5 décembre 2022

Temps de lecture : 5 min

Les médias, ces marqueurs d’évolution

Face à des enjeux qui peuvent sembler écrasants, à l’ampleur et parfois la violence des mutations du monde, les médias aident à acquérir ou parfaire une culture écologique, à s’ouvrir à des initiatives solidaires et des modèles économiques alternatifs, à se familiariser avec des évolutions sociétales. Généralistes ou spécialisés, les médias fournissent chacun à leur manière des pistes pour devenir acteur du changement. Une interview tirée de la Revue 41 d’INfluencia

« Dérèglement climatique, on continue comme ça ? » interrogeait Libération en Une de son édition du 13 juillet 2022, alors que la France enchaînait les épisodes de très forte chaleur. Au croisement de l’actualité et d’épisodes de sidération du public, les médias décryptent les signaux forts et faibles du changement climatique, environnemental, sociétal, économique, alimentaire… Et participent de la prise de conscience autour de ces enjeux. Les médias généralistes ont amplifié leur couverture des phénomènes climatiques – au point parfois de créer ou de renforcer le sentiment d’éco-anxiété – et formé leurs rédactions à ces sujets. On ne compte plus les programmations spéciales, rubriques, séries de podcasts et autres newsletters qui soulignent l’urgence d’un changement de cap, les défis à relever et les modèles en devenir.

Les médias généralistes ont amplifié leur couverture des phénomènes climatiques et formé leurs rédactions à ces sujets. On ne compte plus les rubriques, podcasts, newsletters…

Médiateurs et acteurs

L’engagement des médias peut prendre aussi d’autres formes. En 2020, Arte était l’un des partenaires de l’enquête participative « Il est temps ». Celle-ci prenait le pouls des jeunes Européens sur les enjeux climatiques, démocratiques et sociaux, dressant l’autoportrait d’une génération inventive mais en colère, qui n’entendait rien lâcher sur l’environnement. Pour la deuxième année consécutive, la chaîne franco-allemande et la radio France Culture se sont associées autour du festival international des idées de demain « Et maintenant ? ». Ouest-France a inauguré à la rentrée 2022 un dispositif « Faire demain », qui propose à ses abonnés de soutenir financièrement des initiatives responsables et solidaires lancées au plus près de leur territoire et sourcées par la rédaction (lire page XX).

Le changement de modèle économique, écologique et social est parfois le cœur même de propositions éditoriales qui se déploient sur le papier, le digital et/ou en social. « Certains médias sont des marqueurs d’évolutions profondes de la société. Après la crise des subprimes, nous étions persuadés avec mon frère François d’être au-devant d’un changement d’époque. Cela nous a convaincus de l’intérêt de We Demain, qui regarde le monde à travers le prisme du changement d’époque et dit résolument oui à demain », explique Jean-Dominique Siegel.

En se lançant dans cette nouvelle aventure éditoriale, les deux journalistes prolongeaient aussi une histoire plus personnelle : à la fin des années 1970, leur père Maurice Siegel avait créé VSD, anticipant l’avènement de la société des loisirs. Depuis 2012, un site, une revue trimestrielle, de l’événementiel proposent des réflexions et des pistes de solution à des citoyens soucieux des dérèglements en cours et qui se passionnent pour les nouvelles tendances sociétales. Un numéro sur « l’amour en illimité » avait très bien marché, tout comme celui qui abritait un grand entretien avec l’éthologue et anthropologue Jane Goodall.

Un journalisme de solution

Jamais très éloignés d’un journalisme de solution ou d’impact, et reposant souvent sur des modèles participatifs, plusieurs médias ont fédéré depuis une dizaine d’années un lectorat autour de ces thématiques. Leurs approches éditoriales illustrent l’étendue des enjeux comme des possibles. Usbek & Rica, « le média qui explore le futur », décryptait à l’été 2022 les ressorts de « la grande démission », qui marque (aussi) une manière pour la jeunesse de reprendre en main son destin. Fondé en 2010, le titre a connu plusieurs ajustements avant d’intégrer en octobre 2022 le portefeuille de CMI France. Kaizen, « explorateur de solutions écologiques et sociales » lancé en 2011, doit son titre à la démarche japonaise d’amélioration continue issue de la fusion des mots kai (« changement ») et zen (« meilleur »). Le bimestriel consacrait son numéro de rentrée aux « énergies pour demain » avec des pistes pour « sortir des énergies fossiles et du nucléaire ». Socialter se penche depuis 2013 sur les idées nouvelles qui nous feraient évoluer « vers plus de justice et de démocratie, dans le respect des équilibres écologiques ». À la une de son numéro d’automne, une seule question : « Êtes-vous éco-anxieux ? » We Demain a sorti fin août un « numéro sobre », dont l’idée avait germé dès le début de l’année. La revue a paru fort opportunément au moment où la sobriété devenait le buzz word de la rentrée !

L’envie et le besoin du collectif

Ces médias s’adressent certes à un public déjà sensibilisé aux adaptations à venir, mais leur audience s’est progressivement diversifiée. « Au début, on était un peu dans l’entre-soi. Traiter de sujets variés sur la santé, la solidarité et l’habitat, ou de ce qui se passe dans les quartiers avec des associations a permis à des publics différents de nous rejoindre », note Nathalie Cahen, cofondatrice du média en ligne Marcelle. Né il y a quatre ans à Marseille à l’initiative d’un groupe de journalistes qui voulaient donner plus de sens à leur travail, il s’est depuis élargi aux réalisations d’autres régions. Parmi les plus fortes audiences : des articles sur la vie en yourte dans le Vaucluse, Marseille capitale de l’architecture et de la ville désirable ou un test autour de l’appli Too Good To Go. « Nos lecteurs apprécient de trouver une approche moins anxiogène que dans d’autres médias, mais ni bisounours ni béni-oui-oui. Chaque sujet part d’une problématique en montrant qu’il y a une solution ou une ouverture. Les témoignages et portraits inspirent, montrent qu’agir est à la portée de tous et incitent à aller voir plus précisément le travail des associations, poursuit-elle. Aujourd’hui, le public a davantage envie de jouer collectif. Être nombreux à faire des petits pas et des petits gestes permet de garder espoir, se motiver et se réconforter. » Une dynamique qui n’est pas sans rappeler la fable du colibri…

Pour passer de la parole à des pratiques plus fortes et plus nombreuses, Kaizen a opté en 2019 pour une écologie « sociale et intégrale » : « Le discours est devenu plus incisif, car au-delà de la prise de conscience, la situation continuait de s’aggraver en termes climatiques et de biodiversité », relate son rédacteur en chef Pascal Greboval. Pas facile pour autant d’accompagner un lectorat déjà averti dans ses demandes et sa propension à évoluer : « Chez les écolos, il y a cinquante nuances de vert. Les attentes sont très variées. Il ressort malgré tout une quête d’autonomie ; les gens préparent une forme de résilience parce que le monde d’après ne ressemblera plus à celui d’hier en termes d’accès à l’énergie. Cela se double d’une quête de sens et parfois même de spiritualité », témoigne-t-il. Il en veut pour preuve l’accueil très favorable fait au hors-série publié au printemps 2022 sur Hildegarde de Bingen, moniale allemande du Moyen Âge et pionnière de la naturopathie.

« Seul un ménage à trois pourra faire bouger les lignes. Aujourd’hui, le citoyen bouge à la marge, les entreprises pas trop et les pouvoirs publics pas suffisamment. »

Compte tenu de l’urgence, l’environnement tient une place très importante dans la plupart de ces médias. Le souci d’éclairer le public sur des enjeux complexes se heurte moins à une capacité à faire œuvre de pédagogie qu’à des freins qui tiennent au caractère et à la culture de chacun – notamment sur le rôle de l’innovation – ou au modèle économique et social. « Seul un ménage à trois, entre les pouvoirs publics, le citoyen et l’entreprise, pourra faire bouger les lignes, assure Jean-Dominique Siegel. Aujourd’hui, le citoyen bouge à la marge, les entreprises pas trop et les pouvoirs publics pas suffisamment. Nous n’aurons pourtant pas d’autre choix que de prendre des décisions plus radicales. » Kaizen aimerait y contribuer en renforçant ses propositions pour une autonomie « pratique », sur un territoire, une région ou sur le plan intellectuel. Car, affirme son rédacteur en chef, « se rendre compte que l’on n’est finalement pas si dépendant d’un système augmente la marge de manœuvre pour agir ».

Au début de la crise sanitaire, le « monde d’après » avait fait couler beaucoup d’encre. Face aux défis d’envergure systémique, les médias comptent jouer leur rôle pour rendre intelligible et désirable la transition vers des modèles plus responsables.

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