23 juillet 2025

Temps de lecture : 5 min

Les grandes leçons marketing d’Ozzy Osbourne – par Thomas Jamet, fondateur de l’agence 7KIDS

Dans le tumulte incandescent de la pop culture et du hard rock, Ozzy Osbourne s’imposera comme une figure mythique, totémique, comme un chant primal qui traverse le temps et les âges.

Né dans le ventre obscur de Birmingham, cette cité industrielle, rugueuse, prolétaire en 1948, il est l’enfant du fer et du charbon, forgé dans la poussière d’une Angleterre ouvrière, là où la révolte se murmure et gronde en sourdine pour transfigurer le monde.

John Michael Osbourne, dit Ozzy, décédé ce 22 juillet 2025, n’était pas seulement l’autoproclamé « Prince des Ténèbres », il était le showman / chaman qui a fait jaillir le feu du heavy metal, ce son lourd, quasiment surnaturel, ce fracas qui embrase les âmes rebelles depuis les années 60, généré avec ses comparses Tony Iommi, Gezzer Butler et Bill Ward de Black Sabbath et repris par des légions d’artistes.

Son existence tout entière fut une odyssée entre ombre et lumière, une épopée chaotique, marquée par des frasques légendaires — notamment l’arrachage avec la bouche de la tête d’une colombe lors d’une conférence de presse puis d’une vraie chauve-souris ensuite sur scène — qui attestent de sa nature brute, indomptable, presque sacrée dans sa démesure. Ces gestes, mythifiés, sont autant de rituels d’émancipation, où la folie se mêle au spectacle et au sacré.

La volonté irréductible de l’archétype

Par-delà la fureur du son et les scandales, Ozzy incarne cette force primordiale que Mircea Eliade nommait hiérophanie — la manifestation du sacré au cœur du profane. Pour Eliade, la hiérophanie suprême est, pour le chrétien, « l’incarnation de Dieu dans Jésus-Christ » (Le sacré et le profane, Paris, 1965). Osbourne était le porteur d’un telos, d’une finalité sacrée. Le telos, concept central chez Aristote, désigne la fin ou le but naturel de toute chose — chaque être tendant vers sa réalisation propre (comme l’homme vers la vertu et le bonheur). C’est ainsi que Thelema, qui signifie « volonté », a été réinvesti au XXe siècle par Aleister Crowley pour fonder son mouvement philosophique, inspiré par Rabelais et Saint Augustin où l’individu doit découvrir et suivre sa « Véritable Volonté », sa mission profonde. Osbourne expliquait ainsi lors de plusieurs interviews qu’il n’était pas fait pour travailler à l’usine mais qu’il a été porté par cet instinct primordial qui l’a fait devenir ce qu’il devait être. Osbourne lui dédia un de ses titres phares « Mr Crowley » en 1980, sur son tout premier album solo intitulé Blizzard of Ozz.

Carl Gustav Jung aurait vu en lui un héros, celui qui traverse les ténèbres intérieures pour se retrouver — ce processus d’individuation où la confrontation avec l’ombre forge l’identité, une sorte d’ « héroïsme intérieur » (Psychologie et AlchimiePsychologie und Alchemie,1944). Dans cet ouvrage fondamental, Jung analyse la symbolique alchimique comme une métaphore de l’individuation et de la confrontation à l’obscurité, étape essentielle où l’individu se découvre et se transforme. Ozzy est ainsi cette figure archétypale, un anti-héros lumineux et sanguin, dont la vie même est une épopée à la fois douloureuse et grandiose.

Pour le marketing, cette leçon est radicale : une marque doit s’enraciner dans un centre secret, une vérité sacrée, un feu inextinguible qui lui donne force et densité. La source de toute authenticité.

La métamorphose ludique : le corps collectif et la fête Dionysiaque

Michel Maffesoli nous enseigne que dans nos sociétés postmodernes, la vie s’exprime par la festivité Dionysiaque, par la danse collective, celle du Dieu Pan et des concerts massifs où l’identité s’invente en spectacle et se rassemble dans la foule (LeTemps destribus: le déclin de l’individualisme dans les sociétés postmodernes, Paris,1988). Ozzy, de ses débuts avec Black Sabbath aux tribunes de télé-réalité de sa série The Osbournes jusqu’à sa récente émission avec sa  famille, en passant par ses collaborations les plus farfelues (qui incluent même la commercialisation récente de son ADN dans une boisson*) incarne parfaitement ce théâtre du sacré et du profane, cet aller-retour irrésistible dont il n’était sans doute pas un penseur conscient mais un acteur joué plutôt que jouant, porté par une réalité, un égrégore qui le dépassait certainement, mais qui parlait par lui.

Il est aujourd’hui, à sa disparition le clown sacré, à la fois porte-parole et transgresseur en chef, jongleur entre les mondes, figure de la communion festive et du rite. Sa musique, son image et ses frasques participent à une catharsis collective, une cérémonie joyeuse où les passions se déchaînent.

Pour les marques, Ozzy ouvre la voie d’un renouveau marketing vivant, enraciné dans le ludisme rituel, qui crée du lien au-delà de la simple transaction. Un retour aux sources, où la marque est tout, et rien, un instant éternel.

La sortie en légende : rites d’initiation et immortalité

Que la scène du dernier concert d’Ozzy et Black Sabbath, ce 5 juillet 2025 à Birmingham, résonne comme un rite de passage ultime ! Ce n’est pas une fin mais une transfiguration, un retour aux origines sacrées, un Back to the Beginning (comme la cérémonie – plus qu’un concert – était appelée, avec des dizaines de milliers de spectateurs sur place et des millions en ligne), chargée d’émotion — où le Prince des Ténèbres embrasse son héritage avec la gravité festive d’une communauté métaphysique, globale, socialisée. La marque dans toute sa splendeur, travaillée par son manager, sa muse et son épouse Sharon Osbourne qui a travaillé à son image jusqu’au bout, et qui en outre permis de ramener près de 200 millions de dollars aux enfants malades (Cure Parkinson’s, Birmingham Children’s Hospital  -maladie dont il est mort – et au Acorn Children’s Hospice).

À la manière des Maîtres Passés disparus — John Lennon en martyr pacifiste, Freddie Mercury en mythe hermétique flamboyant, Lemmy Kilmister en chevalier rebelle — Ozzy signait ainsi sa sortie comme un pont vers l’éternité, une légende vivante qui se soude dans le cœur de ses tribus. L’émotion planétaire, d’Elton John à Metallica, en témoigne.

Pour les marques, il s’agit d’un modèle précieux : orchestrer sa sortie comme un rite d’initiation ultime, un passage sacré qui installe la mémoire vivante, cultiver une identité vraie et puissante, une métamorphose ludique, jusqu’à peaufiner la sortie en légende, pour tisser un lien émotionnel profond, qui résiste à la désagrégation sociale pour transcender jusqu’aux réseaux sociaux en suscitant une émotion réelle, loin des moments éphémères et des memes. C’est un peu ce que nous avons voulu avec le logo de 7KIDS, notre nouvelle agence, créé par un designer de Bristol spécialisé dans la musique et inspiré des années 80 et de Slayer, un des nombreux groupes qui doit tant à Sabbath et Ozzy).

Une invitation à réenchanter la société par la force des archétypes. Ozzy est un peu partout et nulle part et nous rappelle que c’est dans l’ombre et la lumière, dans le théâtre de la réalité, que naissent les âmes et également les marques fortes.

La relève flamboyante et le mythe du Phenix

À la disparition d’Ozzy Osbourne, l’émotion planétaire a souligné qu’il était bien plus qu’un artiste mais une figure totémique, transgressive et visionnaire. Il a incarné une énergie dionysiaque, entre chaos et transcendance, mobilisant les affects collectifs et sculptant une mythologie vivante. Dans son sillage, les suédois de Ghost, flamboyante relève du metal théâtral **, incarne la force du rituel scénique et du sacré, quand Yungblud, jeune prodige, fusionne rock et pop dans une révolte festive et hybride — une nouvelle tribu mutante, plus pop, plus digitale, mais non moins habitée par la flamme. À travers eux, la torche brûle encore.

Tel un Phénix, Ozzy ne disparaît pas : il se régénère dans ses héritiers. Car il ne s’agissait jamais de l’imiter, mais de comprendre sa puissance : celle d’un magicien des symboles, maître des métamorphoses, dont la postérité irrigue encore l’imaginaire contemporain. Ozzy Osbourne demeure, pour le XXIᵉ siècle, une icône alchimique, artisan d’identités et d’excès, à la fois culte et culture. Ozzy Osbourne s’est effacé, mais son souffle sauvage (et sacré) continuera d’embraser nos imaginaires — et enseigne à tous, dans la pop culture comme dans nos mondes de la communication, la puissance d’une volonté irréductible, d’une fête éternelle et d’un départ sublime, merveilleux rite de passage vers l’éternité. Place à la célébration : une grande fête pour la vie, une plus grande fête pour la mort ! No More Tears !

— par Thomas Jamet, fondateur de l’agence 7KIDS, Paris, 22 juillet 2025

En savoir plus

*En juin 2025, Ozzy Osbourne s’est associé à la marque Liquid Death pour lancer une édition ultra-limitée appelée “Infinitely Recyclable Ozzy” : dix canettes de thé glacé qu’il a bues et écrasées lui-même. Ces canettes contiennent de traces de son ADN (salive), sont scellées en laboratoire, signées Ozzy, et vendues 450$ pièce. La campagne joue sur l’humour noir et la provocation : “Clone me, you bastards”, disent-ils — même si la marque précise que l’intégrité de l’ADN et la possibilité de clonage futur ne sont en aucun cas garanties, et que cela relève d’un gimmick marketing provocateur.

** Ghost de A à Z : Le dictionnaire diabolique (Camion Blanc, 2022) par Thomas Jamet et Marie Berginiat, illustré par Maxime Kervagoret

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