11 septembre 2023

Temps de lecture : 7 min

« Investir dans une start-up c’est déjà une forme d’acte citoyen. On soutient l’économie réelle », Benjamin Wattinne (Sowefund)

À l’image de son secteur économique qui se porte à merveille, dépassant pour la première fois la barre symbolique des 2 milliards d’euros collectés en France en 2022, Sowefund, plateforme de financement participatif à destination des start-up, annonce ses meilleurs résultats depuis sa création sur le début de l’année 2023. Le tout, et pour le plus grand plaisir de Bruno Le Maire, en ayant mis l’accent sur de jeunes pousses françaises telles que Qotto, Futura Gaïa ou Abelio. Rencontre avec Benjamin Wattinne, co-fondateur de Sowefund, pour comprendre les mutations actuelles d’un marché qui ne cesse de grandir.

INfluencia : une question toute simple pour commencer, pouvez-vous m’expliquer dans quel contexte se trouvait le secteur de l’investissement au moment de vous lancer en 2014 ?

Benjamin Wattinne : nous nous sommes rencontrés avec Georges Viglietti, mon associé et co-fondateur de Sowefund, alors que j’étais Director Business Development – Europe pour une plateforme appelée Gust et qu’il était l’un de mes clients. Mon travail était d’accompagner les fonds d’investissement, les réseaux de business angel pour améliorer leur processus de sélection et leur gestion du dealflow. C’était un modèle SaaS américain classique. Ça m’a amené à beaucoup voyager et lors d’une rencontre en Europe, on s’est rendu compte avec Georges qu’il y avait une émergence de plateformes d’investissement dans ce que l’on appelait, à l’époque, l’investissement peer to peer. On a vite compris que notre expérience dans le monde de l’investissement en capital nous offrait un avantage sur les autres plateformes, généralement beaucoup plus jeunes et donc obligées de tout miser sur le marketing pour se faire connaitre.

IN : comment « faire son trou » au sein d’une profession qui reste très réglementée ?

B.W. : on se positionnant différemment. Pour nous, c’est par exemple d’avoir fait le choix très tôt de co-investir auprès de nos clients. Sans compter que l’on avait la chance de profiter du dealflow et de la sélection de qualité des dossiers de nos partenaires plutôt que d’essayer d’investir énormément sur des projets sans notoriété. Ça c’était notre vision de la place à occuper sur le marché, mais on avait aussi la volonté de démocratiser encore plus l’investissement dans les start-up. Ce que font les fonds d’investissement et plus récemment les réseaux de business angels, c’est passionnant mais il s’agit quand même de tickets très importants, à hauteur de vingt, trente mille euros en moyenne. Nous voulions justement permettre à tout un chacun d’investir. Aujourd’hui nous sommes une plateforme d’investissement participatif spécialisé en equity, c’est-à-dire que notre métier c’est de sourcer les meilleurs projets possibles, quel que soit leur stade de maturité, pour les présenter à notre communauté d’investisseurs afin qu’elle puisse souscrire au capital de ses entreprises.

 

 

IN : j’ai lu dans une enquête publiée par Seedrs que 57% des sondés déclarent investir en priorité dans des entreprises, des secteurs économiques dans lesquels ils « croient », d’où l’engouement actuel autour de la climate tech, par exemple. Excusez mon cynisme, ou inversement mon innocence, mais les investissements guidés par la seule vertu ne sont-ils pas le luxe des petits investisseurs ?

B.W. : c’est vraiment clé comme question. Je vais vous répondre, nous opérons dans la finance alternative. Même si on existe dans le paysage depuis maintenant dix ans, Sowefund reste un nouvel acteur. Nous avons dû beaucoup défraichir et c’est loin d’être terminé. On a toujours été convaincus avec Georges, avant même de parler d’ESS et de projets à impact, qu’investir dans une start-up c’est déjà une forme d’acte citoyen. Soutenir une jeune entreprise c’est soutenir l’économie réelle, on sait où va son argent, parfois directement dans la création d’emplois. Ça c’était notre postulat de départ, un engagement qui détonnait à l’époque, le fait de viser tout le monde, y compris les personnes qui n’ont pas des moyens financiers conséquents.

IN : était-ce facile de faire entendre ce discours-là ?

B.W. : quelque part c’était encore plus facile qu’aujourd’hui parce qu’il y avait une vraie incitation fiscale avec la loi Tepa. Alors attention, on parle quand même d’investisseurs qui étaient en mesure de mettre des tickets importants pour compenser les impôts importants dont ils devaient s’acquitter. Mais ça nous a aidé à nous faire entendre auprès de plein d’investisseurs dans les start-up qui ne défiscalisaient rien du tout. Ensuite, je peux remonter jusqu’à loin mais je ne sais pas si ça vous intéresse (rire) : époque Sarkozy, on parle alors de 75% d’impôt sur la fortune ! C’est tombé à 50% avant et pendant Hollande et puis Macron a fini par supprimer l’ISF. Aujourd’hui, vu le climat de tension, nous ne sommes pas à l’abri de nouvelles incitations fiscales pour promouvoir l’investissement en early stage. Pour faire écho à votre question précédente, c’est également pour cela que l’on a voulu créer fin 2017 un label Impact basé sur les principaux objectifs de développement durable des Nations Unies. On a eu un peu de chance, ou en tout cas la personne qui nous accompagnait à l’époque avait bien senti les choses, parce que la formule a depuis, été appliquée par beaucoup d’autres fonds. L’objectif était de mettre l’accent sur les projets qui avaient un impact positif sur l’environnement ou la sphère sociale. Une démarche qui a immédiatement parlé à notre communauté d’investisseurs, ce qui prouve, sur le terrain, cette prise de conscience théorique que vous évoquiez tout à l’heure… même si les plus cyniques diront que c’est avant tout du marketing et que le ROI reste roi.

 

 

IN : par la même occasion, le profil de vos investisseurs a-t-il bougé ?

B.W. : bien sûr. On aura toujours nos secteurs privilégiés mais notre communauté apprécie aussi les dossiers dans la Santé ou l’énergie, l’agriculture parmi tant d’autres.

IN : comme pouvaient le laisser entendre les précédents baromètres du crowdfunding publiés par Financement participatif France, le financement participatif est-t-il toujours le propre des premiers stades de la création d’une entreprise ?

B.W. : à vrai dire beaucoup moins. Nous, aujourd’hui, on s’adresse à des projets bien plus matures, en série A, voir même en série B, tant que c’est du non coté. Cet intérêt commence à être partagé parce que la nouvelle norme est vraiment de promouvoir des sources de financement auprès de sa communauté. Et ça, il a fallu de temps, pour ne pas dire beaucoup de temps (rire), pour que ce soit compris par les entrepreneurs et les entreprises. On a par exemple un dossier qui s’appelle La Marque en moins qui génère déjà 3 à 5 millions de chiffre d’affaire et qui peut compter sur une communauté solide de plusieurs dizaines de milliers de personnes très engagées. Si l’entreprise lève de l’argent chez nous c’est parce qu’on permet aux membres de sa communauté de devenir les ambassadeurs de sa marque et de ses produits, à travers une grande campagne de communication notamment. Ça, ça fait sens pour beaucoup d’entreprises.

IN : une autre enquête, signée par Crowdcube cette fois-ci, vante « les performances exceptionnelles du marché français ». Comment l’expliquez-vous ?

B.W. : ce qui se passe c’est que depuis 2019, et même depuis l’arrivée de Macron, il y a énormément d’argent dans les fonds d’investissement et dans le monde du private equity. Du coup, le marché du venture capital s’est développé à toute vitesse et offre aujourd’hui une quantité folle de possibilités d’investir. Pour les acteurs comme nous, spécialisés dans la finance alternative je veux dire, cela a pu nous compliquer la tâche pour une raison toute simple : quand la finance se porte bien et investit massivement, on a du mal à capter les investisseurs qui trouvent facilement leurs dossiers dans les schémas traditionnels. Mais depuis quelques mois, comprenez depuis le début du conflit en Ukraine et la vague inflationniste, les entreprises ont plus de mal à trouver des investisseurs et se tournent davantage vers des acteurs comme nous. Clairement, nous n’avons jamais eu autant de dossiers qu’aujourd’hui. Investir dans les start-up fait réellement sens économiquement.

 

IN : est-il imaginable que vous soyez amené à travailler sur des dossiers – au moins en partie – publics dans les années à venir ? Je lisais notamment que les modalités concernant le financement participatif pour les collectivités territoriales avaient été élargies début 2023.

B.W. : non, il faut se spécialiser, en l’occurrence sur le financement de l’innovation (rire) et on a suffisamment à faire (rire). C’est notre marché. Mais c’est clair qu’il y a des initiatives passionnantes qui se lancent, notamment certaines plateformes qui opèrent dans le milieu de la culture, mais on ne peut pas être partout à la fois.

IN : l’harmonisation récente du régime juridique du financement participatif au sein de l’Union européenne, vous a-t-elle impacté ?

B.W. : oui, mais de manière positive puisque ça structure davantage le marché et nous permet de nous positionner plus facilement sur le reste de l’Europe.

IN : pour finir sur une question plus large, quel est votre sentiment sur les manifestations qui ont eu lieu à Ottawa, aux États-Unis et au Canada l’année dernière à propos du rôle supposé du crowdfunding dans le blanchiment d’argent et dans le financement du terrorisme, qui avait été pointé du doigt par un rapport du département du Trésor américain ?

B.W. : Et bien déjà que l’on n’est pas aux US. Plus sérieusement, je n’ai jamais eu vent de problématiques aussi importantes en Europe et encore moins en France. Et puis surtout, il ne faut pas confondre ce que nous faisons et les plateformes qui se spécialisent dans les collectes destinées à des associations, à des œuvres ou à des personnes. Aujourd’hui, les éventuelles difficultés de notre marché, c’est de se retrouver face à des escrocs. Et croyez-moi, il y en aura toujours, quel que soit les gardes fous que l’on arrivera à mettre en place.

Pour résumer le propos de Benjamin Wattinne, malgré des signaux plus que positifs, nous sommes peut-être toujours dans une phase de rodage d’un marché dont on ne connaît pas encore tous les ressorts. Soyons clair, rien qui semble, pour le moment, en mesure d’enrayer la machine. En tout état de cause, « toute nouvelle réglementation ou ajustement devra être élaboré de manière flexible et allégé, de sorte à ne pas brider l’innovation, et afin que les futures innovations du crowdfunding puissent se développer au sein d’un cadre normatif adapté », écrivaient Jean Moussavou et Gurvan Branellec dans le n°56 de la revue Innovations. Le co-fondateur de Sowefund, le confirme : la nouvelle réglementation adoptée à l’échelle européenne indique que nous sommes sur la bonne voie… et l’avenir semble radieux. « Le développement du crowdfunding est un mouvement de fond dont l’essor ne fait que commencer », résumaient ainsi Véronique Bessière et Éric Stéphany dans leur ouvrage Crowdfunding, fondements et pratiques.

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