25 septembre 2013

Temps de lecture : 3 min

« Never Sensed Before » : le musée comme vous ne l’avez jamais vécu

Faire vivre une expérience inoubliable et authentique au visiteur, l’impliquer dans un parcours stimulant ses sens, favoriser la co-création : autant de défis à relever pour les musées à l’ère du consommateur postmoderne.

Vers un réenchantement du quotidien

La programmation des musées s’adapte de plus en plus aujourd’hui aux desideratas d’un consommateur souhaitant participer, s’impliquer, être transformé par sa visite. Rompant avec la passivité, le visiteur est aujourd’hui un « individu postmoderne [qui] se libère de tout et de tous ; il se suffit à lui-même, [et] fixe ses propres normes » (Decrop, 2008*). Ainsi, ce nouveau consommateur n’est plus rationnel et prévisible : il exprime des préférences, fait des choix, affirme son indépendance. Ces mutations comportementales ont favorisé l’émergence du « marketing expérientiel ». L’expérience est maintenant au cœur du dispositif de consommation et se perçoit comme un « réenchantement du quotidien [qui] passerait par une succession de micro-plaisirs, de micro-gâteries abordables et renouvelées. » (Carù et Cova, 2006**)

Une suite d’immersions extraordinaire. Comment cette transformation se traduit-elle aujourd’hui dans les musées ?

Être en immersion dans un univers qui stimule les cinq sens, vivre une expérience nouvelle et unique, pouvoir interagir avec l’œuvre via les nouvelles technologies, s’approprier le contenu… Autant de caractéristiques qui offrent au visiteur la possibilité de « s’engager dans des processus inoubliables afin de vivre une suite d’immersions’ extraordinaire. » (Bourgeon-Renault, 2007***).

Un des biais les plus efficaces pour produire l’expérience passe par la mobilisation de tous les sens du visiteur. La vue, à l’instar de l’exposition « Frac Forever » par le Centre Pompidou Metz qui proposait aux visiteurs de se munir de lampes torches pour découvrir, dans une salle plongée dans l’obscurité, la collection de photographies du Frac Lorraine.

L’ouïe en associant œuvres et musique (Maison Européenne de la Photographie, « Images et Musique »).

L’odorat, à la manière du jardin de senteurs conçu par l’architecte paysagiste Piet Oudolf à l’occasion de l’exposition N°5 Culture Channel au Palais de Tokyo.

Le goût, comme les créations culinaires de Caitlin Freeman, chef pâtissier du Blue Bottle Coffee au sein du Musée d’Art Moderne de San Francisco. Pour créer ses « modern art desserts », elle s’inspire d’œuvres d’art (peinture, sculpture, photographie) réalisées par des artistes du musée : Mondrian, Matisse, Hirst, Rothko…

Le toucher, par le biais d’installations tactiles (Ipad, écrans digitaux, applications Iphone).

L’installation Rain Room, qui a atteint des records de fréquentation cet été au MoMA est un exemple frappant de marketing polysensoriel. Les visiteurs sont dans un premier temps interpellés par le bruit de l’eau , l’humidité ambiante, pour enfin découvrir une salle de 300m2 dans laquelle tombe une pluie artificielle.

Le collectif rAndom International a mis au point une technologie qui détecte le corps humain, permettant ainsi aux visiteurs de ne jamais être touchés par les gouttes d’eau. Comme cela est expliqué sur son site, le MoMA propose aux visiteurs « une expérience permettant de contrôler la pluie ». Plus encore, Rain Room « crée une averse soigneusement chorégraphiée et encourage simultanément les visiteurs à devenir des acteurs sur une scène originale et à créer une atmosphère intime et contemplative. » Pour compléter ce dispositif, le musée encourage le public à prendre des photographies et à les publier sur un site dédié : MoMAPS1.org/expo1. Expérience inédite, immersion totale, théâtralisation intérieure, co-création digitale et partage avec une communauté : l’expérience est totale.

Un lieu de pensée pour un amateur actif et critique

Aussi, marketing expérientiel et sensoriel sont-ils des outils précieux qui s’accordent avec la recherche du plaisir, de l’émotion, et la quête de sens du consommateur 2.0. Le véritable défi à relever consiste à rendre compatible cette recherche avec la défense des missions premières du musée : connaissance, éducation et plaisir du public (Code du Patrimoine, article L410-1).

Car le musée doit rester « un lieu de pensée plutôt que de devenir un lieu de loisirs […], rappelle Bruno Racine, président de la Bibliothèque nationale de France, ancien président du Centre Pompidou. La massification du public, réelle mais relative, n’est pas antinomique avec l’instauration de ce rapport d’amateur actif et critique. »

Clara Darrason
Rubrique réalisée en partenariat avec La Société Anonyme

(*) Alain Decrop « Les paradoxes du consommateur postmoderne », Reflets et perspectives de la vie économique 2/2008 (Tome XLVII), p. 85-93.

(**) Antonella Carù et Bernard Cova « Expériences de consommation et marketing expérientiel », Revue française de gestion 3/2006 (no 162), p. 99-113.

(***) Dominique Bourgeon-Renault, « Marketing expérientiel et hyper réalité dans le domaine de la culture », 7ème Congrès des Tendances du marketing, Janvier 2007

       
Rain Room at the Barbican, 2012 from rAndom International on Vimeo.

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