8 mars 2024

Temps de lecture : 6 min

L’aventure au coin de la ride*

Une approche psychosociologique du vieillissement est probablement ce qui manque à notre société. Parce que la révision du système des retraites, les recherches en santé et bien-être, les volontés de développer – aussi bien au niveau des politiques publiques qu’à celui des inventions associatives – les liens pour ce qu’ils emportent de bienveillance, de complicité intergénérationnelle et de revitalisation du collectif, tout cela achoppe si cruellement aujourd’hui. Sur la piste des seniors, lentement mais sûrement. Un article à retrouver dans la revue 45 d’INfluencia.

On estime à 20 millions les plus de 60 ans en 2030, contre 15 millions aujourd’hui. Et à plus du tiers de la population en 2050. Deux faits majeurs expliquent leur cette progression : une baisse de la natalité et l’allongement de la durée de la vie en bonne santé due aux évolutions de la médecine et des conditions de vie. Ces chiffres seront bien sûr à moduler selon les contextes sociaux et climatiques. Mais ils démontrent la formidable opportunité pour les entreprises, les institutions, les municipalités, et plus largement les politiques de réfléchir à des offres adéquates et désirables les concernant. Car si les représentations de l’avenir ne sont pas aujourd’hui des plus roses, et sans prêcher un optimisme crédule, beaucoup reste à penser et à réaliser pour un futur possible, pour et par toutes les générations. 

Vieillir est une chance. À condition d’en prendre à bras-le corps les perspectives et les défis. Une citation de Rabbi Nahman de Bratsstlav1, « il est interdit d’être vieux », et son commentaire appuient cette conviction : « Si vieillir a du sens, vieillir étant une activité de mûrissement comme le montre le bon vin qui vieillit en se chargeant positivement de temps et de mère, être vieux renvoie à une confusion entre l’être et la mort. La vie est élan, jeunesse, fraîcheur, joie, et non tristesse, médiocrité, repli sur soi, paralysie. Il importe de vieillir activement au lieu d’être vieux passivement. »2

 

Quelles sont les représentations psychosociales du vieillissement ?

Tout d’abord celles de l’âge. D’aucuns s’identifient à leur âge légal dans un silo enfermant pour soi et pour les autres. Pourquoi entreprendre, acheter, ou apprendre s’il est « trop tard » ?. Ce sont ceux pour qui le regard social est le plus impactant et délétère, car il oblige à des limites jugées infranchissables. À ceux-là, et aussi à ceux qui endossent les habits d’un jeunisme réactif et déplacé, … leur montrer qu’il est d’autres chemins à emprunter, teintés d’expérience, de partage et d’un mieux-vivre intergénérationnel.

L’âge n’est qu’une donnée légale, objectivée. Une dizaine, une quinzaine d’années le sépare de l’âge subjectif. Si les seniors se sentent plutôt quinqua que sexagénaires, ou jeunes encore malgré leurs 70 ans passés, pourquoi pas, tant reste encore à vivre ! 

Sous condition que ce décalage soit pris en compte dans la façon de les adresser, que ce soit par des produits et services, la posture des discours et celles adoptées politiquement et sociétalement, afin de les reconnaître et leur offrir la place et le temps qui leur est dû. Si répondre aux besoins premiers est une évidence, stimuler leur désir de bien vieillir et leurs capacités vitales est essentiel, car ils montrent aussi et pour tous les chemins de l’avenir. 

Vieillir s’inscrit dans une inextricable synergie entre soi et le contexte social, dans un chœur de croyances, de convictions et d’idéologies. Un bricolage identitaire auquel chacun devra s’auto-déterminer selon ses choix de vie et de consommation. Mais les découvertes de l’épigénétique démontrent l’influence de l’alimentation, du sommeil, du non-stress, du relationnel sur le mieux- vieillir, et responsabilisent les offreurs et leur rôle majeur. Du profit pour les deux parties, sous condition de ne pas stigmatiser des populations qui demandent juste de préserver leur humanité dans une bienveillance sociale, sociétale et familiale, et d’y être accompagnées dans le bon sens.

 

Les inégalités frappent au coin du bien- ou du mal- vieillir. 

Il faut constater les risques d’isolement par éclatement de la cellule familiale, l’accès parfois impossible au tout numérique, l’absence d’aides à la mobilité, ces effets délétères de la discrimination qui dégradent l’image et l’estime de soi. Les différences des lieux d’habitation jouent aussi pour beaucoup, les cadres urbains et mieux lotis vieillissent plus longtemps et en meilleure santé que les habitants de contrées désertifiées qui n’ont ni l’argent ni la culture du soin de soi comme alliés. Un cercle vicieux qui oblige à la nécessaire prise en compte du vieillissement dans les stratégies marketing mieux ciblées. Et via les attitudes moins segmentantes de recruteurs qui préfèrent les figures jeunes et lisses des juniors aux quinquagénaires encore vaillants aux potentiels non reconnus. Un objectif majeur pour les entreprises : devenir apprenantes de ces seniors, forces de propositions dans l’univers du travail et de la consommation. 

Si les différences et les inégalités sont à respecter, leurs effets délétères sont à combattre, pour des enjeux où tous trouvent leur compte. L’entre-soi est un piège, comme cette figure extrême des « ghettos » de seniors américains qui troquent leur fort pouvoir d’achat et de vivre pour contre un maximum de sécurité et de confort. La catégorie des seniors se segmente donc aléatoirement (de 47 ans pour les grands groupes aux plus de 75 ans), et la génération des nouveaux retraités (de 55 à 65/70 ans) et est intéressante par le potentiel d’innovations qu’elle recèle. Leurs exigences consommatoires et managériales sont plus qualitatives, dont la prise en compte par les entreprises engagées  dans des enjeux sociétaux. Une génération pivot à forte responsabilité, entre l’aide apportée aux parents et leurs enfants qui emploient la vitalité de leur son empreinte révolutionnaire à du « faire-dans-l’être » et oblige les offreurs à innover justement. Par leur proximité au monde de l’entreprise, ces seniorsils sont les pionniers du mieux- vieillir ensemble. Encore faut-il les reconnaître sans les stigmatiser par des communications et mal venues. Ce ne sont ni les « cibles » potentielles des Ehpad ni celles d’une consommation débridée dont ils ont vécu les dérives.

 

Vouloir et pouvoir rester debout

Si certains seniors se posent la question du vivre vieux mais pour quoi faire, c’est que le corps familial et social aura failli à sa mission d’accompagnement. Et pour l’offre, celle d’un « contenant bienveillant » pour des projets et des bénéfices individuels et collectifs. À l’inverse, d’autres enrichissent leur vieillissement dans le désir toujours vivace de conter les années à venir au lieu de compter celles qui restent. La retraite en est une illustration. Crise pour les uns, tremplin aventureux pour les autres. Cette rupture de vie oblige à un changement nécessaire de repères spatio-temporels, la construction d’un temps nouveau libre et libéré, plus enrichissant et innovant que sa gestion capitalistique, remplir les agendas avec un sentiment d’un vide à l’appui. Choisir d’apprendre et de transmettre, s’engager, alimenter ses réseaux relationnels, être utile pour éviter d’être mis hors du jeu social. Et donner des valeurs à ses activités autres que le travail. Il est important alors pour l’ensemble des offreurs de tenir compte des entraves qui peuvent contrecarrer l’image de soi des seniors :

– le rapport au temps des seniors, dans un contexte de jeunisme et du présentisme, soutenus par la digitalisation, l’urgence d’un temps accéléré, et également les difficiles projections dans l’avenir ;

– le rapport au corps et ses changements, ces « petits faits fragiles qui rompent l’apparence familière et le silence d’un corps dont la mécanique allait son train, jusque-là »3, quand nous étions dans « la bonne case ». Rien n’empêche une réaffirmation positive. Mais les images communicationnelles d’un temps réversible, les cheveux blancs adoubés d’une rangée de dents saines et de trois rides d’expression sont peu crédibles et parfois culpabilisantees ;

– l’émergence de nouvelles peurs, autant de vulnérabilités humaines à respecter et partager, pour une acceptation plus douce et aventureuse du vieillissement ;

– la posture des entreprises dont de certaines entreprises qui éludent la question du vieillissement, qui devrait s’inscrire dans une réelle politique de responsabilité sociale et solidaire. Envisager des combats qui font rester debout, quelle belle opportunité pour ceux qui osent, de part et d’autre, s’y engager.

Sachant Tout cela sachant que, malgré tout, des actions sont déjà en marche et à venir face àpour ces vieux et vieilles qui frappent au portillon de la reconnaissance, car :

– les progrès scientifico-médicaux dans les secteurs clés de la santé, de l’alimentation, de l’équipement, de l’habitat, qui éviteront les dérives fragilisantes de l’âge ; 

– les associations, qui  révèlent les potentiels à explorer et contribuent à l’enrichissement des liens intergénérationnels. Devenir apprenants et transmettre aux plus jeunes, autant de liens retrouvés à l’autre ;

– le numérique qui devient plus accessible par l’ergonomie de ses matériels et son accès par des apprentissages offerts ;

– les efforts des entreprises qui favorisent les initiatives : « Tous en tandem »4 a développé le premier réseau d’étudiants pour consacré aux personnes âgées avec des ateliers aux contenus élaborés par des professionnels du grand âge. Une complicité des âges et du sens pour de nouveaux projets de vie ;

– les évolutions et le choix dues lieux d’accueil qui, suite aux scandales des de certains Ehpad dont où la déficience nutritionnelle et autres maltraitances ont été dénoncées, permettent de rester chez soi avec une offre de services personnalisés.

La liste est longue pour offrir à tous un vieillissement bien vécu, allant de pair avec l’innovation et les prises de risque, car les exigences sont grandes et nécessaire est la sauvegarde de la dignité de chacun. Se murmure aussi que ce bien-vieillir est une norme balisée d’injonctions, et que d’autres chemins s’ouvrent pour vieillir-fidèle-à-son-désir. Et entendre ces pionniers du monde qui vient et qui épousent des chemins de traverse dans une « aventure au coin de la ride ». 

 

* Danielle Rapoport, Érès 2020.

  1. Rabbin des xviiie et xixe siècles, fondateur de la dynastie hassidique de Bratslav.
  2. Bertrand Vergely, philosophe. Conférence, assoc. La traversée 2016.
  3. Ibid p. 9.
  4. https://tousentandem.com/

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