15 avril 2024

Temps de lecture : 4 min

La technocratie l’emportera toujours sur la bureaucratie, il faut rendre plus « agiles » nos gouvernements monolithiques

Deux ouvrages portant la vision optimiste d’un avenir numérique responsable ont remporté le Prix INfluencia 20231. Dé-coder. Une contre-histoire du numérique2, par Charleyne Biondi (CB), qui montre « comment les nouvelles technologies ont progressivement façonné nos imaginaires » et propose des pistes pour « refonder un sens commun ». Et Data démocratie3, par Thomas Jamet, Florian Freyssenet et Lionel Dos Santos de Sousa (TJ-FF-LDSS) qui donne des clés pour prendre en main notre destin et poser les bases « d’un nouveau pacte social dans lequel la data serait utilisée pour le citoyen et non contre lui ». Prologue à la lecture de ces ouvrages, dialogue improvisé entre gagnants : Charleyne Biondi interroge les trois co-auteurs. Un article à retrouver dans la revue 45 d’INfluencia.

Deux ouvrages portant la vision optimiste d’un avenir numérique responsable ont remporté le Prix INfluencia 20231. Dé-coder. Une contre-histoire du numérique2, par Charleyne Biondi (CB), qui montre « comment les nouvelles technologies ont progres-
sivement façonné nos imaginaires » et propose des pistes pour « refonder un sens commun ». Et Data démocratie3, par Thomas Jamet, Florian Freyssenet et Lionel Dos Santos de Sousa (TJ-FF-LDSS) qui donne des clés pour prendre en main notre destin et poser les bases « d’un nouveau pacte social dans lequel la data serait utilisée pour le citoyen et non contre lui ». Prologue à la lecture de ces ouvrages, dialogue improvisé entre gagnants : Charleyne Biondi interroge les trois co-auteurs.

IN : Comment construire une « data démocratie » européenne et souveraine quand l’immense majorité des acteurs de la data intelligence sont non-Européens?

Dans Data Démocratie, nous décrivons comment créer un écosystème de champions nationaux. Nous suggérons de redéfinir les procédures d’appel d’offres pour les marchés publics, privilégiant des entreprises françaises et européennes digital native, et instaurant des spécialistes et des process spécifiques au sein des services publics pour l’achat digital, et la construction du service public en utilisant la data. Nous sommes également pour la création d’un environnement et d’une stratégie nationaux : à la fois légaux, exploitant les régulations européennes (DMA, DSA, RGPD, Data Act, Data Governance Act, AI Act), et financiers, en
créant des synergies entre la recherche publique et privée; un screening et un soutien méthodique de nos « licornes » dites stratégiques, l’appui de nos institutions gouvernementales, avec un État devenu business angel régalien grâce à un financement par fonds souverains à ambition numérique.

Pour redynamiser le tissu entrepreneurial français, nous pensons que notre pays a plusieurs cartes à jouer dans le domaine du médical «augmenté», de l’agriculture intelligente et de l’écotechnie. Il faut donc définir des critères plus stricts pour l’achat de
technologies numériques, calquées sur nos besoins français spécifiques (nous préconisons d’utiliser pour cela une nouvelle norme liée à une «Citizen Experience » [expérience citoyenne] française) afin de convenir au marché français. Cela permettrait aussi
de privilégier des entrepreneurs locaux, par exemple, en excluant toute entreprise soumise au CLOUD Act [Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act, loi fédérale américaine sur l’accès aux données personnelles notamment dans le Cloud, ndlr] de certains marchés, comme la sécurité intérieure et l’armée.

IN : Les enjeux éthiques de l’IA requièrent une forme de gouvernance mondiale. Un IA Act européen isolé serait vain et délétère pour l’UE. Dans quelle mesure la technologie remet-elle en cause le modèle politique d’État-nation?

La technologie a toujours défini les civilisations, y compris les nations devenues hégémoniques sur une période de l’histoire. Nos scientifiques inventent les règles du jeu, nos ingénieurs en créent les cartes, nos entrepreneurs les battent et les distribuent, et nos États jouent à un jeu de poker menteur du mieux qu’ils peuvent avec la main qui leur est donnée. De la poudre à canon, à l’électricité en passant par la bombe atomique, Internet et aujourd’hui l’IA, il n’y a rien de nouveau : la technologie a toujours défini la supériorité géopolitique d’un État pour peu qu’il ait su avoir les meilleures cartes en main et/ou les jouer en fin stratège. Surtout avec une mauvaise main !

Ce qui a changé depuis deux décennies, et nous le décrivons dans Data Démocratie, est que les géants de l’Internet sont  internationaux par définition et sont devenus des nations virtuelles à eux seuls. Cette nécessité de globalisation du digital pour survivre a remis en cause le paradigme du vieux monde, où si vous déteniez un Concorde, un TGV ou un minitel, en tant que nation vous aviez quelques as dans votre manche et le soft power qui allait avec. On est passé de l’ère des fleurons industriels nationaux à celle des méta-entreprises apatrides… Et ce qui n’appartient à aucun pays, mais à tous en même temps, est difficilement « légiférable» et définit très souvent ses propres règles, dont la première : si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes obsolètes. La deuxième serait : si vous n’adoptez pas nos technologies comme d’autres pays, vous perdrez un avantage compétitif
sur la scène internationale. Et la troisième : vous ne pouvez pas définir notre cadre juridique parce que vous ne comprenez pas notre technologie; au moment où vous l’aurez comprise et vous apprêterez à légiférer, nous serons déjà passés à l’étape suivante : votre texte de loi sera obsolète avant même d’être voté. La technocratie l’emportera toujours sur la bureaucratie, et nous avons besoin de rendre plus «agiles » nos gouvernements monolithiques.

 

IN: Vous adoptez une posture résolument techno optimiste. Comment insuffler un peu de cet enthousiasme à ceux qui voient l’industrie technologique comme l’un des principaux freins à la construction d’une société durable, notamment d’un point de vue
environnemental ?

En réalité, ce sont les entreprises du digital qui arrivent souvent en tête des classements ESG mondiaux (Environnement, Social et Gouvernance), en témoigne un classement récent fait par le Time et Statista4. C’est le cas pour Microsoft, Apple et Meta chez plusieurs agences de scoring. Le vrai dégât environnemental est causé par nos bilans carbone numériques liés à Internet et au cloud. Le numérique représente 3% à 4% des émissions mondiales, l’équivalent de tout le trafic aérien, et 2,5% de notre bilan carbone national5. Google a annoncé pour 2030 souhaiter passer en bilan carbone zéro6. Microsoft à la même échéance veut une
empreinte carbone négative7, tout comme Apple8. Les Gafam ont eu très tôt conscience que tout ceci n’est pas viable à long terme, et ont investi des parties conséquentes de leurs budgets en R&D dans l’ESG, en particulier dans les technologies permettant de développer des data centers plus verts : utilisation du free-cooling, remplacement des composants électroniques par des composants photoniques, récupération de la chaleur générée pour chauffer des bureaux, développement d’eco data centers en Suède, etc. Mais les vrais changements écologiques viendront toujours des consommateurs, il faut que nos gouvernements mènent des campagnes nationales pour encourager chacun à pratiquer la sobriété numérique. Nous pouvons individuellement améliorer notre empreinte carbone digitale en gardant nos smartphones plus longtemps (le bilan carbone de
leur construction est catastrophique), en triant nos e-mails et en effaçant nos données obsolètes régulièrement – trions nos données comme nous le faisons pour nos poubelles afin de diminuer les données stockées mondiale. Mais aussi en privilégiant le wifi plutôt que la 4G/5G, en achetant des équipements numériques reconditionnés ou d’occasion, en réduisant le temps passé sur des écrans numériques, ou encore en consommant moins de vidéos en ligne, y compris des films et des séries en streaming. Nous
devons tous devenir des citoyens conscients de notre empreinte carbone numérique.

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