30 juin 2016

Temps de lecture : 7 min

Leçons de Cannes : le récit, ça relie

Six jours et une nuit au sein du tout nouveau jury « Entertainment » des CannesLions, c’est épuisant, mais formidablement enrichissant. Avec plus de 1800 projets présentés par les plus grandes marques, ce nouveau « segment » de Cannes a de toute évidence suscité beaucoup d’attention. Vous avez dit « Entertainment » ?

Six jours et une nuit au sein du tout nouveau jury « Entertainment » des CannesLions, c’est épuisant, mais formidablement enrichissant. Avec plus de 1800 projets présentés par les plus grandes marques, ce nouveau « segment » de Cannes a de toute évidence suscité beaucoup d’attention. Vous avez dit « Entertainment » ?

C’est le point de jonction (« The Sweet Spot », diraient mes collègues jurés) entre branded content et storytelling autour d’un événement, d’un spectacle, d’un film, d’une série, de toute forme narrative ample destinée à capter l’attention, à divertir au sens noble du terme, à réjouir l’audience visée. La création cette année d’un jury des CannesLions entièrement dédié au sujet envoie à cet égard un signal fort, que Philip Thomas, CEO CannesLions, et Jae Goodman, président de notre jury, ont longuement commenté pendant notre conférence de presse vendredi dernier. Pour beaucoup d’observateurs, il s’agit de la nouvelle frontière de l’âge « post-publicitaire ».

Cette création intervient en effet dans un contexte où les formats publicitaires classiques sont confrontés à un désenchantement qui va croissant, particulièrement chez les Millennials : leur dédain vis-à-vis des spots TV et leur agacement croissant pour ce qui est des pubs online imposées autour des vidéos qui les intéressent, ont des effets dévastateurs. Le téléchargement des diverses solutions de ad-blocking software explose, tout comme la souscription des options « sans pub » de type YouTube Red, Spotify Premium ou Netflix et Amazon Prime Instant Video.

Tout ce qui peut favoriser l’évitement de la pub intrusive, invasive, imposée, est – tout comme les « programmatic pop-ups » de tout poil – activement recherché, et adopté. Au fil des longues séances pendant lesquelles nous avons passé en revue les centaines de projets de la shortlist, nous avons été très attentifs aux critères suivants :

– la qualité irréprochable des réalisations, sur le fond comme dans la forme – un point d’autant plus essentiel que bon nombre des formats évalués pouvaient être longs, voire très longs (15, 20, 30, 45 minutes…),

– la richesse des contenus et leur capacité à attirer et retenir l’audience – attirer, non forcer,

– la valeur d’image créée pour les marques, mais aussi les résultats concrets en termes de notoriété, d’attribution, de reconnaissance, d’agrément, d’engagement et d’objectifs de vente : l’entertainment, ce n’est pas l’art pour l’art, c’est une forme nouvelle de relation aux marques avec de clairs objectifs « business », corporate ou commerciaux,

– « entertainment » ne doit pas non plus se confondre avec « entertaining » : l’intelligence du contenu, la pertinence de son rapport à la marque, l’attachement qu’il suscite, l’intensité de la relation créée par le récit *, c’est de tout cela qu’il s’agit, et non de simple divertissement, au sens trivial du terme.

D’une certaine manière, ce nouveau jury dédié à des projets par nature hybrides, représentatifs d’une industrie de la communication en pleine disruption, désormais dépourvue de frontières disciplinaires claires, permet de tirer des enseignements transversaux, dont voici, humblement et très brièvement, la synthèse que j’opère et qui, naturellement, n’engage que moi. A bien des égards, 2016 aura été à Cannes l’année de la convergence réelle – et non plus annoncée :

– convergence technologique

Cette dimension de la convergence est sensible partout : omniprésence des data et de leur exploitation de plus en plus granulaire, applications mobiles innombrables, reconnaissance vocale, images hologrammes…la liste est infinie, et les effets concrets sur la précision et la « profondeur » de la relation établie avec les audiences visées sont remarquables. Les exemples sont légion, avec – parmi beaucoup d’autres :

– Dream Adventures, Expedia, Entertainment Brand Experience New Technology Brand Experience, entered by 180la, Santa Monica : faire voyager même ceux qui ne peuvent pas bouger, une très belle initiative

– Museum of Feelings, SC Johnson, Entertainment Brand Experience Live Brand Experience, entered by O & M, Chicago : un formidable succès à New York, et une manière de célébrer l’alchimie des synesthésies que Baudelaire eût aimée…

– The Field Trip to Mars, Lockheed Martin, Entertainment Brand Experience Innovation in Brand Experience, entered by McCann New York : la première expérience collective de réalité virtuelle, pour familiariser des enfants avec la vie sur la planète rouge

– The Next Rembrandt, ING, Entertainment Brand Experience New Technology Brand Experience, entered by JWT Amsterdam : le pouvoir fascinant des data, mais aussi une technique de restauration utile, et l’approfondissement de la relation entre ING et le Maître.

Mais le plus extraordinaire, à tous points de vue, est « The Displaced » du New York Times, à qui nous avons décerné le Grand Prix (également donné par le jury Mobile, et pour cause !). C’est pour le niveau exceptionnel atteint en termes de Branded Content & Storytelling que nous l’avons accordé, pour la formidable et bouleversante expérience immersive offerte à plus d’un million de lecteurs du journal à qui un « headset » en carton avait été envoyé : ils n’avaient plus qu’à télécharger l’application ad hoc du NYT, à mettre leur smartphone dans le headset, pour se plonger en réalité virtuelle, à 360°, dans la vie vécue de réfugiés éprouvés, affamés. Lire un article sur le sujet est une chose, visionner un reportage en est une autre, mais se retrouver dans une pirogue à côté d’un adolescent africain réfugié est tout autre chose. Et pour beaucoup des fidèles de la « Grande Dame » de New York, ce fut une première inoubliable – et naturellement fidélisante. Intelligence stratégique de l’initiative et « coup » marketing réussi : bravo.

C’est à n’en pas douter le futur du journalisme : le NYT fait désormais de la réalité virtuelle sa norme pour tous les grands sujets. Et c’est cette disruption fondamentale que nous avons voulu reconnaître et récompenser, car elle change les données de toute une industrie. Les applications de VR sont innombrables et le pouvoir de la « Empathy Machine » grandit jour après jour, donnant à la notion d’expérience de marque une nouvelle dimension.
La réalité est virtuelle, l’émotion est réelle.
The Displaced, The New York Times, Entertainment Branded Content & Visual Storytelling, Innovation in Visual Storytelling and Branded Entertainment, entered by vrse.works, Los Angeles https://www.youtube.com/watch?v=2o4MgqvjAvY

Convergence mobile

Ce qui fut longtemps et bruyamment prophétisé est aujourd’hui une simple réalité: le smartphone, l’écran personnel préféré qui ne nous quitte plus, est notre indispensable lien aux nôtres, aux autres et au monde. Parmi les nombreux projets primés :

Sea Hero Quest, Deutsche Telekom, entertainment games innovation in branded games, entered by Saatchi & Saatchi, London : comment « jouer utile » sur son portable, en contribuant à faire avancer la recherche scientifique ?

Help, Google, directed by Justin Lin (Fast & Furious, Star Trek Beyond).

To view the show in full interactive 360, use the YouTube App on a compatible Android device. For iOS, download the Google Spotlight Stories app now (https://goo.gl/eadPnO) : les effets d’une pluie de météorites sur Los Angeles, et la panique à 360° face à des monstres – le storytelling mobile dans sa toute-puissance.

Convergence sociétale

Les formats plus amples donnent aux marques une latitude narrative bien plus grande, qui convient mieux à l’intégration de sujets sociétaux – une tendance forte de ce millésime 2016. Education, crises familiales, divorce, coming out, racisme, pauvreté : aucun sujet n’est tabou désormais, et le temps où les marques se montraient très timides en la matière semble bien lointain.

Parmi beaucoup d’autres exemples :

The Family, Ford, entertainment branded content & visual storytelling online, fiction 15 minutes or over in length, entered by Very Agency, Copenhagen : une série sur le thème douloureux du divorce, dont la voiture familiale est un des acteurs. Loin, très loin, de l’insouciance heureuse de la pub auto…

Nikewomen: Margot vs Lily, entertainment branded content & visual storytelling online, fiction series, entered by Wieden+Kennedy, Portland : encore une série, consacrée à la relation compliquée de deux sœurs d’adoption, et dont le workout et la Nike app sont les héros discrets, mais efficaces si l’on en juge par les résultats commerciaux ! Et on est pleinement dans l’imaginaire de la marque Nike.

Magic words, hp, entertainment branded content & visual storytelling online, non-fiction 15 minutes or under in length, entered by almapbbdo, São Paulo : très belle illustration de la puissance émotionnelle d’une histoire où le « facteur humain » est pivotal, et où la marque exprime aussi pleinement que naturellement son purpose.

Never Alone, Diageo, entertainment branded content & visual storytelling online, non-fiction 15 minutes or under in length, entered by amvbbdo, London : une histoire magnifiquement narrée, sur la difficulté d’un coming out pour un joueur de rugby notoire

Free The Kids, Persil UK, UNILEVER, entered by Mullenlowe Group, London : qui passe le plus de temps dehors, un enfant… ou un prisonnier de haute-sécurité ? Quelle plus belle manière de signifier que #dirtisgood…

Convergence collaborative

La vague du crowdsourcing et de la co-création est devenue un véritable tsunami. Idées, contenus, micro-films, musique, lancement de produit….de plus en plus de marques donnent la parole à leurs consommateurs, voire à leurs employés. Quelques exemples parmi la myriade de cas présentés :

The Swedish Number, Swedish Tourist Association, entertainment brand experience use of user generated content in a brand experience, entered by ingo, Stockholm : chaque jour, un citoyen lambda – et même le Premier ministre – répond au téléphone aux touristes étrangers désireux de visiter la Suède, et c’est souvent hilarant

Play my tweet, Foot Locker, entertainment sports use of user generated content in sports entertainment, entered by BBDO, New York : on demande aux fans de basket en général, et de James Harden en particulier, de tweeter ce qu’ils lui demandent de faire. Ces tweets sont imprimés sur des balles, et Harden s’exécute. S’il rate le panier, c’est le gage fixé qu’il exécute, si bizarre soit-il. Génial.

Grilled dogs: the whopper of hot dogs, Burger King, entertainment talent talent, visual storytelling entered by Code & Theory, New York : quand une marque lance un nouveau produit, les employés sont les premiers à en parler sur les médias sociaux. Donc, pourquoi ne pas leur donner « officiellement » la parole ? Résultat garanti !

Girl emojis, P&G, entertainment brand experience, social brand experience, entered by Leo Burnett Chicago et MSLGROUP : dans la continuité du légendaire #likeagirl, qui mieux que les adolescentes elles-mêmes pourrait dire quels types d’emojis elles souhaiteraient pouvoir utiliser pour exprimer leurs émotions, alors que ce qui leur est actuellement proposé a été conçu par des mecs ?

La raison d’être des EntertainmentLions s’est ainsi parfaitement incarnée en cette année de lancement, et même au-delà des espérances des organisateurs qui l’avaient ainsi formulée : « The Entertainment Lions re-examine what it takes to make content that cuts through, that turns consumers into fans and ascends to the cultural mainstream ».

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