4 janvier 2016

Temps de lecture : 4 min

Le marketing peut-il nous fabriquer un dieu ?

Inventer le produit miracle (sur lequel Google travaille) qui va nous permettre de vivre deux fois plus longtemps en bonne santé... tel est le thème du prochain livre de Georges Lewi.

Inventer le produit miracle (sur lequel Google travaille) qui va nous permettre de vivre deux fois plus longtemps en bonne santé… tel est le thème du prochain livre de Georges Lewi.

INfluencia : vous publiez votre second roman « Fabrique nous un dieu ». Ce roman a-t-il l’entreprise et le marketing comme domaine et comme atmosphère à l’instar du premier « Bovary21 » ? Que nous raconte-t-il ?

George Lewi : le marketing, l’univers des marques est mon quotidien. J’aime m’y promener, les décrire et quelquefois les écorner. En tant que spécialiste des marques, je côtoie les entreprises, leurs travers mais aussi leurs doutes, et leurs réussites. Bovary21 décrivait l’histoire d’une blogueuse qui fait du marketing et va, en Bovary du XXIe siècle, retrouver dans cet univers de « business », l’ennui, les illusions et les déceptions de la vie.

Dans ce nouveau roman « Fabrique nous un dieu », le personnage est masculin. Il se prénomme Moïse et veut libérer les hommes de la souffrance et de la mort. Il est en passe d’inventer le produit miracle (sur lequel les hommes de Google travaillent avec Calico) qui va nous permettre de vivre deux fois plus longtemps en bonne santé. Comme ma « Bovary », mon « Moïse » est un idéaliste qui commence mal sa vie professionnelle en sabotant son stage et en remettant en cause « le système de R&D des entreprises françaises ». Mais il va aboutir dans ses recherches. C’est là que commencent les questions et les ennuis. Car il va lui falloir créer sa start-up, trouver un statut qui corresponde à son idéal, s’entourer, définir des règles…

IN : précisément, cette start-up, quelle forme prend-elle ? Ce jeune représentant de la génération Y, comment voit-il son rôle de leader ?

GL : il crée une coopérative et va très vite se sentir « piégé » par cette forme d’organisation participative. Le thème principal de ce roman est le mythe du leader. Quel est le leader idéal : idéaliste, manager, marketer, RH ? Par certains côtés, ce Moïse, orphelin comme Steve jobs ou Newton, et qui a sans doute une revanche à prendre sur la vie, est un perfectionniste solitaire. Il veut fabriquer le produit idéal pour un monde idéal. On est loin de la finalité d’une entreprise classique, du marketing extensif et des exigences des salariés coopérateurs qui veulent, enfin, pouvoir gagner un peu d’argent. D’où le conflit : comment rester leader d’une organisation qui s’éloigne de vos convictions profondes ? Et en même temps, c’est lui qui est médiatisé, en qui le public a confiance; son entreprise « VitaLonga » ne peut, donc pas se passer de lui. De nombreux collaborateurs d’entreprises vont se retrouver dans ce type de situation managériale.

IN : pourquoi ce titre ? Fait-il référence au produit ?

GL : « Fabrique nous un dieu » est une phrase prononcée par les Hébreux au pied du Mont Sinaï lorsqu’ils attendent Moïse qui ne redescend pas assez vite avec les Tables de la Loi. Ce sera alors l’épisode de la construction du veau d’or. C’est ce que réclament, dans mon roman, les collaborateurs de Moïse lorsqu’ils ne le voient pas revenir de son laboratoire de recherche avec le produit définitif qui fera décoller les ventes de l’entreprise. Ils exigent le produit, la marque, le leader qui sauront répondre à la fonction quasi divine de certaines marques pour le consommateur. Si Moïse ne peut assurer, ce sera à un marketing plus classique de le faire. Car, dans cette forme d’espoir suprême, les consommateurs sont prêts à « investir » dans leur vie future. Encore faut-il que l’entreprise soit à même de délivrer !

IN : vous traitez du thème de l’espoir, d’un mythe, comme dans Bovary21 ?

GL : je travaille sur les mythes qui structurent nos pensées et sont le support des grandes marques. Le premier mythe humain est celui de l’espoir, comme moteur de l’humanité. Mais l’espérance folle est aussi source de questions innombrables. A qui vendre ce produit « LongaVita » si particulier ? A tous. Ce sera la destruction de l’humanité avec un doublement quasi immédiat du nombre d’habitants de la planète ? Aux meilleurs, mais comment les sélectionner? Aux plus riches, mais ce sera la marque la plus inégalitaire jamais conçue ! On ne fabrique pas un dieu sans casser des œufs ! Les consommateurs envoient leurs chèques avant qu’on ne le leur demande car chacun veut sa part d’éternité. C’est humain et ingérable à la fois. De fausses imitations apparaissent et avec elles l’image du monde concurrentiel. De mon expertise, le monde de l’entreprise et du marketing est fait d’espoir, quelquefois à la limite de la naïveté. C’est ce que j’aime dans cet univers qui se veut hyper rationnel et qui est aussi irrationnel qu’un consommateur lâché dans un centre commercial en solde.

IN : pourquoi écrire des romans à côte de vos ouvrages sur le branding et le storytelling ? Et comment a marché votre précédent roman Bovary21 ?

GL : le roman permet une liberté que n’autorise pas l’essai et encore moins l’ouvrage universitaire. Il permet de dire ce que l’on ressent, au-delà de l’analyse cartésienne. Bovary21 a pris une bonne place dans les romans générationnels sur la génération Z. Toutes les semaines, le « livre sort » en format papier ou numérique. Je reçois fréquemment des messages de lecteurs qui entament un dialogue, ce qu’ils ne faisaient pas avec les ouvrages plus techniques. La littérature est un espace d’interactivité, quasiment de co-création entre l’auteur et son lecteur. Elle seule peut communiquer ce qu’un mythologue, comme moi, souhaite faire passer sur la grandeur de l’humain face à toutes les contraintes du monde.

Propos recueillis par Isabelle Musnik

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