9 octobre 2023

Temps de lecture : 4 min

Netflix, HBO et Amazon Prime Vidéo ont-ils vraiment créé un « âge d’or » du documentaire ?

Sur les plateformes de streaming, les créations documentaires ont depuis – trop – longtemps troqué leur audace et leur intégrité journalistique sur l’autel – lucratif – de la standardisation.

Selon Parrot Analytics, le nombre de documentaires originaux produits par les plateformes de streaming a augmenté de 77 % entre janvier 2019 et juillet 2022. À la seule lecture de cette donnée, beaucoup concluront que la discipline ne s’est jamais aussi bien portée mais ne vous y trompez pas : « ce n’est pas un âge d’or » que nous vivons mais plutôt une « ère de la standardisation » ou seuls « les faits divers et les portraits de célébrités » sont à même de séduire les investisseurs, déclarait récemment Jeanie Finlay sur son compte Twitter. La réalisatrice britannique qui dévoilait il y a quelques semaine son documentaire – acclamé – Your Fat Friend sait de quoi elle parle. Grâce au soutien de ses producteurs, elle a pu déléguer six ans de sa vie à son projet, de l’écriture à la sortie en salle, mais rares sont les auteurs aussi chanceux : « Les documentaires sont devenus des produits formatés alors qu’ils étaient portés à l’origine par des producteurs engagés, que les projets soient grand public ou non ».

Sorti fin des années 1980, The Thin Blue Line – ou Le dossier Adam en VF – est le véritable point de départ du renouveau du format documentaire. En adoptant les codes du film noir à la discipline, l’œuvre réalisée par Errol Morris a imposé un nouveau style ou la recherche et l’enquête autour du sujet traité sont devenues les sujets principaux de leurs œuvres. Une vision quasiment policière du format que toutes les plateformes ont fini par adopter. Pourtant, des décennies plus tard, la véritable explosion du médium du début des années 2010, provoquée par Netflix à coup d’investissements massifs et à sa politique initiale de laisser une grande liberté créative à ses auteurs, a laissé place à une uniformisation des contenus chez toutes les plateformes grand public. Le succès de productions telles que Icarus en 2017, qui levait le voile sur les réseaux tentaculaires de dopage dans le monde du sport, ou encore My Octopus Teacher en 2020, qui racontait l’amitié inattendue entre un réalisateur et une pieuvre lors d’une expédition sous-marine, a été suivi d’une foule de productions anecdotiques – et souvent beaucoup trop coûteuses – centrées sur les personnalités bankable du moment, à l’image de la série Harry & Meghan. Succès commercial en Angleterre, certes, mais snobée hors Royaume et descendue par les critiques.

 

 

Changement de cap

Le bât blesse quand on sait à quel point Netflix, HBO et plus récemment Amazon Prime Video comptaient sur les documentaires, avec une vraie orientation journalistique attendons nous, dans leur stratégie de développement. Les budgets étant nettement inférieurs à ceux des oeuvres de fiction, les plateformes s’en saisissaient pour aborder beaucoup plus de sujets. Une offre pléthorique, allant des conséquences du changement climatique aux grands scandales financiers de notre temps, en passant par l’incursion des géants de la tech dans nos vies ou même les arcanes de telles ou telles disciplines sportives. Il y en avait pour tous les goûts. Un argument de vente qui avait d’ailleurs permis à Netflix de séduire nombre d’abonnés aux débuts des années 2010.

Mais vous connaissez déjà la musique, on vous l’a déjà chantonné plusieurs fois : malgré les milliards injectés par les différents acteurs dans leurs productions originales, les plateformes sont en crise et ne semblent toujours pas en mesure de bâtir un modèle économique viable. Dans ce contexte, séduire les critiques ne suffit plus, surtout quand on peut s’assurer un juteux retour sur investissement en recrachant toujours la même formule. L’algorithme a depuis longtemps (re)pris les commandes. L’omniprésence des programmes dits true crime, qui portent littéralement sur n’importe quel type d’événement criminel un tant soit peux sensationnel, et ceux racontant la vie de telle ou telle célébrité – en usant souvent du gimmick « de l’ascension fulgurante à la chute spectaculaire » – en dit long sur l’état actuel de l’industrie.

 

 

Le crime paie

« Le public ne cherche plus à être surpris », concédait volontiers Jeanie Finlay. « Nous avons de moins en moins l’opportunité de raconter des histoires plus intimistes. En tant que cinéaste, j’ai appris que ce sont parfois les personnes timides qui racontent les meilleures histoires car la caméra les aide à mieux articuler leurs propos. C’est un haut-parleur. Il n’est pas nécessaire de « crier fort » pour attirer l’attention à l’écran ». Encore moins d’être célèbre, si l’on suit son raisonnement.

Mais si le public apprécie ce genre de programme alors pourquoi les producteurs devraient se sentir coupables de les fina donner ? Charlie Phillips, photographe émérite et ancien directeur des programmes documentaires du Guardian, le concédait dans un article de The New Statesman : « Il n’y a rien de mal à ce que les gens apprécient ces thématiques, mais le pouvoir qu’ont les diffuseurs de dicter le marché » est un danger qui mérite d’être relevé. Il est devenu par exemple presque impossible aujourd’hui de mettre en chantier une œuvre qui porte sur « quelqu’un qui n’a pas déjà une audience établie », renchérit le documentaliste Paul Sng. Avant de conclure : « Et cela deviendra de plus en plus difficile. À ce titre, je n’ai aucun désire de porter à l’écran une histoire de meurtre et par le fait de tirer parti d’un traumatisme bien réel » et ancré dans notre réalité. On peut le comprendre.

 

 

David Trueba, réalisateur espagnol de la série La Sagrada Familia qui racontait l’histoire de l’une des familles les plus puissantes de Catalogne, reconnaissait à la plume du journal El País que « les documentaires ont permis aux plateformes d’atteindre une certaine qualité à un coût inférieur à celui des séries de fiction. Le problème se pose lorsque que ce degré de qualité devient presque anecdotique aux yeux d’investisseurs obnubilés par le souci de rendre leurs produits populaires. On dénigre les thématiques qui sortent du lot parc qu’elles ne garantissent pas un succès immédiat ». Avant de conclure : « C’est pourtant ce genre d’œuvre qui résiste mieux à l’épreuve du temps ».

 

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