14 février 2022

Temps de lecture : 8 min

Gaspard Gantzer : « Le temps des rentiers de la politique se termine et c’est une excellente nouvelle »

S'il est, comme il parle, vif, rapide, intelligent, cultivé... l'énarque est surtout conscient que l'époque est à l'équilibrisme. Alors, Gaspard Gantzer, l'électron libre de gauche qui ne fait plus de politique, préfère l'observer, comme dans ses chroniques sur France Info. C'est plus safe. Et il veut bien faire un brin de causette avec INfluencia. Mesurons notre chance !
INfluencia: on se souvient de « publicitaires célèbres » aux côtés de politiques… C’est fini la pub en politique ?

Gaspard Gatzer : Jacques Séguéla avait joué un rôle clef auprès de Mitterrand en 1981, après cela avait été le tour de Jacques Pilhan auprès de Mitterrand en 1988 puis de Chirac en 1995. Jean-Michel Goudard a été conseiller Nicolas Sarkozy jusqu’en 2012. Mais c’est vrai que depuis cette époque, on entend moins parler des grands noms de la publicité dans le champ politique. C’est dommage, car je suis certain que les talents de Georges Mohammed-Chérif (Buzzman), Antoine Colin (Mullen & Lowe), Gabriel Gautier (Jésus et Gabriel) ou encore Pascal Grégoire (Justement) seraient bien utiles aux candidats!

Je pense que, dans l’ entourage des candidats, on manque de gens visionnaires et créatifs, capables de voir à long terme, au-delà des vicissitudes de l’actualité.

IN. : qui sont aujourd’hui, les conseillers des candidats ?

G.G. : ce sont principalement des collaborateurs de longue date, des anciens assistants parlementaires ou conseillers en cabinet ministériel ou en collectivités locales. Ils viennent plus du monde politique que du monde publicitaire. On trouve aussi des gens très jeunes, professionnels des réseaux sociaux, qui se sont formés eux-mêmes, et maitrisent parfaitement les codes de TikTok, Instagram et Snapchat. De mon point de vue, c’est Jean-Luc Mélenchon qui dispose de la meilleure équipe, la plus créative et innovante. Il avait déjà eu un temps d’avance avec le recours aux hologrammes en 2017. Cette fois, il a encore fait très fort avec son meeting immersif et olfactif. Plus largement, je pense que, dans l’entourage des candidats, on manque de gens visionnaires et créatifs, capables de voir à long terme, au-delà des vicissitudes de l’actualité. Il faudrait plus de professionnels du temps long et de la stratégie, des gens qui prennent le temps de lire, de réfléchir, et moins d’artistes du buzz et de la tactique au quotidien.

Il y a une prime au buzz, aux provocations et aux coups de com.

IN. : qu’est-ce qu’Internet a changé selon vous à la vie politique ?

G.G. : cela a tout changé. En bien, car il est plus facile pour un dirigeant ou un candidat de prendre la parole et d’interagir avec les citoyens. On y gagne en démocratie participative. On peut par exemple faire des sondages en direct, poser des questions aux citoyens sur leur quotidien, tester des propositions avec eux. C’est très riche. En mal, car le rythme est devenu hyper-rapide. On est passé dans l’ère du méga-zapping numérique. On passe d’une information à l’autre en un clin d’oeil. Difficile de se concentrer et de retenir quoi que ce soit. Le temps d’attention des citoyens a diminué. Il y a une prime au buzz, aux provocations et aux coups de com. La forme l’emporte souvent sur le fond, l’image sur le message. Et enfin, la désinformation explose en ligne, ce qui oblige l’entourage des candidats à rétablir la vérité en permanence.

IN. : c’est la première fois qu’une présidentielle se déroule sous l’ère des réseaux sociaux. Est-ce vivable à long terme ?

G.G. : les réseaux sociaux ont joué un rôle marginal en 2012, un peu plus important en 2017. Mais c’est en 2022 qu’ils vont être le principal terrain de jeu des candidats. Entre les meetings en ligne, les lives sur Twitch, les capsules sur Instagram ou TikTok et les concours de punchlines sur Twitter, on ne va pas s’ennuyer. Je pense que c’est durable. Pendant 50 ans, la politique était un sport télévisuel, avec le 20h en majesté, et les grandes émissions politiques hebdomadaires. Cela va devenir un sport numérique pour le demi-siècle suivant. Les citoyens passent plus de temps devant leur écran de téléphone que devant leur TV, et cela ne changera plus. Les candidats vont devoir s’y habituer, pour le meilleur comme pour le pire.

Il y a aussi de la place pour les conversations de fond, via des podcasts par exemple.

IN. : comment est-il possible d’être audible aujourd’hui, et surtout crédible ? La parole, les mots, les messages peuvent-ils finir par devenir inefficaces ?

G.G. : c’est devenu très difficile pour un candidat d’être entendu, écouté et compris, compte tenu du brouhaha permanent sur les réseaux sociaux. Tout le monde prend la parole, tout le temps, et parfois pour dire n’importe quoi. Les mots s’usent vite sur les réseaux sociaux. C’est pour cela que les candidats misent de plus en plus sur des formules chocs et des provocations. Il y a toujours quelques grands discours, mais c’est devenu très rare. Comme le dit Christian Salmon, nous sommes entrés dans l’ère du clash. Mais nous n’y sommes pas condamnés. Il y a aussi de la place pour les conversations de fond, via des podcasts par exemple. Les citoyens aiment aussi se poser, prendre le temps d’écouter des récits, de comprendre l’actualité, d’analyser les forces à l’oeuvre dans le temps long. Les candidats qui font l’effort de creuser les sujets sur le fond, d’apporter de nouvelles idées, parfois complexes, ont raison. On a toujours raison de faire appel à l’intelligence des gens.

IN. : On est loin de « la force tranquille », diriez-vous que notre époque est un cauchemar pour les hommes et femmes politiques dont tous les propos sont démontés, décortiqués sans qu’aucun débat ne semble possible. Où est-ce une nouvelle discipline que vous apprenez à décoder ?

G.G. : la politique est plus que jamais un sport de combat! Il faut être un peu fou pour faire de la politique aujourd’hui, car c’est s’exposer à la critique permanente, aux insultes et aux rumeurs. Il faut aimer se faire détester. Quand j’entends les injures qu’ont du encaisser Nicolas Sarkozy, François Hollande ou Emmanuel Macron, j’ai mal pour eux! Faire de la politique reste cependant passionnant, car les enjeux de fond sont profonds, de l’écologie à la poursuite de la révolution numérique. Celle-ci offre des possibilités infinies pour renouveler les formes d’engagement politique et réinventer la participation citoyenne.

Lors des révolutions, il y a toujours des pionniers, des visionnaires, des brigands, des clowns et des sorciers.

IN. : on a souvent l’impression, lors d’interventions politiques, que l’on joue aux apprentis-sorciers ? Que nous sommes tous des apprentis-sorciers. Est-ce une impression ou une réalité ?

G.G. : nous vivons une révolution industrielle, celle du numérique. Lors des révolutions, il y a toujours des pionniers, des visionnaires, des brigands, des clowns et des sorciers. Il faut juste éviter que ces derniers prennent le pouvoir. Dans cette optique, il est indispensable d’apporter sans cesse la contradiction à ceux qui diffusent de fausses informations ou profèrent des discours de haine. La politique a déjà ses anges noirs de l’apocalypse. Elle a besoin de davantage d’anges gardiens de la démocratie et de la raison.

IN. : vous êtes un homme de gauche, aujourd’hui LREM, vous avez un parcours « chaotique » ou riche, c’est selon, être multi-casquettes, est-ce de votre fait, lié à votre personnalité ? Ou d’un destin contrarié ?

G.G. : j’ai été membre du PS pendant 10 ans, puis de LREM pendant quelques mois. Aujourd’hui, je ne suis plus militant d’aucun parti politique. Je me sens toujours de gauche, mais je me concentre sur mon activité professionnelle au sein Gantzer Agency, mes cours à Sciences-po et HEC, et mes chroniques sur France Info. Cela me suffit amplement. Peut être que dans quelques années je referai de la politique, mais ce n’est pas pour demain.

Bien entendu, je suis fier d’avoir eu la chance de travailler pour Bertrand Delanoë à la mairie de Paris, pour Laurent Fabius au Quai d’Orsay et pour François Hollande à l’Elysée

IN. : qu’est-ce qui au fond vous ressemble le plus dans ce parcours d’électron libre qui est le votre?

G.G. : je n’aime pas être enfermé dans une case et encore moins faire des plans de carrière. Je préfère la liberté et l’indépendance au pouvoir et aux honneurs. Bien entendu, je suis fier d’avoir eu la chance de travailler pour Bertrand Delanoë à la mairie de Paris, pour Laurent Fabius au Quai d’Orsay et pour François Hollande à l’Elysée. Mais je suis beaucoup plus heureux aujourd’hui, à la tête de ma propre structure. J’ai une équipe incroyable, jeune, drôle et talentueuse. Nos missions sont passionnantes. Et en plus, j’ai du temps pour analyser la politique à la radio. Pourvu que ça dure!

IN. : est-il possible de consacrer une vie entière à la politique de nos jours.

G.G. : je pense que ce n’est ni possible – c’est trop usant – ni souhaitable. Les politiques devraient créer des entreprises, travailler davantage dans le secteur privé. Ils y apprendraient beaucoup.

Le temps des rentiers de la politique – qui cumulaient les mandats à ne plus en pouvoir – se termine et c’est une excellente nouvelle.

IN. : Diriez-vous, que comme pour tout un chacun aujourd’hui, il faut avoir un ou plusieurs plans B, (une agence de relations publiques faire du lobbying, conseiller des sociétés dans leur com, être prof) dans son parcours, mener de front plusieurs activités ?

G.G. : on ne vit plus de la politique pendant toute une vie, et c’est tant mieux. Cela oblige à se renouveler, à faire preuve de modestie et à beaucoup travailler. Le temps des rentiers de la politique – qui cumulait les mandats à ne plus en pouvoir – se termine et c’est une excellente nouvelle.

IN. : TikTok est devenue la plateforme des politiques. Chacun y a son compte, Marine Le Pen, Macron, Zemmour. Cela vous paraît normal de préempter un réseau originellement conçu pour les jeunes, la musique et la danse.

G.G. : c’est assez inattendu, mais pourquoi pas si cela permet d’intéresser les jeunes à la politique. En revanche, je ne pense pas que la politique soit un concours de danses ou de blagues. Pour gagner, il faut proposer des idées, pas des chorégraphies.

l’ENA était devenu un mauvais symbole. Il fallait changer de nom.

IN. : vous avez quatre enfants, comment fait-on aujourd’hui pour inculquer une éducation à des jeunes têtes dans ce vacarme extrême ? Faut-il les guider ? Leur faire confiance ?  Leur dire, -une grande tendance-, le principal c’est que tu sois heureux »…

G.G. : je ne crois pas qu’il y ait de recettes magiques pour bien élever ses enfants. Mais je pense que plus on leur donne d’amour, plus on leur fait confiance, mieux c’est.  La génération de mes enfants est davantage préoccupée par le sens de la vie que par le travail et l’argent, et je trouve cela bien, même s’il faut aussi savoir accepter l’absurdité de l’existence et relativiser sa propre place dans le monde. Un peu d’humour et d’humilité, cela fait du bien. Il ne faut jamais oublier de ne pas se prendre au sérieux.

IN. : que pensez-vous de la « disparition » de l’ENA au profit de l’ISP ?

G.G. : l’ENA était devenu un mauvais symbole. Il fallait changer de nom. Mais sur le fond je pense que peu de choses vont changer. On a encore besoin d’une école pour former les futurs administrateurs, préfets et ambassadeurs. Il faut juste que la formation proposée soit moins élitiste, plus ouverte sur le monde, et favorise davantage la créativité.

Le renouvellement de la gauche passera par les citoyens, pas par les partis.

IN. : l’homme de gauche que vous êtes, sait expliquer la déroute de cette gauche aujourd’hui ?

G.G. : cela vient de loin. La gauche s’est sans doute trop notabilisée au niveau local, en se concentrant sur la gestion des villes, départements et régions. Mais j’ai de l’espoir. Il y a plein de combats à porter, de l’écologie à la culture, en passant par la lutte contre les discriminations, l’universalité, la culture ou l’éducation. Il y a un fourmillement d’idées dans les associations, les mouvements de jeunes. Le renouvellement de la gauche passera par les citoyens, pas par les partis.

 IN. : Comment l’homme de gauche que vous étiez, êtes, rejoint-il  l’émission Balance ton post animée par Cyril Hanouna sur C8 en 2019?

G.G. : par hasard. J’y ai passé quelques mois. Cela a été une expérience médiatique et sociologique passionnante. Je suis content de l’avoir fait, et ravi d’avoir arrêté. Je suis plus à l’aise sur France Info, à produire des chroniques et podcasts.

IN. : la littérature vous porte aussi, peut-être même est-elle un temps volé au temps? Quels auteurs, quelles autrices?

G.G. : c’est ma principale source d’inspiration. Je passe mon temps à lire. On a la chance d’avoir une génération d’écrivains français exceptionnels, de Michel Houellebecq à Karine Tuil, en passant par Nicolas Mathieu, Constance Debré ou encore Virginie Despentes. Il y a aussi plein de jeunes auteurs, comme Amélie Cordonnier ou Jade Ségalen. Mesurons notre chance!

 

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