sessions prévues en octobre et en novembre. Les retours d’expérience de « Incognito Influencer » seront le fil conducteur de ces formations.

Caryn Marjorie (US) – avec presque 2 millions d’abonnés sur Snapchat – propose de facturer $1 la minute pour échanger avec son clone

IN. : nous rentrons dans une nouvelle ère d’influence dominée par une génération d’influenceurs IA virtuels plus vrais que nature : ce qui veut dire que demain nous serons tous des égéries de marques de luxe ?

SG. : « Incognito Influencer Project » soulève cette question : si je peux créer mon clone numérique sans réels moyens financiers ou humains, alors, oui, n’importe qui peut le faire et nous serons tous demain des égéries  de luxe. L’invasion des influenceurs IA a déjà commencé. Pour l’étude « Luxe Intelligenc.ia » éditée par notre bureau BLSTK.ART, nous avons identifié et analysé une trentaine de cas d’école aux États-Unis, en Europe et en Asie. En France, nous avons notre Marianne IA, @annekerdi qui est l’ambassadrice virtuelle d’une des plus belles régions de France, la Bretagne. De façon générale, ces incarnations sont des jeunes femmes glamour, belles et sexy qui attirent des centaines de milliers de followers en six mois à peine. Caryn Marjorie (US) – avec presque 2 millions d’abonnés sur Snapchat – propose de facturer $1 la minute pour échanger avec son clone piloté par l’intelligence artificielle, Caryn.AI. Une sorte de minitel rose qui lui aurait rapporté 100.000 dollars dès la première semaine, selon ses dires. Cela n’est pas sans rappeler le film « Her » de Spike Jonze : de la fiction, à la réalité ?

En Chine, des influenceurs créent leurs clones numériques IA pour vendre des produits 24/24 sur les grandes plateformes de e-commerce live-shopping telles que Taobao, Douyin (l’équivalent chinois de TikTok) ou Kuaishou. Milla Sofia, une jeune femme IA finlandaise de 19 ans, n’a pas froid aux yeux : décolleté généreux, collections de bikinis, la recette fonctionne. Avec plus de 90K abonnés sur Instagram, 122K abonnés sur TikTok et 22K abonnés sur X, ce personnage fictif n’existe que depuis mars 2023, de quoi faire pâlir les Insta-girls qui bataillent depuis des années pour atteindre une telle audience. Alors fatalement, un homme de 48 ans, anti-héros de mode, qui prend le contre-pied de cette tendance hypersexuée que l’on voit émerger aux quatre coins du globe, a de quoi surprendre.

Les influenceurs en « chair et en os » vont devoir montrer d’autres facettes d’eux-mêmes, éviter la superficialité qu’on leur prête parfois

IN. : est-ce la mort des influenceurs classiques ?

S.G. : non, je ne pense pas. Mais les influenceurs en « chair et en os » vont devoir montrer d’autres facettes d’eux-mêmes, éviter la superficialité qu’on leur prête parfois. Ils vont devoir faire face à cette concurrence déloyale IA qui va produire du contenu à vitesse grand V avec des incarnations en « beauté artificielle » imbattables. Les influenceurs classiques offrant un supplément d’âme plus authentique et humain doivent mettre en scène dans leurs vies de tous les jours. Ils ont un look, une personnalité unique, parfois une expertise forte en matière de style, de conseils beauté ou bien être.

Ce n’est donc pas (uniquement) leur physique qui joue en leur faveur, mais aussi leur valeur ajoutée auprès de leurs communautés. Comme jadis, on enviait la star du lycée, ce qui fait le succès des véritables influenceurs. Ce qui fait la différence, c’est le sentiment de proximité avec une idole qui apparaît sur nos écrans mais que l’on pourrait également rencontrer dans la vie quotidienne, que ce soit dans la rue ou lors d’événements, comme au Café de l’influence qui se déroule cette semaine à Paris, par exemple. L’influenceur IA reste cantonné dans son monde virtuel. Ce n’est pourtant pas le cas de mon double numérique « Incognito Influencer » puisque je prends le relai dans la vraie vie ;-). En revanche, les influenceurs virtuels première génération 3D/CGI tels que Lil Miquela ou Noonoori vont peut-être, à terme, devenir obsolètes face à ces nouveaux clones numériques. Qui vivra verra…

C’est le rôle des plateformes de contenus telles que Instagram, TikTok ou LinkedIn de jouer les garde-fous

IN. : l’influence aujourd’hui commence à être régulée, si demain l’influence virtuelle prend le pas, qu’en sera-t-il ?

S.G. : c’est une question fondamentale. Difficile déjà d’identifier l’origine géographique de ces nouveaux clones IA, côté back office. Ce ne sont que des logiciels et/ou de la création de contenus générés par des nouveaux outils accessibles à tous. De plus, la facturation des services proposée aux marques passera aussi par des services de paiement en ligne ou des cryptomonnaies, difficilement traçables. A mon humble avis, c’est le rôle des plateformes de contenus telles que Instagram, TikTok ou LinkedIn de jouer les garde-fous. La difficulté étant de déceler l’influenceur en « chair et en os » de l’influenceur IA qui est un vrai trompe-l’œil numérique. Pour l’instant, tous les comptes IA que nous avons identifiés indiquent dans leur bio qu’il s’agit bien d’une création numérique, même si l’on remarque dans les commentaires que certains abonnés pensent avoir affaire à une vraie personne. Le véritable fléau à venir sont les applications « deep fake » qui usurpent l’identité d’une célébrité ou d’un chef d’État : et pourquoi pas demain celui de votre patron ou de votre ex-mari mis en scène dans des situations compromettantes ? Même après vérification juridique d’un « faux » ou démenti de la victime ciblée, le mal sera fait.

IN. : votre objectif est-il de devenir un influenceur ?

S.G. : un influenceur peut agir dans l’ombre (par exemple, un conseiller politique ou un lobbyiste) ou dans la lumière des projecteurs, d’où l’idée clair-obscur de ce personnage « Incognito Influencer » qui est avant tout un projet créatif.

Je n’ai pas l’habitude de publier des selfies, mais avec mon clone numérique c’est différent. Il s’agit de la mise en scène d’un personnage imaginaire qui me permet de raconter des histoires décalées, une autofiction où l’auteur, le narrateur et le protagoniste se confondent.

Après cette première phase de lancement, je souhaite mettre la lumière sur des jeunes entrepreneurs, artistes ou auteurs français de mon réseau dans des publications « non sponsorisées », des collabs win-win, sans contrepartie financière. Je cherche à utiliser ce personnage pour promouvoir le savoir-faire de notre agence mais aussi celui de la « French tech », de la « French touch » et du « French savoir-vivre ». Je souhaite davantage être modestement l’ambassadeur de toutes ces jeunes entreprises qui n’ont pas de visibilité, comme moi, plutôt que de prendre le thé au Ritz Paris. Bien que mon personnage infiltré dans le monde du luxe ne se l’interdira pas, mais toujours en mode incognito…

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