23 février 2023

Temps de lecture : 8 min

La mode sommée de revoir son modèle, de gré ou de force

Confrontées à la crise climatique, aux mutations accélérées par la crise sanitaire et à l’exigence actuelle de sobriété, les grandes marques de mode et leurs enseignes, fast fashion incluse, sont contraintes de réviser leur business model. Zara et H&M en tête, mais aussi Kiabi, Bash ou encore Monoprix testent le recyclage, la seconde main, le prêt de vêtements et accélèrent leur virage vers les ventes en ligne. Un article à retrouver dans la revue 41 d’INfluencia.

Zara

Meubles en bois blond, moquette taupe, matières brutes et naturelles, meubles tout en courbes, grands écrans numériques Lorsquil ouvre en octobre 2021, le magasin Zara (Inditex) de 4500 m2 au sein du centre commercial Westfield Les Quatre Temps abat sans état dâme la carte du haut de gamme. Les chaussures à talons larges à 59,95 et les imperméables à 89,95 inspirés du modèle iconique Burberrys, éclairés de lumières tamisées, y sont disposés avec une esthétique propre à faire pâlir denvie les magasins de lavenue Montaigne. Simple répétition, semble-t-il, pour le leader mondial de la fast fashion, avant que nouvre le 7 avril 2022 le magasin de Madrid, qui saffiche comme le plus vaste flagship Zara du monde. Il déploie ses articles sur 7700 m2, soit quatre étages du prestigieux immeuble Plaza de España récemment rénové. 

 

Lorsquil ouvre en octobre 2021, le magasin Zara de 4500 m2 au sein du centre commercial Westfield Les Quatre Temps abat sans état dâme la carte du haut de gamme. 

 

Capter l’imaginaire des grands couturiers

Difficile, à ce stade, d’y voir autre chose que le mimétisme ordinaire des codes du luxe et du parfum propre aux marques de la fast fashion. À travers la mise en scène soignée de ses magasins, ses campagnes pub online et offline confiées à des photographes de renom (comme Steven Meisel pour la toute dernière), le roi de la fast fashion a toujours surfé avec beaucoup de virtuosité sur ce filon. « Dans l’esprit des consommateurs, Zara a été l’incarnation d’une mode immédiatement accessible grâce à sa capacité à capter l’imaginaire des grands couturiers », analyse Cécile Badouard, directrice du planning stratégique de l’agence Becoming. « Nous n’avons pas modifié notre business model, depuis le début : une combinaison gagnante de travail d’équipe, de talent, de créativité, d’innovation, de dynamisme, d’efficacité et de flexibilité », assure-t-on chez Zara. Même si Oscar Garcia Maceira, le CEO d’Inditex nommé en décembre 2021, se révèle très volontariste en assurant dans le dernier rapport annuel du groupe : « Nous sommes dans une position unique pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés, alors que le secteur s’embarque dans l’une de ses plus grandes transformations. Loin de rester les bras croisés, Inditex est prêt à continuer à diriger notre secteur, ce qui signifie collaborer pour avoir un impact positif dans tous les aspects. » 

 

La mode, deuxième secteur mondial le plus polluant

De fait, l’urgence guette. Selon l’ONG Greenpeace, « l’empreinte carbone du secteur de la mode est estimée à 1,2 milliard de tonnes de C02, soit environ 2% des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Si les tendances d’achat se poursuivent, cette part atteindra 26% en 2050 ! Ces projections s’expliquent par l’explosion des ventes et l’utilisation croissante du polyester, qui émet trois fois plus de CO2 que le coton au cours de sa vie. » Autant dire que le modèle des 24 collections annuelles de Zara ou de ses concurrents directs comme H&M (et dans une moindre mesure Uniqlo et Gap) paraît difficilement tenable dans un contexte d’urgence climatique. Même si c’est le business model de l’ensemble du secteur de la mode, estimé comme le deuxième secteur industriel le plus polluant au monde, qui est brutalement questionné. 

Dans ce contexte, conclure avec l’ouverture de ces magasins Zara très statutaires à un simple mimétisme des grands de la mode et du luxe serait hâtif. À y regarder de plus près, en effet, les avancées technologiques et coûteuses du magasin de Madrid et la théâtralisation du flagship de la Défense comme l’accent mis sur la collection durable et premium Join Life paraissent plutôt s’inscrire dans la logique d’un virage vers un modèle plus responsable et plus premium orchestré avec méthode et sang-froid. Avec en tête de sa feuille de route, le pari sur l’e-commerce qui représente aujourd’hui 25% du chiffre d’affaires d’Inditex.  

Déjà, en l’espace de trois ans, le groupe a investi 2,7 milliards d’euros en transformation numérique et innovations technologiques… Ce qui lui a permis de prendre sans heurt ce virage de l’e-commerce en amorçant la réduction de son réseau de magasins pour développer ses plateformes de vente en ligne (accessibles dans 216 pays). 

 

Zara fait sa révolution silencieuse

Mieux, pas à pas, avec la discrétion légendaire propre à la maison hispanique, Zara a entrepris de revoir le cœur de son offre. En 2021, la filiale d’Inditex a présenté une collection capsule conçue en collaboration avec le New York City Ballet, la prestigieuse compagnie de danse classique. Robes courtes en tulle, bodies semi-transparents, leggings en alpaga, ballerines déclinées en nude et en noir… Raffinée, la collection se situe sur un positionnement relativement accessible, avec des articles commercialisés entre 20€ à 60€. Le 30 juin 2022, un nouveau pas a été franchi avec la mise sur le marché par Zara Home d’une collection capsule de déco et d’ameublement conçue en partenariat avec le fameux designer belge Vincent Van Duysen, directeur artistique de la griffe de design italienne Molteni & Co. Même si les prix n’atteignent pas les sommes habituelles pour se meubler dans l’esprit minimaliste et épuré de van Duysen, il faut néanmoins débourser entre 5000€ à 6000€ pour l’acquisition d’un canapé ou 499€ pour un tabouret en cuir de selle et chêne massif ou bois de frêne.  

Zara prend toutefois grand soin de relativiser l’ampleur du changement : « Collaborer avec de grands designers fait partie de notre ADN. C’est une démarche à la fois positive pour nos clients et l’image de l’enseigne. D’ailleurs, la collection capsule de Vincent Van Duysen n’est en vente qu’en ligne et n’est pas été exposée dans le corner Zara Home du grand magasin londonien de Battersea Station que nous venons d’ouvrir. » En revanche, si les résultats commerciaux sont au rendez-vous, le partenariat avec le designer belge devrait se poursuivre. On peut y voir une forme de test prudent qui ne dirait pas son nom.

 

Droits de l’homme respectés

Dans l’esprit de la déclaration du CEO Oscar Garcia Maceiras, la « collab » Zara Home/Van Duysen est systématiquement accompagnée, pour chacun des produits mis en vente, de la mention  : « Nous travaillons avec nos fournisseurs, employés, syndicats et organismes internationaux pour développer une chaîne d’approvisionnement dans laquelle les droits de l’homme sont respectés, tout en contribuant aux objectifs de développement durable des Nations Unies. » Ce qui n’a pas manqué d’interpeler les observateurs du secteur. Certains y décèlent une volonté de greenwashing pour la marque de fast fashion, devenue synonyme, avec ses 24 collections annuelles, « de pollution et destruction des écosystèmes, violation des droits humains, irresponsabilité des multinationales et dobsolescence frénétique des produits », selon les termes de Greenpeace. Tandis que dautres y voient surtout une adaptation pragmatique à un marché du prêt-à-porter particulièrement mal en point en France avec une chute des ventes dhabillement sur les sept premiers mois de lannée de près de 10% par rapport à leur niveau de 2019 (source IFM). « Clairement, il se joue aujourdhui quelque chose dans la fast fashion. Avec les préoccupations environnementales, lurgence de la crise climatique, lépoque nest plus propice à ce type dindustrie et à la profusion de son offre », juge Adrien Moret, directeur de la stratégie de lagence de luxe Helmut (Victor & Rolf, Diesel, Yves Saint Laurent, Givenchy…). « Selon moi, cest dabord un changement de façade. Les dirigeants vont être obligés de passer à laction, car le sujet est devenu politique. »  

De fait, Zara, qui a franchi le pas et vient de lancer sa plateforme de seconde main au RoyaumeUni,  sest fixé des objectifs très précis en matière de développement durable : « Atteindre à lhorizon 2040 zéro émission nette avec, dès 2023, 100% de coton plus durable (organique ou coton recyclé) et 100% de fibres cellulosiques plus durables, et en 2025, 100% de polyester recyclé et 100% de lin plus durable (lin organique ou lin recyclé), ainsi quune réduction de 25% de limpact deau dans leur chaîne dapprovisionnement.»2 Mais on part de loin et la route est longue.La collection premium Zara Origins, utilisant des matières plus qualitatives et plus coûteuses, représente 4,8% de son offre, en hausse de 17% », selon la plateforme danalyse concurrentielle de la mode Retviews by Lectra, qui a scruté la période août à décembre 2021 

 

« La tendance générale du marché du prêt-à-porter est à la baisse. Un article sur deux est vendu à prix barré. Et le secteur qui souffre le plus est celui du milieu de gamme, un modèle de marché hérité des Trente Glorieuses. » 

 

« Le bateau sombre »

L’économiste Philippe Moati, auteur de La société malade de l’hyperconsommation (éd. Odile Jacob, 2016) et professeur à l’université Paris-Cité (ex Paris-Diderot) n’est pas loin, lui aussi, de penser que la maison brûle. Ou presque. « Il y a péril en la demeure et les professionnels de Zara ont pris conscience qu’il était nécessaire de faire bouger les choses. Leurs chiffres de ventes sont bons mais ils sont lucides et ils voient que le bateau sombre, même s’ils sont situés sur le pont supérieur, comme sur le Titanic. La tendance générale du marché du prêt-à-porter est à la baisse. Un article sur deux est vendu à prix barré. Et le secteur qui souffre le plus est celui du milieu de gamme, un modèle de marché hérité des Trente Glorieuses », estime-t-il. Celio, Camaïeu, dont le Tribunal de Commerce de Lille a prononcé la liquidation judiciaire le 28 septembre, C&Aen font partie. « Ce sont des modèles très peu segmentants, consensuels et donc à faible valeur identitaire pour une femme qui cherche à exprimer son style et sa personnalité à travers ses vêtements », décrypte Philippe Moati 

 

Virage stratégique de H&M 

Pourtant, les choses bougent. Et d’abord, l’autre grande marque de la fast fashion, H&M. Sous l’impulsion d’Helena Helmersson, ancienne directrice développement durable nommée à la direction du groupe en 2020, celui-ci a amorcé un virage stratégique. Son ambition ? Réduire de moitié son empreinte carbone d’ici à 2030 en dépit d’un doublement de ses ventes. Son arme fatale ? La seconde main grâce à laquelle « Helena Helmersson compte atteindre un objectif de 100% d’articles circulaires (via la plateforme Sellpy, dont H&M a pris le contrôle en 2021), mais aussi le recyclage, la location (à Stockholm, Berlin et Amsterdam) et la réparation (à l’atelier du magasin La Fayette Paris ou en suivant en ligne les conseils de son programme Take Care) », indique Le Figaro1. Même si, selon la plateforme Retviews by Lectra, l’offre premium de H&M n’a enregistré qu’une « hausse de 2% pour atteindre 5,6% de l’assortiment global » sur la période d’août à décembre 2021.  

Mais la politique de tous ces petits pas réunis amorce un réel changement des comportements. Témoin, « Kiabi, qui a installé un stand de seconde main dans ses magasins et a décidé de tester pendant un an la location de vêtements auprès de ses clients dans plusieurs villes de France, via des abonnements mensuels », indique Cécile Badouard de (Becoming), qui collabore avec la marque. De son côté, après un premier test en 2021, Monoprix a décidé de mettre en place des corners de produits d’occasion, associant déco vintage à d’anciennes collections de l’enseigne dans 58 magasins. Enfin, Asphalte, dont le modèle repose sur un système de précommandes pour limiter les invendus, a vu son chiffre d’affaires passer de 5 à 20 millions d’euros en l’espace de deux ans. Si elles veulent tenir le choc, les enseignes du « monde d’avant », pour reprendre l’expression post crise sanitaire, sont sommées d’apprendre à répondre aux nouvelles attentes des consommateurs. Sous peine de sombrer bel et bien. Comme le Titanic. 

 

  1. Caroline de Malet, « H&M opère sa mue vers une mode plus responsable », lefigaro.fr, 16/09/2022.
  2. Rapport annuel Inditex 2021.

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