11 juillet 2022

Temps de lecture : 6 min

Gen Z : la raison des réseaux

Il se dit dans les milieux qui se l’autorisent que la télévision abrutit, alors les jeux vidéo et les réseaux sociaux n’en parlons pas. Que TikTok est un problème pour les jeunes, qu’Instagram c’est surtout pour les candidats de téléréalité, Twitter pour les platistes et Facebook pour les boomers… Mépris plus que désintérêt, rejet plus qu’indifférence, ces jugements relèvent surtout d’une ignorance caractérisée. Que se passe-t-il réellement derrière l’écran noir de nos smartphones ?

Avec 5h34 passées en moyenne par jour sur les réseaux sociaux en France et presque 5 milliards d’humains connectés dans le monde, la vision d’une génération abrutie et de bout en bout superficielle expliquerait pas mal de dérèglements de notre société. Mais les personnes qui en sont convaincues connaissent-elles Étoiles et la Nuit de la culture sur Twitch ? Savent-elles à quel point le hashtag #BookTok est puissant ? Se sont-elles abonnées à Nota Bene sur YouTube ?

Cela peut être à la fois terrifiant et rassurant de faire des généralités sur les réseaux sociaux et d’avoir un a priori bien défini sur l’usage et l’impact négatif propres à chaque plateforme sur les comportements de la jeune génération. Mais ce serait surtout lui manquer de respect. Cela consisterait à la stigmatiser et penser (bêtement) qu’elle n’utilise ces formidables outils d’accès à l’information et à la connaissance qu’à des fins de divertissement. Ce serait penser que combler l’ennui en lançant telle ou telle plateforme est forcément nocif pour elle. Pourtant, la dimension culturelle de ces plateformes, leur utilité au quotidien pour accroître sa culture générale ou développer un centre d’intérêt est, à l’échelle des médias, sans commune mesure.

La dimension culturelle de ces plateformes, leur utilité au quotidien pour accroître sa culture générale ou développer un centre d’intérêt est, à l’échelle des médias, sans commune mesure

Libre culture

D’abord, il y a la liberté de choix, chacun s’abonnant à ce qui l’intéresse. La digitalisation de l’écosystème de communication des marques, des médias, des musées comme des institutions gouvernementales culturelles les aura toutes forcé depuis une dizaine d’années à obéir à ces usages pour continuer à être considérées voire à exister. Tyrannique, certes, mais c’est le postulat de départ.

Commençons par un exemple des plus évidents : la chaîne de télévision franco-allemande Arte (cf. page xx) est sur YouTube, et c’est sur cette plateforme, intrinsèquement sociale, que sa consommation a explosé durant le premier confinement. Les documentaires de la chaîne y atteignent aujourd’hui régulièrement le million de vues en quelques semaines, et la chaîne – sur YouTube – devient désormais un label de qualité de l’information sur la plateforme pour les jeunes.

Du côté des musées, le Tate londonien, lui, est déjà sur TikTok à faire la promotion d’une nouvelle exposition avec des créateurs GenZ, ou la pédagogie d’un courant ou d’une technique artistique à l’aide de vidéos courtes, clippées, tutorialisées sur fond de musique tendance. Mieux encore, certains musées se transforment, invitant des artistes – populaires jusqu’alors simplement dans leur propre galerie virtuelle qu’est leur feed Instagram – à se produire in real life (IRL), en vrai dans un vrai musée (on pense ici au MIMA Museum* à Bruxelles). Et toujours à propos des musées, sachez que Nota Bene, par exemple, qui compte plus de deux millions d’abonnés sur YouTube (en avril 2022) et est ainsi devenue la figure française majeure de la verticale histoire de la plateforme, n’hésite pas à répondre aux sollicitations de musées qui souhaitent gagner en visibilité en sponsorisant un épisode en particulier (le musée de Picardie ou le musée Champollion en Occitanie).

Sur Twitch, autre exemple – une plateforme peut-être encore plus obscure pour ceux qui jugent les jeunes et leurs réseaux sociaux – la référence du talk-show, c’est Popcorn, un format hebdomadaire assez semblable dans sa forme à une émission de télévision, mais avec un chat en live en plus et des streamers-animateurs. Ainsi, de temps à autre, peut-on y voir Étoiles, streamer spécialisé dans la culture sur Twitch avec sa fameuse Nuit de la Culture, s’inviter pour faire, l’espace d’une chronique, de la pédagogie en une vingtaine de minutes sur le nombre d’or ou l’origine du braille. Les réactions sont toujours les mêmes dans le chat : « quel crack », « trop intéressant », « on apprend facilement ».

De nombreux jeunes ne cessent de se recommander mutuellement de nouveaux livres à lire sur TikTok, déclenchant des ruées de jeunes en librairie.

Culture du livre

Ensuite, il y a les phénomènes comme le hashtag #BookTok. Il est essentiel d’en parler. En 2021, Emmanuel Macron fait de la lecture une « Grande cause nationale », un projet sur un an pour redonner le goût de lire et de la littérature en particulier aux publics jeunes. Les courbes de consommation du support livre chutent, le CNL s’en empare évidemment. Sauf qu’en parallèle, un phénomène organique a lieu. Il est puissant, viral et exponentiel : il s’observe autour d’un hashtag #BookTok, et de créateurs, les Booktokeurs et Booktokeuses, organisés pour répondre à cette cause nationale, mais sur TikTok.

En effet, sur la plateforme, de nombreux jeunes ne cessent de se recommander mutuellement de nouveaux livres à lire. Ils déclenchent des ruées de jeunes en librairie avec la promesse de vivre telle ou telle émotion en s’attaquant au Chant d’Achille de Madeline Miller ou en se lançant à corps perdu dans l’œuvre d’Haruki Murakami. C’est alors qu’on voit les PLV en librairies changer ; un coin « Vu sur TikTok » devient essentiel pour créer du trafic en magasin ou déclencher l’achat. Les jeunes d’eux-mêmes critiquent des œuvres de littérature, partagent leurs émotions et donnent à leurs pairs de nouvelles raisons, sûrement plus efficaces que celles du gouvernement, de se mettre à la lecture. De ne pas avoir peur, voire de ne pas s’arrêter à leurs a priori, pensant à tort qu’il sera plus facile de rire ou de pleurer devant la dernière création originale de Netflix qu’en lisant un bouquin de 300 pages. Ils se prouvent à eux-mêmes que c’est faux, que la lecture, c’est bien, et ils le font sur les réseaux sociaux.

Cette génération va bien, qu’on se rassure, elle est elle aussi en quête de savoirs et d’enrichissement culturel. C’est prouvé, les réseaux sociaux aident en partie cette dite GenZ à assouvir ce besoin.

Portes d’entrée culturelles

Et si suivre Charli D’Amelio sur TikTok (comme 140 millions d’autres abonnés) et tenter de reproduire ses chorégraphies les plus techniques était aussi une porte d’entrée vers l’univers de la danse et vers la découverte de nouvelles disciplines, du modern jazz à la danse contemporaine ? Et si se voir recommander les réalisations spectaculaires de pâtisserie de Cédric Grolet dans son Pour toi pouvait être le point de départ d’un intérêt pour la gastronomie française et d’une éventuelle vocation ? Et si les réseaux sociaux ne devenaient pas soudain plus rassurants ?

Un homme politique, ex-journaliste, a qualifié le rap de « sous-culture d’analphabètes »… Cela doit être inquiétant pour lui de voir que ce courant musical est aujourd’hui le plus écouté dans le monde, particulièrement par la jeune génération ! Ceux qui à l’inverse s’y intéressent, l’écoutent et le consomment, ceux qui considèrent le rap comme une culture à part entière utilisent quotidiennement les réseaux sociaux pour s’en nourrir et apprendre la science qui le compose. Ils cliquent les vidéos du Règlement sur YouTube qui dissèque toutes les références culturelles faites par tel ou tel artiste, ils vont sur Twitter pour comprendre la rythmique de la trap, discuter des sonorités caractéristiques de la drill, s’initier au solfège avec Ysos, toujours sur YouTube, ou encore tentent de déchiffrer l’art de la multisyllabique avec Dissect Podcast sur TikTok par exemple. Ils s’initient à tous ces arts, de la percussion à la poésie, à partir d’un single d’Alpha Wann et, encore une fois, grâce aux réseaux sociaux.

S’enrichir culturellement est une des raisons principales de la consommation des réseaux sociaux chez les jeunes. Les marques le savent déjà, c’est pourquoi elles intègrent des formats en réponse à ce besoin fondamental à leur ligne éditoriale. Dior utilise ainsi le format de crash course sur TikTok pour fournir une analyse des références culturelles des créations de son directeur artistique Dior Homme Kim Jones en plus de la démonstration de son savoir-faire. Supreme ne collabore pas avec une autre marque ou un artiste comme Damien Hirst ou Ralph Steadman sans partager leur « wiki » sur Instagram avant de sortir les produits. Les marques s’éditorialisent et s’adaptent à l’exigence d’une audience jeune, qu’elles les nourrissent culturellement, c’est pour ça qu’ils suivent.

Cette génération va bien, qu’on se rassure, elle est elle aussi en quête de savoirs et d’enrichissement culturel. C’est prouvé, les réseaux sociaux aident en partie cette dite GenZ à assouvir ce besoin. Si la forme peut paraître étrange à première vue, parfois hystérique sur TikTok ou militante sur Twitter, le mouvement d’enrichissement mutuel est intact, de temps en temps il devient même viral donc plus puissant que jamais. Faisons-leur confiance, ils sont loin d’être cons.

 

*Le Millennium Iconoclast Museum of Art est un musée d’art urbain et de la culture 2.0 situé à Molenbeek-Saint-Jean en région bruxelloise.

 

 

 

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