22 novembre 2023

Temps de lecture : 4 min

Usages et confiance dans les médias : les jeunes se singularisent

En matière d’information, un fossé se creuse entre les générations, indique la 37e édition du Baromètre de confiance à l’égard des médias, réalisée par Kantar Public pour La Croix et présentée ce mercredi 22 novembre en ouverture de Médias en Seine. Explications avec Guillaume Caline, directeur du pôle Enjeux publics et opinion chez Kantar Public, et Maud Guilbeault, journaliste à La Croix.

INfluencia : les moins de 35 ans s’éloignent de leurs aînés en matière d’information, indique l’édition 2023 du Baromètre de la confiance à l’égard des médias. Quelle est la nature de cet éloignement et dans quelle mesure s’accentue-t-il par rapport aux tendances des années précédentes ?

Guillaume Caline : ce fossé confirme en grande partie des tendances que l’on observe depuis plusieurs années. Même s’ils s’intéressent avec grand intérêt à l’actualité, les jeunes s’y intéressent toujours moins que leurs aînés. C’est un phénomène qui correspond à une inscription dans la vie et dans la vie active, que l’on retrouve aussi sur les comportements électoraux. Les dernières vagues ont en revanche montré que les jeunes ont recours à davantage de médias pour s’informer. Ils utilisent beaucoup plus internet, ce qui recoupe les réseaux sociaux, les applications, les podcasts, les influenceurs… mais ils ont aussi recours aux journaux d’information, aux chaînes d’info en continu ou à la radio, même si c’est moins fréquemment. Les modalités d’information des plus âgés sont plus classiques. C’est une tendance nouvelle qui accompagne la transformation du système d’information.

L’image de l’actualité que les médias renvoie aux jeunes ne comble pas leurs attentes

IN : 61 % des 18-25 ans et 74 % des 25-34 ans s’intéressent pourtant à l’actualité « avec grand intérêt ». Ce n’est pas rien…

G.C. : malgré ce que l’on peut entendre sur leur prise de distance par rapport à la société, il y a un vrai intérêt des jeunes par rapport à ce qui se passe. Ils sont plus critiques sur la manière dont l’actualité est traitée par les différents médias. On le retrouve notamment dans la fatigue informationnelle, un sentiment largement partagé mais encore davantage chez les plus jeunes. Ils ont le sentiment que les médias traitent toujours des mêmes sujets, qu’ils se sentent impuissants face à l’actualité… L’image de l’actualité que les médias leur renvoie ne comble pas leurs attentes. Ils trouvent notamment que les sujets liés au changement climatique ne sont pas assez traités.

Maud Guilbeault : les moins de 35 ans disent aussi qu’ils ne se sentent pas représentés dans les médias traditionnels. Pas seulement parce qu’on ne parle pas assez d’eux, mais parce que leur point de vue n’est pas tellement pris en compte ou que les sujets ne sont pas abordés sous des angles qui les intéressent.

Les jeunes sont plus positifs sur les réseaux sociaux, qui permettent plus de transparence dans l’information, plus de diversité dans les sources et des informations qui passent hors des canaux habituels

IN : le fossé générationnel s’exprime-t-il plus clairement sur la confiance accordée aux réseaux sociaux ?

G.C. : les réseaux sociaux sont massivement utilisés par les plus jeunes et les plus âgés pour s’informer mais la confiance qu’on leur fait sur l’actualité est relativement faible (25 % au global, ndlr). Les plus jeunes, qui n’en ont pas la même approche, se montrent plus confiants que leurs aînés. Comme eux, ils reconnaissent qu’il y a, à travers les réseaux sociaux, un risque de diffusion d’informations fausses ou non vérifiées, de théories du complot… Ils sont plus positifs sur le fait que les réseaux sociaux permettent plus de transparence dans l’information, plus de diversité dans les sources car ces supports sont moins intermédiés que les autres médias, avec des informations qui passent hors des canaux habituels.

IN : les plateformes sociales les plus utilisées par les jeunes – TikTok ou Instagram – ont pourtant été largement décriées ces dernières années…

M.G. : les questions sur le harcèlement ou les propos haineux les touchent mais il est difficile de dire s’ils remettent en question ces plateformes. Ils sont davantage dans la responsabilisation individuelle où chacun doit faire attention et se protéger, ce qu’impose d’ailleurs leur fonctionnement. La fracture se situe autour de 35 ans. Or, le baromètre ne distingue pas les différentes plateformes et prend aussi bien Facebook que TikTok.

Les réseaux sociaux sont le terrain de jeu des plus jeunes. Ils en connaissent les règles et les références, les maîtrisent… Ils craignent que la régulation ne casse tout

IN : comment interpréter la vraie fracture qui existe sur la question de la régulation des réseaux sociaux ?

M.G. : elle est beaucoup liée à un différentiel de socialisation. Les réseaux sociaux sont le terrain de jeu des plus jeunes. Ils en connaissent les règles et les références, les maîtrisent… Ils y évoluent dans un certain entre-soi puisque quand les plus âgés arrivent sur un réseau social, les plus jeunes s’en vont généralement ailleurs. Ils sont conscients des problèmes mais craignent que la régulation ne casse tout. On peut aussi y voir une méconnaissance juridique de ces sujets qui sont gérés à Bruxelles et dont tout le monde n’est pas familier. De plus, chaque génération ne met pas forcément la même chose derrière les mots de régulation et de modération… Il y a donc un vrai enjeu à faire connaître ce qu’est la régulation sur les réseaux sociaux.

IN : que dit l’appétence des plus jeunes pour les contenus de niche pour lesquels ils se disent d’ailleurs prêts à payer ?

M.G. : le paiement devient pour eux un acte militant pour accéder à de l’information et, encore plus, à une analyse. Au-delà d’un phénomène strictement générationnel, la consommation des contenus de niche est aussi en partie liée à l’impact des algorithmes qui nous poussent et nous laissent dans une bulle. On se retrouve nécessairement face à des contenus qui correspondent à nos centres d’intérêt.

Il y a une vraie ouverture des jeunes sur l’IA. 42 % des moins de 35 ans feraient confiance à un média qui l’utiliserait pour rédiger ses articles

IN : autre enseignement de l’étude 2023 : les jeunes font davantage confiance que l’ensemble de la population à l’utilisation de l’intelligence artificielle en matière d’information…

G.C. : 27 % des Français feraient confiance à un média qui utiliserait l’IA pour rédiger ses articles mais la proportion grimpe à 42 % chez les moins de 35 ans. C’est un résultat qui nous a surpris car on s’attendait à un niveau plus faible, même au global. Il y a une vraie ouverture des plus jeunes par rapport à l’IA.

M.G. : cela s’explique peut-être par une plus forte connaissance de ces outils. Les plus jeunes ont déjà utilisé ChatGPT, s’en servent peut-être même au quotidien… Ils ont donc moins de crainte par rapport à un outil dont on va de toutes façons se servir, pourquoi pas dans les médias, et davantage d’enthousiasme vis-à-vis du numérique.

En savoir plus

Les Français de moins de 35 ans se disent presque aussi intéressés par l’actualité que les plus de 35 ans : 61 % des 18‑25 ans et 74 % des 24‑34 ans la suivent avec grand intérêt, contre une moyenne de 77% chez les plus de 35 ans.

Les moins de 35 ans sont les plus gros consommateurs quotidiens de podcasts (22 % contre 16 %) ou de pure players (23 % contre 18 %).

6 % des plus de 35 ans s’informent quotidiennement via des influenceurs contre 24 % des moins de 35 ans. Les 18-34 ans sont 63 % à estimer que la diffusion d’informations par des personnes qui ne sont pas des professionnels des médias ou des journalistes sur les réseaux sociaux peut favoriser la propagation de fausses nouvelles ou de théories du complot (contre 77% des plus de 35 ans).

Seuls 27% d’entre eux se disent favorables à davantage de régulation sur les informations et opinions partagées sur les réseaux sociaux, quand leurs aînés sont 61 % à y souscrire.

Dans leur usage des réseaux sociaux, les pratiques de deux tranches d’âge sont à peu près similaires : 51 % des 34-50 ans s’en servent quotidiennement pour s’informer et 54 % chez les 24-34 ans. Rien à voir avec les plus de 50 ans : seuls 35 % des 50-64 ans y ont recours chaque jour et 29 % des plus de 65 ans.

 

L’enquête a été réalisée du 6 au 11 octobre 2023 auprès d’un échantillon national de 1 500 personnes, représentatif de l’ensemble de la population âgée de 18 ans et
plus.

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