21 avril 2023

Temps de lecture : 8 min

Les JO attirent les marques aux poches bien pleines

Les marques se damneraient pour associer leur nom aux Jeux olympiques. À Paris 2024 comme par le passé. N’importe qui n’est pourtant pas le bienvenu : le ticket d’entrée plancher pour bénéficier des « faveurs » des Jeux est fixé à 50 millions d’euros. Faveurs, mais avant tout une lourde épreuve en termes d’image et de savoir-faire qu’il va falloir finement jouer. Sous les feux du monde entier, pas question de se planter. Visite gratuite dans les arcanes olympiques de ce labyrinthe économique (très bien fléché et détaillé). 

Les chiffres donnent le tournis et font saliver d’envie les marques. Les Jeux olympiques de Paris 2024, qui se tiendront du 26 juillet au 11 août, seront, sans aucun doute le plus grand événement jamais organisé en France. Quelque 9,7 millions de spectateurs sont attendus sur les 40 sites de compétition où seront engagés 45000 volontaires. Les performances des 10500 athlètes seront suivies par 6000 journalistes accrédités. Les 350000 heures de diffusion TV seront regardées par plus de 4 milliards de téléspectateurs. « Les JO sont, avec avec la Coupe du monde de football, l’événement le plus médiatique au monde mais l’image de l’olympisme est bien meilleure que celle du foot, surtout depuis les récentes critiques ciblant la FIFA, assure Jean-Loup Chappelet, le directeur de l’Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP) de l’Université de Lausanne. Les marques savent qu’elles vont être vues positivement si elles s’associent à ce rendez-vous quadriennal. » Le Comité international olympique (CIO) n’a pas ménagé ses efforts pour transformer les Jeux en une formidable machine de marketing. De notre enquête, il ressort que la devise « Citius, altius, fortius », imaginée par Pierre de Coubertin lors du Congrès fondateur du CIO le 23 juin 1894,  supporterait cette petite retouche : « Plus vite, plus haut, plus fort, plus riche » !

 

Records de fonds

Le Baron l’avait lui-même compris en créant la marque olympique et en définissant son identité. Il a également protégé l’appellation dès 1913, et imaginé son « logo » l’année suivante en dévoilant les anneaux olympiques au reste du monde. Les trois valeurs suprêmes de la « marque olympique » que sont l’excellence, le respect et l’amitié ne peuvent, quant à elles, que séduire les sponsors potentiels. Les marques ont pourtant mis du temps à exploiter le filon des JO pour accroître leur notoriété et leurs ventes.

L’entrée de l’olympisme dans le sport-business remonte aux Jeux de Los Angeles en 1984, à l’occasion desquels le comité d’organisation est parvenu à générer 157 millions de dollars de revenus de marketing, soit dix fois plus qu’à Montréal en 1976. En 1996, l’omniprésence de Coca-Cola à Atlanta, qui abrite le siège social de la marque rouge, avait fait grincer des dents. Les Jeux du Centenaire avaient même été surnommés les « Cocalympiques », et la ville hôte « Cocatlanta »… Cette édition-là ne représente toutefois qu’un « incident de parcours » sur un long chemin allant de succès en succès.

Le Comité Olympique des JO de Tokyo était ainsi parvenu à lever 3,4 milliards de dollars auprès de sponsors locaux. Cette somme est presque trois fois plus importante que celle collectée par Pékin quatre ans plus tôt (1,2 Md$) et largement supérieure au 1,08 milliard d’euros (1,15 Md$) budgété par Paris 2024, mais les Jeux japonais, qui ont été repoussés d’un an à cause de la pandémie, étaient spéciaux à plus d’un titre. « Pour la première fois, Tokyo est parvenu à ne pas donner à ses sponsors d’exclusivité dans leur secteur d’activité (Paris a tenté d’adopter ce modèle avant de se rétracter en raison de l’opposition des marques, ndlr), explique Jean-Loup Chappelet, qui a lancé en 1995 le premier cours de politique et de management du sport en Suisse. Il y avait ainsi deux compagnies aériennes parmi ses partenaires (Japan Airlines et ANA). Cette exception est liée à la culture japonaise, où l’organisation des Jeux olympiques est, avant tout, une question de fierté nationale. »

Lever autant d’argent n’est pas une sinécure, tout particulièrement pour un événement qui interdit aux marques d’afficher leur nom lors des compétitions. Pour préserver l’universalité de ses valeurs et ne pas tomber dans le sport-business, le CIO prohibe les publicités commerciales dans les enceintes où se déroulent les épreuves. Cela ne l’a toutefois pas empêché de multiplier le nombre d’emblèmes pour attirer les sociétés. En plus de ses anneaux, le mouvement olympique commercialise également l’usage des logos du comité d’organisation, de la ville-hôte, des mascottes, ainsi que le relais de la flamme.

 

Le top du TOP

Aujourd’hui, le CIO a quatorze partenaires olympiques, regroupés au sein du programme de parrainage mondial TOP, « The Olympic Partner ». « Chacun paie environ 150 millions de dollars pour obtenir ce statut, révèle Jean-Loup Chappelet, qui a travaillé pour le CIO de 1982 à 1987. Ces sommes, qui ne sont pas dévoilées au grand public, peuvent varier d’une marque à l’autre. Au départ, il y avait une dizaine de sponsors, mais je pense aujourd’hui que nous avons atteint une limite haute. La plupart de ces partenaires sont très fidèles. Coca-Cola a soutenu chaque édition depuis 1928 ! Panasonic est là depuis 1984 et Visa est arrivé deux ans plus tard. Plus récemment, Alibaba et Airbnb ont rejoint ce petit club. » Le programme TOP ne représente toutefois que 30% des revenus du CIO qui ont atteint 7,6 milliards de dollars entre 2017 et 2021. 61% de son chiffre d’affaires proviennent des droits de diffusion, les 9% restants sont générés par d’autres droits divers. 90% de ce très joli pactole sont redistribués aux comités d’organisation (COJO), aux comités olympiques nationaux et aux fédérations internationales. Le Comité suisse verse ainsi au mouvement olympique 4,2 millions de dollars par… jour. Paris 2024 va, à lui seul, toucher 1,22 milliard d’euros du CIO.

Les COJO peuvent, eux aussi, trouver leurs propres sponsors pour les aider à boucler leur budget. « Nous avons aujourd’hui 22 partenaires et nous espérons en rassembler entre trente et quarante avant l’ouverture des Jeux, détaille François-Xavier Bonnaillie, le directeur commercial en charge de la gestion des partenariats et des licences à Paris 2024. Pour être partenaire premium, le prix à payer est supérieur à 100 millions d’euros, les partenaires officiels versent, eux, entre 50 et 100 millions d’euros, et les supporters officiels aux alentours de 10 millions d’euros. »

 

Le bon timing

Les raisons qui poussent une entreprise à vouloir associer sa marque aux Jeux de Paris sont diverses et variées. La fibre patriotique joue un rôle important dans ce choix. « Nous ne faisons jamais de sponsoring sportif normalement, reconnaît Josep Catlla, le responsable des relations institutionnelles chez Sanofi. Nous préférons déployer nos efforts sur des actions de philanthropie liées à l’accès aux soins et à la R&D pour les besoins médicaux non satisfaits. En tant que laboratoire français, il nous a toutefois semblé logique de nous associer à un événement qui se tient pour la première fois en cent ans à Paris. » Carrefour ne dit rien d’autre. « Nous avons longtemps eu une tradition de sponsoring sportif, notamment dans le football et le Tour de France, résume Eve Zuckerman, la directrice Grands Projets & Paris 2024 du distributeur. Cela faisait partie de la culture de notre entreprise. Lorsque Alexandre Bompard est arrivé aux commandes du groupe en 2017, nous avons choisi de mettre ces partenariats à l’arrêt afin de nous concentrer sur notre relance. Alors que Carrefour commence à se redresser, le moment est venu de nous réinvestir dans le sport. Le retour des JO à Paris après un siècle d’absence, notre logo tricolore et notre présence dans le quotidien des Français depuis soixante ans nous ont encouragés à nous associer à Paris 2024. Pour dire vrai, nous n’imaginions pas ne pas en faire partie… » Cette question de « bon timing » a aussi été primordiale pour Sanofi. « 2024 va correspondre à la fin du plan quinquennal que notre directeur général, Paul Hudson, a mis en place et qui vise à apporter des solutions révolutionnaires aux patients grâce au lancement de nouveaux médicaments disruptifs, note Josep Catlla. Nous avons estimé que les JO seraient un bon moment pour fêter cette transformation. »

S’associer aux Jeux peut aussi représenter une sorte de bâton de maréchal pour une marque. « Nous sommes présents dans le sport depuis quatre décennies, relate Amel Bouzoura, la directrice du sponsoring et des partenariats sportifs chez FDJ-Française des jeux. Nous sommes sponsor d’une équipe cycliste depuis 1997 et notre programme Sport pour Elles encourage le sport féminin de haut niveau depuis 2016. Nous sommes également partenaire du Comité olympique français depuis 2000. Sponsoriser Paris 2024, que nous avions déjà soutenu en tant que partenaire lors de sa candidature, représente donc une forme d’aboutissement pour nous. Ces Jeux seront l’écrin de tous nos engagements dans le sport. » D’autres entreprises ne cachent pas un certain opportunisme quand elles expliquent les raisons qui les ont encouragées à soutenir les Jeux. « Paris 2024 sera notre seconde expérience des JO après Londres, remarque Pierre Viriot, le directeur du projet EDF Paris 2024. Notre but en 2012 était d’installer la marque EDF au Royaume-Uni. Cet objectif a été atteint, car les Jeux nous ont offert une énorme visibilité, largement supérieure à celle que nous aurait donné un partenariat avec une Coupe du monde de football. Nous avons observé un saut incroyable de notre notoriété outre-Manche grâce aux JO. Quand la candidature de Paris a été retenue par le CIO, nous avons entamé les négociations avec le COJO dès l’été 2018 et avons été, dix-huit mois plus tard, le second partenaire premium à nous engager après la BPCE. » Sponsoriser les Jeux permet aussi de gonfler ses ventes. Pour s’offrir une « Phryge », la mascotte rouge en forme de bonnet phrygien de Paris 2024, les amateurs doivent obligatoirement se rendre dans un Carrefour jusqu’en avril 2023. FDJ va, quant à elle, lancer des jeux de tirage et de grattage thématiques liés aux JO dans les prochains mois.

 

L’épreuve du feu

Être partenaire est également un moyen de montrer son savoir-faire au reste du monde. « La plupart des sponsors vont fournir des services durant les compétitions, ajoute François-Xavier Bonnaillie. Sodexo va préparer 40000 repas par jour pendant les compétitions, Enedis va brancher les sites des Jeux aux réseaux électriques afin d’éviter l’utilisation de groupes électrogènes polluants comme c’est normalement le cas lors de grandes compétitions, EDF va câbler tout le centre de Paris pour la cérémonie d’ouverture qui va être organisée le long de la Seine et Orange va fournir des connexions correspondant à l’organisation de 40 championnats du monde au même moment… Cet événement planétaire permet aux sociétés de montrer leur savoir-faire au reste du monde. C’est un défi que l’on pourrait comparer à une médaille d’or des compétences. »

Le statut de partenaire est aussi un bon moyen de motiver ses troupes en interne. Sponsoriser les JO permet en effet d’obtenir un quota important de places pour les compétitions, et ces tickets payants sont une manne pour les sociétés. « Nous voulons donner des tickets à de nombreux collaborateurs pour qu’ils assistent aux Jeux, prévoit Josep Catlla. Nous négocions aussi pour que le relais de la flamme passe à côté de certains de nos dix-huit sites industriels en France afin d’impliquer nos salariés qui sont loin de Paris. » EDF est encore plus ambitieux. « Nous allons mettre en place sur trois années des olympiades en interne, précise Pierre Viriot. En 2022, près de 20000 salariés ont participé à ces compétitions sportives. Les meilleurs se sont qualifiés pour des rencontres régionales prévues en 2023 et les sélections nationales auront lieu l’année suivante. »

Beaucoup de marques veulent également laisser une empreinte durable sur leur partenariat avec Paris 2024. « Nous allons financer dans une cinquantaine de communes la construction de terrains de sport de proximité, vante Amel Bouzoura de FDJ. Nous avons aussi signé des conventions avec des écoles comme Science Po et EM Lyon pour aider des sportifs en reconversion à suivre des études. » Tous les sponsors ou presque ont, par ailleurs, formé des équipes d’athlètes olympiques et para-olympiques qu’elles aident financièrement. Si sponsoriser les JO coûte cher, les retours sur investissements pour les marques peuvent donc être nombreux et conséquents.

Reste que pour faire connaître leur statut au plus grand nombre, les partenaires devront investir en « activation » entre le double et le triple des sommes dépensées pour obtenir le titre de sponsor.

Beaucoup attendent le dernier moment avant de signer un contrat avec le COJO pour éviter d’être impliqués dans d’éventuels scandales ou polémiques. Le Mondial de foot a laissé des traces… Mais le CIO fait preuve d’une grande prudence dans ce domaine. « En choisissant Milan, Los Angeles et Brisbane pour les trois prochaines olympiades, constate Jean-Loup Chappelet, le Comité joue la sécurité. » La FIFA devrait en prendre de la graine. Son siège zurichois est à peine distant de 235 km de celui du CIO à Lausanne. Un voyage d’étude s’impose…

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