14 novembre 2024

Temps de lecture : 6 min

Les influenceurs peuvent-ils sauver la boxe professionnelle ?

Après des mois de promotion, le combat entre Mike Tyson, légende vivante de la boxe, et Jake Paul, le sulfureux influenceur est enfin là. Quoi qu’en dise le talent vieillissant du premier, c'est surtout le potentiel marketing du second et ses millions d'abonnés qui risquent de remporter la mise pour les marques qui sponsorisent l'évènement et pour Netflix qui le diffuse...

Mike Tyson, à gauche, et Jake Paul, à droite

L’idée, autrefois extravagante, de voir un créateur de contenu/influenceur s’aventurer en dehors des réseaux sociaux pour capitaliser sur son potentiel commercial IRL – in real life – n’a plus rien de surprenant. La semaine dernière, dans sous INfluence, nous avions justement publié un sujet qui abordait le business – parfois juteux mais souvent casse gueule – des marques de vêtements lancées par les youtubeurs. Un business tellement prometteur au début de la plateforme, quand la dimension para-sociale du lien entre followers et créateurs de contenu était à son paroxysme – cf par ici pour mieux comprendre de quoi on parle – que les premiers arrivaient à vendre n’importe quel tee-shirt estampillé de leur logo aux seconds. Depuis, toutes les industries y sont passées, les boissons énergisantes, les cosmétiques, les bandes dessinées, jusqu’au sujet qui nous intéresse : le sport et en premier lieu la boxe amateur et professionnelle.

« L’histoire commence à l’été 2017, avec un combat de boxe amateur entre deux youtubeurs britanniques, Theo Baker et Joe Weller », rappelait Le Temps, mué en père castor, dans un article publié en 2023 : « Un collègue youtubeur, rappeur à ses heures, nommé KSI décide de s’y mêler en proposant d’affronter le vainqueur. Le match entre KSI et Weller a lieu en février 2018. La Copper Box, arène construite pour les Jeux olympiques 2012 de Londres, fait salle comble ; 7000 personnes s’y agglutinent, souvent des adolescents flanqués de leurs parents. Pas forcément fans de boxe, mais suiveurs des youtubeurs ». Surtout… le combat sera visionné 23 millions de fois.

Comment en est-on arrivé là ?

Au terme de ce “Rumble in the Jungle” – le combat mythique qui opposa Mohamed Ali à George Foreman en 1974 – à la sauce gen Z, KSI soulève la « ceinture » et défie dans la foulée Logan Paul, un méga influenceur étasunien que tout le monde adore détester… à juste titre. Après des mois d’entrainements et de coups de com sur les réseaux, le combat entre les deux influenceurs (qui vont finir par se rabibocher par la suite pour monter des business aussi lucratifs que douteux, mais c’est une autre histoire) va rapporter 150 millions de livres sterling. « On parle même du plus grand combat amateur de tous les temps », rappelle Tom Banham, journaliste pour GQ magazine. Leur revanche dans un format professionnel l’année suivante « aurait vendu deux millions de billets en pay-per-view et permis à KSI et Logan Paul de toucher chacun 900 000 dollars garantis, le total de leurs gains s’élevant à plusieurs millions de dollars ».

Et que fait-on quand on touche un tel jackpot ? On répète – et on perfectionne – la formule, pardi. C’est dans cet état d’esprit que Jake Paul – le frère, tout aussi problématique, du fameux Logan Paul – a lancé sa propre société, Most Valuable Promotions, en 2021 et que KSI a cofondé Misfits la même année. Comme ce dernier l’explique lui-même : « On a regardé ce qui se passait autour de nous et on s’est dit qu’il y avait un truc à faire, mais c’était plutôt bordélique. Il n’y avait pas vraiment d’organisation vers laquelle tout le monde pouvait se tourner et dire ‘La boxe crossover, c’est ça.’ Alors on l’a créée ».

En août 2022, la jeune entreprise organise son premier évènement qui est immédiatement un succès en attirant près de deux millions de téléspectateurs, dont 90 % de nouveaux abonnés, pour DAZN, son diffuseur. « Quatre mois plus tard, à 11 h 30 le jour de Noël, Misfits signe un contrat d’exclusivité de cinq ans avec la plateforme, qui lui verse des droits et partage les recettes du pay-per-view », précise Tom Banham. C’est ainsi que le genre a gagné ses lettres de noblesse… à coup de millions en pay-per-view.

Comment s’accaparer les yeux du monde entier ?

Mais si l’on vous parle de tout ça aujourd’hui – non pas que le sujet soit passionnant de base et révèle beaucoup de choses sur notre manière de nous divertir en 2024 – c’est parce que demain soir est retransmis en prime time – heure étasunienne – sur Netflix ce qui est certainement l’aboutissement du concept de « boxe crossover » : un combat professionnel complètement irréel entre Jake Paul, que l’on a déjà évoqué, et l’une des plus grandes légendes de la boxe doublée de l’un des athlètes les plus impressionnants de l’histoire des sports professionnels… j’ai nommé Mike Tyson.

Quand il a été annoncé pour la première, ce duel entre la mégastar des années 80 et 90 et son rival de 31 ans son cadet vers 02h00 du matin, heure française, n’était pas vraiment pris au sérieux d’un point de vue sportif. Mais le fait que « Iron Mike » remonte sur le ring pour un combat officiel et que Netflix n’a cessé de le marketer depuis presque un an ont fini par le transformer en méga-événement. Nakisa Bidarian, le promoteur du « trouble child » – le surnom autoproclamé de Jake Paul – a même prédit que ce serait « le combat le plus regardé de l’histoire moderne de la boxe ».

Tout le monde est content

L’AT&T Stadium d’Arlington au Texas accueillera 80 000 spectateurs pour l’occasion, ce qui est également l’occasion rêvée pour Netflix de tester son potentiel en tant que diffuseurs d’évènements sportifs. « Je pense que c’est sensationnel », a déclaré Axel Schulz à l’agence de presse allemande Deutsche Presse-Agentur, « parce que cela ramène l’attention sur le sport. C’est bon pour la boxe dans le monde entier ». Et le montant de la redevance est lui aussi justifié. Les insiders estiment que Tyson gagnera entre 50 et 100 millions d’euros en tant qu’attraction principale du spectacle. C’est probablement la raison principale de son retour. Paul a déclaré qu’il percevrait l’équivalent d’environ 35 millions d’euros.

Côté Netflix, qu’est-ce qui rend Jake Paul si intéressant en tant qu’adversaire de Tyson ? Plus que sa compétence en boxe – qui est loin d’être ridicule, restons honnête –, c’est son potentiel marketing… à savoir son nombre de followers, bien évidemment. Il en compte aujourd’hui 27,1 millions sur Instagram et 20,8 millions sur YouTube. Sa dernière vidéo en date, intitulée justement « I’m going to war with Mike Tyson » a ainsi amassé un demi million de vues en seulement 24h. De la promotion aux petits oignons pour le service de streaming. Sans même compter la pluie de vidéos produites par des youtubeurs tierces pour couvrir l’évènement. Netflix a parfaitement réussi son pari d’agiter l’écosystème des créateurs de contenu afin de toucher de nouvelles audiences potentielles.

Les sponsors et Netflix avancent main dans la main

Tout cela sans même parler de l’intérêt pour les sponsors. Celsius, DraftKings, Meta Quest, Experian et le fabricant de bière Spaten ont tous signé pour sponsoriser le combat et la programmation mise en place par Netflix pour en faire la promotion. Certaines des marques citées auront même le luxe – moyennant finance – d’être représentées tout le long de la diffusion par des intégrations de leurs logos dans le ring et dans tout le stade. Une stratégie qui incarne parfaitement la volonté de Netflix d’intégrer des marques dans son portefolio grandissant de contenus en direct – donc non scénarisés – , a déclaré Magno Herran, vice-président des partenariats marketing mondiaux de Netflix, lors du sommet « Content Meets Commerce » organisé par Variety à New York début octobre.

Les combats de boxe ne sont pas les seuls évènements à faire l’objet d’une programmation en direct par Netflix. Le 25 décembre prochain, comme un gros cadeau pour ses abonnés, le service de streaming diffusera par exemple deux matchs de la NFL, la Ligue de football américain professionnelle… en attendant la mise en place d’une stratégie full direct pour les plateformes de streaming ? « Nous accélérons sur le segment des évènements en direct mais surtout sur le sport et cela devrait prendre encore plus d’ampleur dans les années à venir », conclut Magno Herran.

Vous l’aurez compris, si le combat de samedi soir est un franc succès financier, Jake Paul aura réussi l’exploit de redonner des couleurs à la discipline tout entière… mais également à Netflix qui se cherchait un nouveau cheval de bataille pour gonfler son nombre d’abonnés. Donc au contraire de ce que pensent certains fans… non, les influenceurs n’ont pas simplement corrompu la beauté d’un sport qui se portait très bien sans eux. D’un côté, ces combats « crossover » offrent une plateforme à certains des plus grands combattants de l’histoire et de l’autre, ils engagent un public plus jeune et maintiennent l’intérêt pour un sport qui devenait de plus en plus inaccessible en raison des prix exorbitants du pay-per-view. Donc… sit back, relax and enjoy the fight.

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