19 juin 2023

Temps de lecture : 5 min

Le sportif, un homme-orchestre des réseaux

En à peine une décennie, les réseaux sociaux ont transformé la dimension médiatique du sport professionnel en imposant à ses acteurs clubs, médias, sponsors, supporters et athlètes – un tas de nouveaux enjeux comme le « social media marketing » ou la publicité de la vie privée. Bien savoir orchestrer le récit médiatique autour de ses exploits sportifs étantdésormais la clé dun succès commercial, comment ces nouvelles formes de médiation ont-elles transformé notre manière de promouvoir les clubs et les stars, et de diffuser leurs affrontements sur le terrain ?

« Évitez soigneusement de faire du sport, il y a des gens qui sont bien rémunérés pour cela », disait l’économiste et humoriste canadien Stephen Leacock (1869-1944). Un mantra coûteux d’un point de vue sanitaire mais toujours pertinent un siècle plus tard. Selon les chiffres publiés par le gouvernement, le budget alloué aux sports en France a connu 23% de croissance entre 2021 et 2022. Encore plus parlant, une étude publiée par le groupe BPCE en février 2023 évalue le poids du sport en France dans le PIB à 2,6%, représentant 64 milliards d’euros.

Bien plus que par les coups d’éclat balle au pied ou raquette en main, ce succès économique, culturel, politique, que sais-je, n’aurait jamais pu exister sans la contribution assidue des médias. La presse écrite, la radio puis la télévision ont joué un rôle majeur dans le gain de popularité des différentes disciplines et de leurs esthètes, comme le prouve lexplosion des droits télévisuels ces cinquante dernières années. Pour le seul championnat de France de Ligue 1, nous sommes passés de 2 millions d’euros pour l’année 1984-1985 à plus de 748 millions d’euros entre 2016 et 2020. Le Top 14, quant à lui, a franchi la barre des 113,6 millions d’euros pour la saison 2023, après avoir démarré le siècle à tout juste 10,7 millions d’euros l’exercice. Aujourd’hui, Internet (sites Web, généralistes ou spécialisés, blogs, streaming en direct, chaînes sportives en ligne…) et surtout les réseaux sociaux ont pris le relais et sont devenus essentiels aux compétitions et aux clubs qui cherchent à se frayer unchemin dans le cœur des supporters… et dans les poches des investisseurs.

 

Le sportif dans les cages du commercial

En général, une organisation sportive fournit des services qu’elle doit vendre à des partenaires commerciaux. Pour cela, elle devra continuellement prouver aux sponsors qu’elle a quelque chose de profitable à leur offrir : une audience engagée. En outre, son succès sur le plan sportif est primordial, car il permet de faire grandir sa fan base et de garantir une couverture médiatique clémente… qui affectera à son tour sa visibilité auprès d’investisseurs potentiels.« En gardant la nature de ces relations à l’esprit, une organisation sportive se doit de médiatiser son discours et ses exploits sportifs à l’échelle nationale et supranationale pour faire grandir son audience et entretenir son succès commercial. Les réseaux sociaux donnent la possibilité de raconter l’histoire d’un club et de son équipe différemment pour mieux imposer son identité », nous explique Laurent Bringé, professeur associé au sein du département médias à l’université UADE de Bueno Aires. Même, ou d’autant plus, quand l’exploit en question est de faire signer Lionel Messi dans son écurie.

L’annonce du PSG concernant le transfert de l’Argentin en août 2021 – vidéos sur les pages Instagram et YouTube du club à l’appui le montrant dans son nouveau stade – avait enflammé les réseaux sociaux. Selon une veille du marché effectuée par la plateforme Visibrain, plus de 1,6 million de tweets avaient été publiés par les internautes en à peine quatre petits jours, et le compte Instagram du club avait enregistré près de 2 millions de nouveaux abonnés en tout juste une semaine, pour franchir allégrement la barre des 40 millions de fans. La stratégie social media du PSG est dailleurs un cas décole de synergie réussie entre le volet sportif et le volet commercial. Le club a bâti sa communauté progressivement, sur la durée et de façon organique. À chaque nouveau nom ronflant – Ibrahimovic, Neymar et maintenant Messi – venait s’ajouter sa pléthore de fans étrangers venus l’encourager. Il y a dix ans, l’audience du club de la capitale ne comptait que 500000 followers répartis sur l’ensemble de ses réseaux. Aujourd’hui, elle en totalise plus de 150 millions, soit un bond de 30000%. Depuis l’arrivée du maestro argentin, le Paris-Saint-Germain accueille même un million de fans supplémentaires chaque semaine en moyenne.

Passage de bâton médiatique

Toujours selon Laurent Bringé, c’est pour cette raison « que le rôle des professionnels des relations publiques dans les organisations sportives est progressivement passé de la production de contenus publicitaires, diffusés le plus souvent en TV, au développement de divers types de formats censés vanter les mérites de l’organisation et de ses athlètes, formats qui seront ensuite injectés sur les médias sociaux et repris par des comptes tiers ». On citera à ce propos les chaînes YouTube et Instagram des clubs de football qui postent à tour de bras des images ultra lisses de leurs séances d’entraînement pour montrer leurs sportifs « unis » par la seule joie d’évoluer ensemble sur le terrain. D’un point de vue de spectateur… devenu fan – le graal – par la récurrence du contenu, on ne se lassera pas de voir son protégé mettre un petit pont ou une feinte de corps à son capitaine avant de lui tomber dans les bras. On sera même tenté d’acquérir la tunique d’échauffement arborée sur la vidéo, que l’on n’aurait sûrement jamais découverte autrement. Full circle.

Du côté des athlètes, nombre d’entre eux ont compris depuis des années qu’ils pouvaient aisément éviter les médias traditionnels et donc le risque de voir leurs propos déformés, en orchestrant eux-mêmes leurs prises de parole sur les réseaux sociaux. Le tennismen Gaël Monfils s’illustre depuis quelques mois en étant l’un des premiers sportifs de sa stature à poster des vlogs toutes les semaines racontant son quotidien, entre séances chez le physio, sa nouvelle vie de papa ou encore un événement promotionnel organisé sur les courts de Rolland-Garros. Le célèbre tournoi parisien aurait d’ailleurs été stupide de se priver d’une audience bienveillante et parfaitement rompue aux joutes tennistiques. Pour aider les sportifs à mieux conquérir ces nouveaux terrains de jeu sans en ressortir rincés, de nombreuses agences de communication telles que ComOver en France ou Viral Nation aux États-Unis ont vu le jour.

 

Un jeu à double tranchant

Il faut dire que le sujet de la santé mentale des sportifs de haut niveau est au centre des discussions depuis quelques années. En amont des Jeux de Tokyo, organisés du 23 juillet au 8 août 2021, la gymnaste américaine Simone Biles, pourtant favorite pour l’or dans de nombreuses catégories, avait déclaré forfait aux épreuves par équipe afin de prioriser sa santé mentale : « J’ai juste l’impression qu’il faut se concentrer sur nous-mêmes en tant qu’humains, pas seulement en tant qu’athlètes. Parce que je me sens comme si nous perdions parfois le contact avec nos sentiments humains. » L’agente Marie-Anik L’Allier avait commenté sa décision en expliquant que « les médias sociaux », au cours d’une grande compétition, « c’est vraiment un couteau à double tranchant. D’un côté, ça peut être très, très grisant, très enivrant d’avoir des commentaires positifs, des encouragements. D’un autre côté, on peut toujours tomber sur des messages qui nous amènent justement dans une zone qu’on souhaite éviter ». Quand la pression des regards posés sur soi prend plus de poids que celle du résultat… il est sûrement temps de lever le pied.

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