4 septembre 2022

Temps de lecture : 4 min

L’argent n’est plus tabou dans le domaine de la culture

Face à la baisse constante des subventions publiques, les institutions culturelles françaises doivent aujourd’hui avoir les idées larges et développer en interne les têtes chercheuses qui sauront trouver la recette pour fonctionner. À bien y regarder, l’argent frais ne manque pas, mais encore faut-il se donner les moyens de lever ces fonds… Un papier à retrouver dans la Revue 40 d’INfluencia.

Aux grands maux, les grands remèdes. Face à la dégringolade des aides publiques, les institutions culturelles sont aujourd’hui obligées de chercher de nouvelles sources de financement pour boucler leurs budgets. « La contrainte contextuelle liée à la chute des subventions touche tout le secteur, tranche Ludivine Malacan, une consultante spécialisée dans le mécénat et le partenariat chez ITG Consultants. Ces subsides ont reculé de 10% à 15% en une décennie. C’est énorme. » L’État reste, malgré tout, très généreux. « Notre pays soutient extraordinairement bien la culture, tempère Thibaud Malivoire de Camas, le DGA de la Cité de la musique – Philharmonie de Paris. Aucune autre nation au monde n’a autant aidé ce secteur durant la crise sanitaire. » Les restrictions budgétaires ont toutefois fait comprendre à la plupart des institutions qu’elles ne pouvaient plus dépendre uniquement des subventions publiques et qu’elles devaient développer leurs ressources propres.

La solution la plus simple consiste à accroître les recettes de billetterie en mettant en place une véritable politique de « yield management », semblable à celle des compagnies aériennes ou des groupes hôteliers. Les prix des tickets varient ainsi en fonction du taux de remplissage des salles ou des jours de visite. L’Opéra de Paris a mis en place ce système il y a plusieurs années déjà. « La billetterie représente 30% à 35% du financement de notre établissement, qui s’autofinance à hauteur de 45% », révèle Thibaud Malivoire de Camas.

Lieu à louer, nom à prêter

Toutes les institutions n’ont pas la chance, comme la Philharmonie, de disposer d’une salle de 2400 places, mais la plupart des établissements disposent d’espaces qu’ils peuvent louer à des particuliers ou à des entreprises pour organiser des fêtes, des séminaires ou des conférences. Ces lieux servent aussi parfois de décor pour le cinéma ou des défilés de mode. Au musée de l’Air et de l’Espace du Bourget, les sociétés peuvent inviter leurs clients à boire un cocktail sous un Concorde ou sur le tarmac de l’aéroport au pied d’une maquette grandeur nature d’Ariane 5 et à deux pas d’un Canadair et d’un A380. La crise sanitaire a stoppé net cette activité, mais les réservations reprennent depuis quelques semaines, comme à la Cité de la Musique qui propose à la location une salle de 900 places, son musée, son amphithéâtre et son foyer ainsi que sa « rue musicale », où 450 personnes peuvent dîner sous une immense verrière.

« Au fil des années, Chambord s’est retrouvé sur des robinets et même des cercueils. En 2010, nous avons lancé notre révolution copernicienne en déposant notre marque auprès de l’INPI. »

De nombreuses institutions cherchent également à se transformer en « marque » pour vendre leurs produits dérivés. Les mentalités ont beaucoup évolué dans ce domaine. « Pendant des années, nous considérions que l’utilisation de notre nom et de notre image par des marques du monde entier était formidable, car nous pensions que cela nous faisait de la publicité et augmentait le nombre de nos visiteurs, explique Cécile de Saint-Venant, la directrice de la communication, de la marque et du mécénat du Château de Chambord. Au fil des années, Chambord s’est donc retrouvé sur des cigarillos, des petits gâteaux, des bottes en caoutchouc, des robinets et même… des cercueils. En 2010, nous avons lancé notre révolution copernicienne en déposant notre marque auprès de l’Institut national de la propriété industrielle [INPI]. » Pour reprendre le contrôle de son label, le château construit pour François Ier a dû lancer des procès à tout-va. Une des premières procédures a été dirigée contre le brasseur Kronenbourg. Une fois ces litiges réglés, ce monument historique a commencé par vendre des produits cultivés dans son immense forêt de 5433 hectares. Miel, vin, confiture, soupe de tomates, terrine de sanglier ou de cerf, eau de bouleau… Le domaine a ensuite signé des licences avec une dizaine de marques afin que son nom et son image soient dorénavant utilisés contre le versement de royalties. Ces activités génèrent aujourd’hui 150000 euros de revenus annuels. Développer sa marque « vous aide aussi à trouver des sponsors et des mécènes qui partagent les mêmes valeurs que vous », analyse Emmanuel Delbouis, consultant en stratégie de marque au ministère de la Culture. « Le sponsoring représente un véritable levier de croissance pour les marques, ajoute cet enseignant en marketing & branding sur les institutions culturelles à Sciences Po Paris, car les entreprises sont intéressées par ce modèle qui leur permet de créer des produits dérivés avec les organismes qu’elles soutiennent afin de dégager des revenus. » Le Louvre l’a compris en développant un partenariat avec Uniqlo.

En France, le nombre de foyers fiscaux donateurs et le montant de la collecte ont été divisés par deux depuis 2018, mais le don moyen continue de progresser.

Oboles publiques, fortunes privées

Le mécénat est une autre source de financement intéressante. « Nos soutiens nous sont restés très fidèles pendant la crise sanitaire lorsque nous avons été fermés durant de nombreux mois », affirme Thibaud Malivoire de Camas. Si faire appel à la générosité des particuliers peut être efficace pour boucler certains projets, séduire les grands donateurs est souvent plus judicieux. Privilégier la qualité plutôt que la quantité ne manque pas de logique. Et pour cause… En 2021, le nombre de milliardaires a progressé de 13,4%, selon le cabinet de recherche Wealth-X. Les avoirs des 3000 personnes les plus fortunées de la planète dépassent désormais les 10000 milliards de dollars. En France, le nombre de foyers fiscaux donateurs et le montant de la collecte ont été divisés par deux depuis 2018, mais le don moyen continue de progresser parce que les riches se montrent de plus en plus généreux. Les familles dont les revenus annuels dépassent 60000 euros représentent ainsi aujourd’hui 23% des mécènes et 43% des montants collectés. « Trouver et tisser des relations avec ces grands donateurs est toutefois un métier à part entière qui nécessite d’avoir des réseaux très importants », prévient Ludivine Malacan. Les dirigeants des institutions doivent également s’impliquer directement en rencontrant régulièrement ces mécènes.

Une autre source de financement est encore trop souvent boudée par les établissements culturels : les subventions… européennes. « Les aides de l’UE représentent des montant énormes, mais le processus pour les obtenir est très long et laborieux, précise la consultante d’ITG Consultants qui a longtemps travaillé pour l’Opéra de Paris. Il faut remplir beaucoup de documents en anglais, présenter des budgets précis et cocher toutes les cases requises… Mais ce travail peut rapporter gros. » Des aides communautaires pour compenser des subventions publiques nationales en déclin ? Parfois les idées les plus simples…

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