3 janvier 2021

Temps de lecture : 10 min

Et si nous inventions de nouvelles façons de travailler ?*

« Nous les humains possédons beaucoup d’informations fiables sur nous-mêmes, mais nous ne nous en servons pas pour améliorer nos institutions et donc notre vie… »1 La période de confinement a pourtant été l’occasion pour chacun de se réévaluer : s’organiser chez soi avec la seule injonction de remplir sa fonction… Autrement : qu’importait la méthode, il fallait démontrer son efficacité aussi bien à ses pairs qu’à sa hiérarchie. Les intelligences individuelles ont ainsi prouvé sans se consulter qu’elles pouvaient recréer l’intelligence (et la productivité) du collectif. Belle idée qui est à creuser, et à ébaucher le filon de nouvelles manières de travailler, de nouvelles WoW, Ways of Working !

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Comment améliorer le travail et le bien-être des travailleurs du futur, tous à la recherche de plus de sens dans leurs missions et une meilleure reconnaissance, quel que soit leur statut (salarié, slasher, free-lance, col blanc, col bleu) ? Comment éviter un désinvestissement croissant à l’égard du monde de l’entreprise ? Quelles sont les tendances observées qui pourraient se voir amplifier dans le futur de la relation au travail ? Comment, enfin, intégrer les attentes de cette Gen Z (née en 1995, ayant la volonté de construire son propre parcours en cohérence avec ses valeurs, très entrepreneuse et collaborative, avec un tiers d’entre eux souhaitant cumuler trois types de travail…) et les enseignements de la Covid-19, deux accélérateurs durables de métamorphose de la relation au travail ? Ces enjeux, que nous avons appelés WoW (Ways of Working), sont l’objet de cet article.

L’économie moderne fonctionne comme la sélection naturelle chez Darwin

Rappel à toutes fins utiles : les conditions de travail sont en interdépendance avec l’activité économique, sociale et culturelle d’une période donnée. Lorsque le capitalisme connaît une phase de transformation (progrès technique, nouvelles habitudes des consommateurs, etc.), le travail se transforme adéquatement. L’économie moderne fonctionne comme la sélection naturelle chez Darwin : seules les entreprises qui parviennent à s’adapter à l’évolution du capitalisme, et a fortiori aux mutations du travail, peuvent survivre. Or, nous entrons dans la quatrième révolution industrielle, celle de la donnée et du numérique (20% est la part moyenne des digital natives en entreprise en France, lesquels vont accélérer fortement la mutation vers le digital). À cette révolution s’ajoute un glissement du capitalisme « actionnarial » vers un capitalisme « responsable ». Nous avons identifié (à date) 12 WoW qui sont autant d’opportunités à mettre concrètement et collectivement en place, sans avoir recours à quelque force herculéenne…

WoW #1 : Manager par la raison d’en être

Toute organisation, quelle que soit sa taille, a besoin de process et d’organisation pour être efficace. Mais ce qui comptera encore plus demain, pour développer durablement et sereinement une entreprise « responsable et en responsabilité », pour recruter, mobiliser et fidéliser, ce sera un pilotage par une raison d’être, définie et cooptée collectivement. Laquelle sera incarnée dans des marqueurs et des rituels internes forts et spécifiques. Pas une raison d’être alibi de communication, vague discours sur la responsabilité sociale et environnementale (RSE) ou simple changement de statut de l’entreprise, mais une « raison d’en être » élaborée autour de valeurs communes et d’un projet d’entreprise motivant, suffisamment mobilisateur pour que les salariés en soient fiers. Et s’y engagent. On mesure d’autant plus l’importance du shift du « métier » vers la « raison d’être » lorsque l’on apprend que trois quarts des jeunes talents estiment que la RSE d’une entreprise est un critère important dans le choix de leur poste. Exemple : chez Air France, un siège rouge présent à la salle du Comex incarne l’importance de la qualité d’expérience dédiée au client, qui fait la différence de la compagnie aérienne. Et la Fondation Air France – à l’instar des Danone Communities – est très impliquée localement dans ses pays destinations.

WoW #2 : Apporter de la chaleur ajoutée

La philosophe du travail Julia de Funès résume le problème des entreprises : « Les entreprises sont tombées dans une idéologie procédurale malsaine : il faut exécuter plus qu’entreprendre, s’agiter plus qu’agir, suivre des procédures plus que s’autonomiser. » À l’heure où la distanciation s’est, un temps, érigée comme une norme, la valorisation de l’humain dans l’entreprise revient sur le devant de la scène. Le déconfinement et la prospective du travail ne doivent alors pas être seulement voués au business as usual, mais appeler un changement de regard radical du management par la considération en particulier des oubliés traditionnels de l’entreprise (personnels soignants, chauffeurs routiers, personnels en caisse, techniciens sur machines…). Et plus largement, demain, le culte de la valeur ajoutée ne fera sens que s’il repose sur une véritable culture de la « chaleur ajoutée ». Autrement dit, sur une responsabilisation et une écoute de tous ces agents actifs qui peuvent capter la satisfaction client comme la qualité de production et de service. For good? Oui, si les directions des ressources humaines (DRH) de demain ont à cœur de pérenniser la remise en question salutaire générée lors de la pandémie afin que le pouvoir libératoire de l’humain l’emporte sur la mécanique codifiée de la fonction ressource. Sinon, dans ce contexte de « résilience surveillée », il y a grand risque de résistance en interne… Comme le dit très justement Peter Drucker : « Culture eats strategy for breakfast. »

WoW #3 : Voir l’organisation ubique et liquide

En latin, ubique signifie « partout simultanément ». Ce qui était hier le privilège des dieux est devenu celui des actifs, toujours contributifs, qu’ils soient présents ou pas sur leur lieu de travail. Cette capacité ubique pourra amorcer une mutation démographique depuis les grands centres urbains vers les villes moyennes, voire la ruralité. Principales motivations invoquées par ceux qui la désirent : les rythmes de vie trop stressants en ville, la pollution, le coût de l’immobilier, le temps passé dans les transports… Une étude de L’ADEME en 2015 avançait déjà que le télétravail pouvait permettre « de réduire d’environ 30% les impacts environnementaux associés aux trajets domicile-bureau ». Liquide plutôt que solide : longtemps, l’organisation a été pensée comme un jardin à la française : pyramides stables ou inversées, sablier, cylindre pour les silos. Le vivre-ensemble ne pouvait alors s’incarner que dans des formes solides qui, du haut de leur symbolique normée et rationnelle, figeaient tout modèle collaboratif. À cet idéal platonicien occidental à bout de souffle doit succéder une vision plus liquide, qui permette de reconsidérer l’humain dans la fluidité et la circulation des énergies plutôt que dans l’imposition de structures rigides. 57% des jeunes salariés considèrent d’ailleurs l’autonomie comme un facteur prépondérant pour demeurer à leur poste**.

WoW #4 : Imaginer pour espace de travail un hôtel

En 2035, au moins un milliard de personnes seront en télétravail. Comment repenser alors vos locaux, pour donner envie d’y venir ? Reportez-vous à la très opportune campagne de Pierre & Vacances « Venez télétravailler chez nous » de juillet 2020. Et aux récents propos de Jacques Attali, pour qui un pays, pour survivre, devrait se comporter comme un hôtel, dont les citoyens sont les employés et qui fait de son mieux pour faire connaître au monde sa culture, son identité, et pour bien recevoir ceux qui viennent y investir ou y apporter leurs compétences. On devra peut-être bientôt dire la même chose des entreprises : le télétravail imposé par la pandémie a bouleversé leur mode d’organisation. Selon les pays, de 20% à 50% des salariés (employés, cadres, chercheurs, professeurs, médecins…) et de nombreux indépendants ont travaillé de chez eux à temps plein. Ils y ont trouvé bien des avantages : une meilleure vie de famille, plus de confort, moins de perte de temps dans les transports et dans d’interminables réunions. Les entreprises y ont aussi gagné, avec des employés à disposition sur des amplitudes horaires beaucoup plus étendues. Au total, une productivité souvent plus élevée. A contrario, celles dans lesquelles le télétravail sera trop généralisé, à tous les niveaux de la hiérarchie, mourront de ne pas avoir été capables de maintenir un projet commun et un sens commun de ce qui est à défendre. Solution : les restaurants d’entreprise, les salles de réunion, les lieux de travail devront ressembler à ceux qu’on trouve dans les hôtels les plus conviviaux. Car l’environnement de travail restera un puissant atout en termes de motivation, satisfaction et productivité des collaborateurs.

WoW #5 : Penser « Swarm of angels »

Si l’espace de travail demain est obsolète, imaginez l’espace-temps, déjà quasi enterré pour bon nombre de salariés aujourd’hui. Et cette tendance s’est amplifiée lors du confinement. Ici, il n’est pas question (pour l’instant) des postes de production, des métiers d’aide à la personne ou de services techniques qui demeureront essentiels. Pour quasiment toutes les autres activités, le critère espace-temps pourrait être remplacé par des critères mesurables de type : livrables concrets atteints, création de valeur collective effective (lien, travail en groupe, réflexion et production autour de l’intelligence collective…). Bref, pour éviter les mercenaires egocentrés qui vont pulluler à l’avenir, favoriser le collectif distanciel. Les abeilles pourraient constituer un bon modèle…

WoW #6 : Pratiquer une gymnastique quotidienne

Pour être enthousiasmant, le travail demain devra être de l’innovation permanente. Pas juste quand on a le temps, l’argent, les gens et que tout va bien… Non, tout le temps. Après tout, « entreprendre » c’est bien une question de prise d’initiatives (chez Tilt ideas, nous parlons de Q.I., « qualité d’initiative »). Pour ce faire, rien de tel que l’imagination collective, facilitée et pratiquée au quotidien, telle une gymnastique à la japonaise. Si les temps devant nous s’annoncent tempétueux, il faudra d’autant plus tendre vers l’innovation qui réveille et provoque… utilement. « La mécanique des idées est un mystère… » nous souffle le designer Ronan Bouroullec. Pour que le travail soit wow!, cultivez ce mystère comme une stimulante gymnastique qui fait avancer votre entreprise et dote vos collaborateurs des moyens d’inventer eux-mêmes un futur souhaitable.***

WoW #7 : S’ouvrir un max

Pour un travail non seulement collaboratif, mais partenarial. Exemple : hors du système académique traditionnel ou des organisations fermées, des communautés non institutionnelles verront de plus en plus le jour ; hackers, bio-hackers ou encore makers s’auto-organiseront en ligne et participeront à l’effort collectif de production de connaissance. C’est ce terreau fertile qui a notamment permis une réaction sans précédent à la crise du Covid-19. Des initiatives populaires réunissant des acteurs variés ont émergé hors des cadres institutionnels, utilisant des plateformes en ligne. Une communauté de biologistes, d’ingénieurs et de développeurs a émergé sur la plateforme de collaboration Just One Giant Lab (JOGL) afin de développer des outils à bas coût et en open source contre le virus. En seulement un mois, ce furent plus de 60000 visiteurs venant de 183 pays, dont 3000 contributeurs actifs générant plus de 90 projets allant de designs de masques de protection à des prototypes de ventilateurs. Ce mode de travail illustre la thèse de chercheurs qui ont démontré l’existence d’un « facteur C » d’intelligence collective, prédictif de la performance de groupe aux diverses tâches : pour qu’un groupe maximise son intelligence collective, nul besoin d’y regrouper des gens avec un fort quotient intellectuel. Ce qui compte, c’est la sensibilité sociale des membres, c’est-à-dire leur capacité à interagir efficacement, leur capacité à prendre la parole de manière équitable lors des discussions, ou encore la diversité des membres, notamment la proportion des femmes au sein d’un groupe.

WoW # 8 : Travailler « à la demande »

Des entreprises telles que Welljob (une des mille PME les plus dynamiques d’Europe d’après le Financial Times) avec ses bornes interactives façon Minority Report, récupérant les CV des demandeurs, et placées dans des HucLink, lieux de passage, facilitent cette façon de proposer les jobs. Dans le même registre, voir les Satis TT, Pay Job, Mistertemp’ group, Adéquat, Manwork et autres Proman… Le portage salarial devrait connaître aussi de beaux jours avec des entreprises obligées d’adapter en permanence leurs équipes. Des acteurs tels que Didaxis, OpenWork/Le Monde Après ou La Manufacture (incubateur de start-up) et Hiworkers, plateforme de services pour travailleurs indépendants, se positionnent sur ce créneau d’avenir.

Wow #9 : Inventer !

Brand ambassadors, animateurs de communautés, designers d’expériences client, acculturateurs à l’ADN de l’entreprise, data analysts, auditeurs vert, coordinateurs de soins à domicile, experts en référencement, responsables diversité, assistants numériques, social volunteers, facilitateurs de démarche d’open innovation agiles, market access experts, social media strategists, learning expedition masters, responsables de centres de services partagés, animateurs de partenariats multi-entreprises, métiers favorisant la cohérence et la fluidité du système d’information, métiers de l’économie circulaire, transformation digitale, intelligence artificielle, réalité augmentée, 3D, Building Information Modeling, chasseurs et jardiniers de start-up… D’après nos recherches menées depuis 2018, les parties prenantes au sein des entreprises qui devraient participer à la définition de ces nouveaux métiers sont assez variées : 50% proviennent d’une approche à la fois RH et managériale, à travers la définition et la planification des attentes de demain, 20% des répondants mentionnent que les travaux sont actuellement pilotés uniquement par la direction RH, et 30% des entreprises impliquent les salariés dans ce processus, notamment les directions opérationnelles.

WoW #10 : Avancer les soft skills !

Ce seront les qualités attendues de la part des candidats de demain. En résumé, vous prenez un shaker et vous y versez créativité, intelligence émotionnelle (ça s’enseigne où, ça ?!) et solidarité mâtinées d’agilité, de bienveillance, de feedback permanent, vous saupoudrez de culture client et de confiance réciproque, d’engagement et de persévérance, et vous avez le talent pour lequel les chasseurs de primes de demain se battront. Problème : ça se forme où et se trouve où, aujourd’hui, tout cela ?

WoW #11 : Booster à coup d’I.A. ?

En France, selon McKinsey, on estime que 15% des emplois seraient remplaçables ou automatisables par l’intelligence artificielle à l’horizon 2030. Et la hausse de revenus induite par l’investissement dans l’IA et la collaboration homme-machine est évaluée à 38% d’ici à 2023. Les technologies ont ainsi déjà transformé les métiers du secteur bancaire depuis quelques années. Le secteur s’est alors réorienté sur une montée en gamme de la chaîne de valeur avec davantage de suivi du client. Il ressort ainsi qu’à 61% les métiers de la banque et de l’assurance restent à court terme difficilement automatisables. La question de l’acceptation sociale de l’automatisation et de la réorientation de ces populations sur des métiers axés sur des services plus élaborés comme le conseil est cruciale pour réussir la transition de l’entreprise du futur.

WoW #12 : Oublier le mail ?

S’il est un outil symbolique et systémique du travail collaboratif actuel, c’est bien le mail. Demain, pour des travailleurs encore plus nomades qu’aujourd’hui, le mail sera vraisemblablement obsolète et remplacé par Slack, ses alternatives et autres applis expertes (G Suite, Zoom, Microsoft Teams, Skype, Apple’s FaceTime ou iMessage…). 85% des entreprises estiment que les technologies collaboratives accélèrent la prise de décision, 79% d’entre elles qu’elles rendent les process plus efficients et 73% constatent qu’elles permettent d’augmenter les ventes*.

Le travail demain ? Le meilleur est avenir !

1. Doris Lessing, Canopus dans Argo, La Volte.
*Article écrit par Brice Auckenthaler, Bernard Fevry et Antoine Mahy (Tilt ideas)
**Méthodologie : les convictions partagées ici s’appuient sur quatre des Observatoires de prospective de Tilt ideas : 1 : NeoXygen, où 60 dirigeants ont été interrogés au sujet des impacts du Covid-19 dans leur façon de manager. 2 : Future of Work, qui répond aux nouveaux enjeux prospectifs en matière de management des talents pour anticiper les impacts des technologies digitales sur l’évolution des métiers. 3 : Le 4e baromètre Brand’Gagement de Tilt ideas où 84% des Français déclarent favoriser désormais des entreprises engagées concrètement pour une société meilleure (vs 64% en 2017). 4 : Skills, où nous décortiquons les profils des talents de demain. L’avenir dira si ce ne sont que des signaux faibles ou des macro-trends…
***Nous avons théorisé leurs enseignements dans quatre ouvrages : L’innovation Collective, L’Imagination Collective, Imagination 3.0 (en anglais) et Imagi’Nation, l’innovation à l’ère des réseaux sociaux.

Tous les articles – et  enquêtes sont à retrouver dans notre revue #34 consacrée au Travail.

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Illustration: Marius Guiet

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