INfluencia : La Fresque du climat fête ses dix ans. Concrètement, pensez-vous que cet « atelier d’apprentissage » reste, une fois réalisé, dans les esprits ?
Cédric Ringenbach : cela dépend des participants. Pour certains, c’est juste une graine plantée qui attendra une autre occasion pour éclore. Pour d’autres, c’est une révélation et cela va complètement changer leur vie. Certains sont eux-mêmes devenus animateurs de l’atelier, voire formateurs et ont transmis leurs connaissances à des centaines d’autres animateurs. Ils ont souvent changé leur mode de vie pour se mettre en conformité avec leurs convictions et ont appris à rayonner autour d’eux, non pas dans un esprit moralisateur, mais en inspirant par leur exemple.
IN. : revenons à la genèse…
C.R. : c’était en avril 2015, nous étions cinq et suivions une journée de formation sur le climat. Pour dynamiser la séance et éviter une présentation trop descendante, j’avais imprimé imprimé les slides et demandé aux participants de les associer dans un ordre logique. L’exercice de manipulation et de questionnement s’est avéré très puissant pour capter les esprits. Après quelques améliorations, la Fresque du climat est née. Pour commenter le résultat de l’exercice, les cartes disposées sur un grand papier affiché au mur révélaient une véritable fresque colorée de faits et de chiffres imagés. Le nom de l’outil s’est imposé de lui-même…
Premiers pas pour Cédric Ringenbach…
Pendant trois ans, la Fresque est restée entre nos mains, et celles des premiers utilisateurs. En 2018, cet outil est utilisé pour le lancement d’une semaine pédagogique sur le climat au Pôle Universitaire Léonard de Vinci auprès de ses neuf cents étudiants. Les trente animateurs formés pour l’occasion s’emparent de l’outil. Certains se sont vu confier la mission de former de nouveaux « fresqueurs », puis de coopter de nouveaux formateurs. Le mécanisme d’une croissance organique exponentielle est né ainsi.
À la fin de cette année-là, nous fondions avec quelques proches, l’association qui allait porter le projet et assurer le développement de l’outil. De 2018 à 2023, le nombre de joueurs est passé de mille à un million. Aujourd’hui, La Fresque du Climat est présente dans plus de 160 pays, elle est traduite dans une cinquantaine de langues et des structures locales sont fondées pour en accélérer le déploiement.
IN. : comment évolue cette fresque, comment l’alimentez-vous ?
C.R. : le contenu des cartes est mis à jour à chaque nouveau rapport du GIEC, mais également en fonction des retours des utilisateurs. Concrètement, cela fait plusieurs années que le contenu des cartes est relativement stabilisé. Les évolutions sont rares mais peuvent être assez importantes. Par exemple, récemment, une carte sur les inégalités est arrivée dans le jeu parce que le 6e rapport du GIEC a accordé une place plus importante que précédemment à cette thématique.
IN. : quelles organisations et associations l’utilisent et comment ?
C.R. : il y a un grand nombre et une grande variété d’organisations : des entreprises, des écoles et des universités, des collectivités locales et des administrations de l’Etat. Le principe de la Fresque, c’est que vos collaborateurs vont d’abord faire des ateliers avec un prestataire extérieur, puis ils vont se former pour animer eux-mêmes. Après une certain temps, certains d’entre eux vont devenir des formateurs et vous serez alors complètement autonomes. C’est ce principe qui fait que l’outil revient très peu cher à déployer dans les organisations.
IN. : quand vous dites, « la Fresque du climat est présente dans plus de 160 pays, » comment se traduit cette présence et comment avez-vous fait pour l’exporter ?
C.R. : quand on parle de plus de 160 pays, c’est le nombre de pays dans lesquels il y a des animateurs de la Fresque. Par ailleurs, il y a 180 référents locaux qui sont des représentants officiels et bénévoles de l’association dans 70 pays.
Un nouvel animateur sur deux qui est formé aujourd’hui l’est en dehors de la France.
L’internationalisation de l’outil s’est faite principalement par le bouche à oreille. Souvent par l’intermédiaire de Français expatriés, puis la communauté s’est élargie à des locaux qui ont pris de plus en plus de responsabilités. Aujourd’hui, les activités en dehors de la France représentent un quart des participants depuis le début, un tiers des animateurs à date, et 40% des ateliers sur les dernières semaines. Un nouvel animateur sur deux qui est formé aujourd’hui l’est en dehors de la France.
IN. : n’avez-vous pas le sentiment que le changement climatique et ses répercussions semblent passer au second plan actuellement, notamment dans les médias ?
C.R. : oui, c’est un sentiment qu’on peut avoir, mais cela n’impacte pas tellement notre activité qui est une activité de terrain. Quand une dizaine de personnes se réunissent autour d’un atelier, cela se passe entre eux et l’animateur. Ce sont des dizaines d’habitants de la planète qui passent trois heures ou plus à parler, en toute sincérité, de l’avenir de notre planète et de notre espèce. Et le nombre de participants qui souhaitent passer à l’action, par exemple en devenant animateurs, est toujours le même en proportion.
Se sentir utile, il s’agit également de rejoindre une communauté soudée et solidaire, qui partage un même objectif.
IN. : l’éco-anxiété est sur toutes les lèvres, beaucoup de jeunes souffrent de ce mal-être… Comment à votre avis lutter contre ce sentiment de finitude ? La Fresque est-elle une réponse à ce mal-être ?
C.R. : un des enseignements que nous avons tiré de notre expérience avec la Fresque du climat, c’est que le meilleur antidote à l’éco-anxiété, c’est le passage à l’action. Et animer des ateliers est une des façons de passer à l’action qui fonctionne très bien. En plus de se sentir utile, il s’agit également de rejoindre une communauté soudée et solidaire, qui partage un même objectif.
IN. : avez-vous le sentiment parfois d’être une goutte d’eau dans l’océan ?
C.R. : nous avons le sentiment, avec la Fresque du climat, d’avoir dans nos mains un outil puissant pour passer à l’échelle supérieure. La croissance organique permet de grossir de façon exponentielle, et de pouvoir viser des objectifs très ambitieux. En 2018, quand j’ai annoncé que nous toucherions un million de personnes, tout le monde me prenait pour un fou. Il a fallu cinq ans pour y arriver. Aujourd’hui, notre nouvel objectif est d’un million de Fresqueurs et nous comptons bien l’atteindre.
IN. : n’est-ce pas parfois décourageant d’œuvrer dans le bon sens mais à contre-courant quand vous entendez les déclarations d’un Donald Trump ?
C.R. : au contraire, cela rend notre action de terrain encore plus nécessaire. Il faut préparer l’après (car Donald Trump ne sera pas en place indéfiniment). Mais il faut aussi tirer les leçons de ce qui l’a amené au pouvoir et repenser notre façon de nous adresser aux personnes qui ne sont pas conscientes des enjeux environnementaux et qui ont d’autres préoccupations.
Cet atelier collaboratif est basé sur 42 cartes issues des rapports du GIEC et permet de sensibiliser de façon ludique et collaborative aux changements climatiques.
En savoir plus
Ingénieur diplômé de l’École Centrale de Nantes, ancien officier de réserve de la Marine, skipper et moniteur de voile sur croiseur, Cédric Ringenbach a également été directeur du think-tank The Shift Project (2010-2016) après avoir étudié les publications du GIEC.
Il est l’auteur de la Fresque du Climat et le fondateur de l’association éponyme, qu’il préside depuis cinq ans. En 2020, il fonde le cabinet Blue Choice, qui accompagne les entreprises dans la sensibilisation aux enjeux climatiques et les aide à identifier les risques et opportunités de transition.