Alors que 500 grands groupes ont annoncé un boycott publicitaire du réseau Facebook en l’accusant de ne rien faire contre la propagation de la haine, P&G, propriétaire d’Always, Pampers, Ariel, Gillette ou Mr. Propre a décidé d’agir plutôt que de hurler avec les loups Coca-Cola, Unilever, Ford, Levi’s…
« Là où nous déterminons que nos standards ne sont pas respectés, nous agirons, et cela inclut un arrêt de nos dépenses publicitaires » expliquait mi-juin Marc Pritchard, le “Chief Brand Officer” de P&G lors d’une intervention enregistrée pour les Cannes Lions Live, sans citer nommément Facebook. Un message à peine codé en signe d’avertissement ?
P&G ne prendra pas part au mouvement “Stop Hate for Profit”
Pourtant, quelques jours plus tard, un porte-parole venait clarifier la position du groupe auprès de l’agence Reuters : “notre approche a toujours été de ne pas prendre la parole publiquement sur nos positions vis-à-vis d’un partenaire en particulier. Nous n’allons pas changer, donc vous ne devez pas vous attendre à davantage de déclarations de notre part à propos de Facebook ou de toute autre plateforme publicitaire. Au bout du compte, nos actions parleront plus fort que nos mots”. Traduction : à la différence de 500 autres annonceurs , P&G ne prendra pas part au mouvement “Stop Hate for Profit” et se refuse à pointer du doigt Facebook publiquement.
Pourtant en avril 2017, le groupe avait initié un boycott d’un an à l’égard de YouTube…
Mais contrairement à ce que laisse entendre ce discours officiel, ce silence ne marque-t-il pas un changement d’approche ? Car ces dernières années, Procter, par la voix de son Chief Brand Officer, était l’un des annonceurs les plus engagés, appelant régulièrement Facebook, YouTube et l’adtech en général à se remettre en question. En 2017, le groupe avait notamment initié un boycott d’un an à l’égard de YouTube, suite à la parution dans le Times d’un article révélant que des publicités avaient été associées à des contenus faisant l’apologie du terrorisme, du racisme ou de la violence. Mais aujourd’hui, avec l’appel au retrait des annonceurs de Facebook sur fond de crise sociale et politique aux États-Unis, la question dépasse bien largement le cadre du petit monde de la publicité. La polémique a quitté le champ technique de la « brand safety » pour revêtir une dimension morale et politique sur laquelle une marque globale prend plus de risque à s’engager.
Procter met en place une plateforme d’éducation : Take on race »
Ainsi, P&G entend démontrer qu’il ne reste pas les bras croisés sur le sujet des inégalités raciales et les violences policières aux États-Unis. Le groupe a fait le choix de contribuer directement à la lutte contre le racisme « systémique », en mettant en ligne une plate-forme d’éducation, “Take on race”, destinée à initier une conversation sur le sujet. Les Américains sont ainsi invités à s’informer, à apprendre et à s’engager. Cette plate-forme s’accompagne de la mise en ligne d’un nouveau spot publicitaire, The Choice.
Dans sa communication corporate post-Covid, le groupe n’hésite pas non plus à faire le lien entre crise sanitaire, crise sociale et inégalités. Plusieurs spots ont ainsi été mis en ligne pour passer ce message et appeler à lutter contre les fractures sociales que la pandémie a contribué à renforcer, en particulier les inégalités de genre. Des films publicitaires à destination spécifiquement de la communauté hispanique (« Estamos Unidos ») ou des afro-américains (« Cirumstances ») ont aussi été produits.
Au-delà de ces démarches de communication, le groupe agit de façon concrète, mais plus discrète, via des dons à des associations de terrain (en nature ou financiers), comme Feeding America ou We Are All Human Foundation. “Nous avons fait le choix de ne pas communiquer publiquement sur nos campagnes de don, car quand on se met au service du bien commun, il s’agit d’agir, pas de chercher la lumière” explique Marc Pritchard. Ayant tiré les enseignements de son expérience malheureuse avec Gillette, P&G a manifestement décidé de faire profil bas. Pour mieux agir. Une approche que salue Frank Farrugia, Co-CEO de l’agence média Omnicom Media Group France : » aujourd’hui, les annonceurs ont tout intérêt à se montrer plus modérés dans leurs discours. Au lieu de dénoncer et d’affirmer, ils doivent plutôt agir. Car si leur discours n’est pas accompagné d’actes et de preuves concrètes, il devient contre-productif, voire même dangereux. Attention à ne pas être trop dans l’affirmation, si on n’est pas soi-même irréprochable « .