22 mars 2023

Temps de lecture : 5 min

« L’olympisme est un accélérateur sociétal incroyable ! » Eric Monnin

Éric Monnin, sociologue, est vice-président de l’Université de Franche-Comté, où il dirige le Centre d’études et de recherches olympiques universitaires (CEROU), unique en France et dont il a été l’instigateur en 2019. Ce centre et son directeur promeuvent la recherche et l’innovation en liant la pratique sportive à une ambition éducative, culturelle ou citoyenne autour de l’olympisme et de ses valeurs. À moins d’un an et demi des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, sa ferveur dans le sport et l’olympisme comme moyens de former des citoyens responsables est à son comble.

INfluencia : depuis quelque temps, difficile d’échapper à la vague olympique en France… Comment définiriez-vous l’olympisme ?

ÉM : beaucoup de personnes définissent l’olympisme par un des sept principes de la « Charte olympique », à savoir son premier principe fondamental : « Une philosophie de la vie exaltante et combinant en un ensemble équilibré les qualités du corps, de la volonté et de l’esprit. » Ainsi, « en alliant le sport à la culture et à l’éducation, l’olympisme se veut créateur d’un style de vie fondé sur la joie dans l’effort, la valeur éducative du bon exemple et le respect des principes éthiques fondamentaux universels ». Nous pouvons nous arrêter à cette définition… Mais je la trouve trop générale. Le concept de l’olympisme est tout d’abord un néologisme créé par Pierre de Coubertin (fin xixe) qui se caractérise par « la religion de l’énergie, le culte de la volonté intensive développée par les pratiques des sports virils s’appuyant sur l’hygiène et le civisme et s’entourant d’art et de pensée1 ». Pour ce rénovateur des Jeux olympiques de l’ère moderne, l’olympisme est un outil pédagogique pour éduquer la jeunesse en alliant la pratique sportive et intellectuelle. Il s’appuie sur l’héritage culturel de la Grèce antique et adapte la fameuse devise du poète satirique romain Juvénal (fin ier s.-début IIe s.) : mens sana in corpore sano (« un esprit sain dans un corps sain »). Son projet est d’institutionnaliser le sport (les valeurs du sport) pour aller vers le bien commun, vers une société pacifique et meilleure pour tous. Nous sommes dans une tendance de la fin du xixe siècle. Alors comment définir l’olympisme aujourd’hui ? À mon sens, c’est un objet frontière qui réunit des acteurs aux missions et aux enjeux différents, coopérant vers un objet commun tout en servant leurs propres intérêts. Cet objet commun est l’olympisme – pour tendre vers un monde meilleur, un monde pacifique, un monde harmonieux. Cela passe par la valeur éducative pour faire de chacun un être responsable et utile à la société.

 

IN : où en sommes-nous sur la connaissance et la compréhension de ce concept ?

ÉM : dès son arrivée en 2013 à la présidence du Comité international olympique (CIO), Thomas Bach s’est attaqué à rendre l’olympisme plus universel et plus intelligible auprès du plus grand nombre. La tâche est grande, le système olympique était malmené depuis des années. Son ambition était de réformer les Jeux olympiques, qui sont un outil pour mettre en valeur l’olympisme. Il va alors poursuivre l’œuvre de son prédécesseur, Jacques Rogge, qui avait mis en place un laboratoire sociétal pour mieux comprendre les attentes de la jeunesse grâce aux Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ). Un audit gigantesque axé sur trois concepts fondamentaux que sont l’éducation, le sport et la culture est alors réalisé sur les JOJ. De ces conclusions naîtra la feuille de route stratégique de l’avenir du Mouvement olympique qui porte le nom d’Agenda olympique 2020. L’enjeu était de définir ce qu’est l’olympisme et de repenser le système olympique, qui rencontrait de plus en plus de difficultés comme la raréfaction des villes candidates aux Jeux olympiques. En 2014, cinq villes candidataient, avec des pays leaders. L’année suivante, plusieurs villes avaient renoncé, laissant seules Paris et Los Angeles. Face à la situation, le CIO a dû attribuer en même temps les Jeux olympiques et paralympiques en 2024 et 2028 afin de préserver ces deux candidats. Cela témoigne bien que le système olympique arrivait au bout d’une ère.

 

IN : comment sont alors repensés les Jeux ?

ÉM : le CIO est attaché à rendre plus « humaine » et plus simple l’organisation des jeux – en sauvegardant leur caractère unique – et à renforcer le sport dans la société. Les jeux ne doivent plus produire de la dette comme à Athènes ou Rio. Ils doivent produire un effet matériel et un effet immatériel, tangible et intangible. Le matériel doit soutenir le développement éducatif, social et culturel d’une nation. Pour les Jeux de Paris 2024, on ne construira qu’un seul et unique site sportif, une piscine, en Seine-Saint-Denis (93). Ce choix n’est pas un hasard. Un élève sur deux en classe de 6e ne sait pas nager dans ce département. De plus, le village olympique érigé sur ce même territoire abritera 2800 logements sociaux après l’événement. Quant à l’héritage immatériel, il se concrétise déjà à travers, par exemple, les « 30 minutes d’activité physique quotidienne à l’école ». Ce dispositif est destiné à contribuer à la bonne santé des enfants et à favoriser la pratique sportive. Paris 2024 est la première olympiade qui s’appuie sur l’Agenda olympique 2020. Son héritage va avoir des impacts sociétaux, culturels, et éducatifs.

 

IN : le système est donc en pleine transformation ?

ÉM : le système a changé. Nous ne sommes plus sur des surenchères financières pour remporter une candidature. Il y a eu une prise de conscience du mouvement olympique international pour faire perdurer les jeux et éviter les problèmes de corruption et touchant aux droits de l’homme. Aujourd’hui, le projet retenu est celui qui est en cohérence avec les enjeux sociétaux, écologiques, culturels et éducatifs de la société.

 

IN : quel rôle doit jouer l’olympisme dans notre société aujourd’hui ?

ÉM : l’olympisme est un accélérateur sociétal incroyable ! Les jeux sont un moyen pour faciliter et faire avancer des politiques urbanistiques et culturelles, créer une dynamique mais aussi contribuer à des causes comme l’inclusivité. Pour la première fois, nous allons avoir en 2024 des jeux réellement inclusifs. Cet olympisme se développe à travers des actions réelles comme le label Génération 2024, qui vise à développer des passerelles entre le monde scolaire et le mouvement sportif. Tout un travail pédagogique est effectué sur les valeurs, les principes et les idéaux olympiques comme le vivre-ensemble, l’inclusion sociale, l’excellence, etc. Au niveau des territoires, Terre de Jeux 2024 va faciliter le vivre-ensemble à travers l’inclusion sociale mais aussi le design actif pour rendre plus ludique l’activité physique. Par ailleurs, Paris 2024 a lancé Impact 2024, un fonds de dotation qui accompagne et soutient des projets d’intérêt qui utilisent l’activité physique pour la santé, le bien-être, l’éducation, l’inclusion, l’environnement… L’enjeu est de valoriser ceux qui renforcent au quotidien la place du sport dans la société et développent l’accès à la pratique sportive pour toutes et tous.

 

IN : les Jeux olympiques sont-ils le reflet de la société ?

ÉM : oui, de plus en plus. J’illustrerai mon propos par une décision récente prise par le CIO. À la suite de la mort tragique de George Floyd, en mai 2020 aux États-Unis et qui a été dénoncée par le mouvement Black Lives Matter (« la vie des Noirs compte »), plusieurs commissions du CIO se sont interrogées sur le droit d’expression. Elles ont alors réalisé un sondage auprès de 3500 athlètes de 185 pays et de 41 sports olympiques. Ils ont exprimé leur souhait de pouvoir parler librement et exprimer leur(s) opinion(s) sur le terrain. Le 21 avril 2021, la commission exécutive du CIO a accepté le droit à chaque athlète de s’exprimer en son nom avant les épreuves, dans le respect des pays, des populations, des cultures, des valeurs et des principes fondamentaux et universels de l’olympisme. C’est une grande nouveauté et une réelle avancée ! Le mouvement olympique s’inscrit dans l’évolution de la société, il en est bien le reflet. Ainsi, le CIO a créé il y a quelques mois un département des sports virtuels dans un environnement numérique et de forte croissance des réseaux sociaux.

 

IN. : comment faire rayonner l’olympisme auprès des jeunes pour construire la société de demain ?

ÉM : c’est une question que je me pose. C’est tout le challenge. Ce qui prime aujourd’hui, ce ne sont pas les Jeux olympiques pour la nation française. Le vrai intérêt est de démultiplier leurs atouts dans la vie et de créer une dynamique pour laisser un héritage matériel mais surtout immatériel. C’est ça le plus important et la grande nouveauté de ces Jeux ! Beaucoup de personnes parlent d’un rendez-vous olympique à ne pas manquer. Serons-nous au rendez-vous ?

 

  1. Pierre de Coubertin, Textes choisis, T. II, Olympisme, sous la direction du Pr. Norbert Muller, Zurich, 1986, p. 16.

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