19 mai 2025

Temps de lecture : 2 min

« Le commerce est, à l’image de l’espace associatif, un lieu potentiel de sociabilité » Vincent Chabault 

Spécialiste du commerce de détail et de la consommation, professeur de sociologie à l’université Gustave-Eiffel, Vincent Chabault, qui vient de publier un nouvel ouvrage, « Sociologie du commerce1 », livre ici quelques réflexions sur la dimension sociale du commerce physique.

INfluencia : Vous avez développé la thèse du magasin comme espace social. Cette dimension est-elle acquise ?

Vincent Chabault : La dimension sociale du commerce, c’est-à-dire sa capacité à entretenir des relations, est aussi ancienne que le commerce. Elle lui est consubstantielle. Ne dit-on pas : « elle/il est de commerce agréable » pour désigner une personne qui a une capacité à nouer et à entretenir des relations ? Le commerce, c’est avant tout la relation. Au fur et à mesure que le commerce s’est développé, la dimension sociale du magasin n’a pas cessé d’être soulignée. Le confinement a démontré, s’il en était besoin, à quel point les Français avaient regretté leurs commerces physiques pour ceux qui avaient été injustement considérés comme « non essentiels ».

On ne peut que constater un effritement continu du lien social alors même que celui-ci garantit, le sentiment d’appartenance et répond au besoin de reconnaissance.

IN. : Le besoin de lien social est-il devenu plus fort ?

V.C :  On ne peut que constater un effritement continu du lien social alors même que celui-ci garantit, chez les individus, le sentiment d’appartenance et répond au besoin de reconnaissance. Dans les grandes métropoles comme Paris, Lyon ou Nice, la moitié de la population vit seule. À l’échelle de l’Hexagone, 40% des foyers sont composés d’une seule personne et la population vieillit : 25% des familles en France sont monoparentales ; seuls 17% des foyers sont composés de quatre personnes et plus. L’isolement relationnel des plus de 60 ans s’accroît. Les zones rurales ont tendance à se désertifier. Le commerce, le magasin, constitue alors le dernier espace de lien social, un prolongement de l’espace public, surtout dans les zones où les services publics comme les hôpitaux ou les agences postales ont disparu. Créateur d’emplois, le commerce est, à l’image de l’espace associatif, un lieu potentiel de sociabilité.

Tous les espaces marchands ont cette capacité à être le support de petits liens essentiels à la cohésion sociale.

IN. : Le centre commercial, le magasin de centre-ville, le commerce de proximité, le flagship répondent-ils au même besoin de lien social ?

V.C : Commerces, cafés, services publics sont autant de lieux qui aident à structurer le lien social. Les marchés en sont un très bon exemple. Le petit commerce, comme je le soulignais dans mon ouvrage L’Éloge du magasin2, est plébiscité par les Français. Les centres commerciaux ont compris à leur tour qu’au-delà d’être des espaces marchands, ils devaient devenir des lieux de vie où l’on déjeune avec des amis, où l’on vient se divertir et faire du sport. Autrement, qu’est-ce qui déciderait les clients à se déplacer ? Les centres commerciaux font de plus en plus de place à la restauration, aux loisirs, aux services ; l’architecture, le design, et l’offre d’enseignes, vont favoriser la rencontre et l’échange. En parallèle, le profil du vendeur se modifie et son rôle se déplace vers davantage « d’hospitalité » (accueil, personnalisation, appel à des codes qui évoquent ceux du commerce de luxe…). Il existe bien entendu des variations entre une épicerie de quartier – « là où le quartier parle », comme disait Michel de Certeau – et un flagship qui incarne, dans un quartier huppé, une marque convoitée, et ce faisant, crée un lien social et un lien d’attachement à cette marque… Mais tous les espaces marchands ont cette capacité à être le support de petits liens essentiels à la cohésion sociale.

Une chose est sûre, face au e-commerce et aux nouvelles technologies, rien ne remplacera la dimension sociale du commerce physique. Le commerce de détail se perpétue dans la rencontre des deux : l’humain et la technologie.

1. Sociologie du commerce, Vincent Chabault, Armand Colin, 2024.

2. L’Éloge du magasin, Vincent Chabault, Gallimard, 2020 ; Folio, 2023.

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