9 mai 2022

Temps de lecture : 5 min

« La France est intoxiquée au présidentialisme », Rémi Lefebvre (CERAPS)

Rémi Lefebvre est chercheur au CERAPS, (Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales) et professeur de sciences politiques à l’université de Lille 2. Pour ce politologue auteur de plusieurs ouvrages, dont « Municipales : quels enjeux démocratiques » en 2020 (éd. La Documentation française), l’hyperprésidentialisation actuelle est dangereuse. Au fil des mandats, le locataire de l’Élysée ne cesse de renforcer son pouvoir et les partis politiques perdent de leur influence. Les attentes disproportionnées des électeurs engendrent des désillusions brutales et une « hystérisation » de la société. Des réformes institutionnelles sont nécessaires mais aucun candidat à la présidentielle ne parle de ce sujet. Attention, danger… Cette interview sont tirés de la revue INfluencia, numéro 39, intitulée Pouvoir contre pouvoirs et influences.

Influencia : un président qui agit seul, un parti fantoche, un parlement qui enregistre sans mot dire les décisions élyséennes… Assistons-nous à une hyper présidentialisation du pouvoir ?

Rémi Lefebvre : il y a incontestablement un renforcement de la présidentialisation en France. On retrouve le même phénomène dans d’autres pays comme l’Espagne et le Royaume-Uni, où la personnalisation du pouvoir progresse sans cesse. Mais dans aucune autre nation européenne, la concentration du pouvoir n’est aussi forte que chez nous. La différence entre notre modèle et celui de l’Allemagne est particulièrement criante. Outre-Rhin, le Chancelier a pour mission de mettre en musique un programme qui a été négocié par les partis réunis au sein de la coalition gouvernementale et qui se base sur les promesses de campagne des différentes formations. Ces tractations peuvent prendre plusieurs semaines voire quelques mois, et durant tout ce temps, le pays est à l’arrêt et le Chancelier sortant gère les affaires courantes. Mais une fois négociées, les décisions ont été légitimées de manière assez large. Il y a plus de consensus. Un tel système semble tout à fait impossible à adopter en France.

nous sommes les seuls au monde à vivre dans une telle monarchie élective

IN : pourquoi le président de la République a-t-il un pouvoir tel dans notre pays ?

RL : plusieurs raisons expliquent ce phénomène. Le régime de la Cinquième République est déjà très particulier, car il donne un pouvoir très fort au président. Tout le monde en France pense que ce système est naturel, mais nous sommes les seuls au monde à vivre dans une telle monarchie élective. L’adoption du quinquennat a également renforcé l’emprise présidentielle. La concentration du pouvoir n’est pas due seulement à notre constitution, mais au bouleversement et à la refonte du calendrier électoral. L’importance des élections législatives a disparu ; elles ne viennent que confirmer le verdict de la présidentielle, comme nous l’ont prouvé les scrutins de 2002, 2007, 2012 et 2017. À chaque fois, le président a obtenu une majorité parlementaire et les députés ont réalisé qu’ils devaient tout au locataire de l’Élysée. Ils sont dociles et il n’y a pas de contre-pouvoir à l’exécutif.

IN : ce phénomène a-t-il atteint son paroxysme  lorsqu’en 2017 d’illustres inconnus ont été élus sous la bannière de la République en Marche ?

RL sans aucun doute. De nombreux députés ont été élus sans aucun ancrage local, en se contentant de mettre le nom d’Emmanuel Macron sur leurs affiches électorales. La plupart d’entre eux ne savent toujours pas s’ils pourront rester à l’Assemblée nationale parce que c’est le président, ou le mouvement LREM qui est à sa main, qui décidera des candidats qui se présenteront sous ses couleurs… Et il n’a pas encore fait part de ses choix. Les députés dépendent donc totalement du bon vouloir de l’Élysée. Le quinquennat fait que nous vivons dans une présidentielle permanente durant laquelle le président se comporte en chef de la majorité et non comme une personne au-dessus du système. 

Aujourd’hui, le chef du gouvernement est mis de côté, et s’il devient trop populaire, comme cela a été le cas d’Édouard Philippe, il est remercié…

IN : ce virage n’a pas été amorcé par Emmanuel Macron…

R.L : non, mais cette tendance s’est sensiblement renforcée depuis son arrivée au pouvoir. François Mitterrand et Jacques Chirac faisaient assez peu de déplacements ni de déclarations aux médias lorsqu’ils étaient à l’Élysée. Ils n’étaient pas en première ligne. Ils préféraient mettre leurs Premiers ministres en avant. Aujourd’hui, le chef du gouvernement est mis de côté, et s’il devient trop populaire, comme cela a été le cas d’Édouard Philippe, il est remercié pour être remplacé par une personne plus insignifiante comme Jean Castex, un maire du Gers, un technocrate, un inconnu. François Hollande avait déjà montré la voie quand il avait décidé de lancer – sans consulter sa majorité parlementaire – le Pacte de compétitivité (CICE). Les frondeurs ont eu quelque part raison lorsqu’ils ont décidé de faire scission en accusant le président de ne pas les impliquer suffisamment, le CICE n’était pas du tout dans son programme de 2012. Nicolas Sarkozy incarnait également beaucoup le pouvoir. Mais une marche supplémentaire a été gravie par Emmanuel Macron. Les élus comptent très peu. Aujourd’hui, les personnes importantes dans l’opposition ne sont pas députés mais à la tête de conseils régionaux – citons Valérie Pécresse, Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand. Cela prouve que l’influence des élus à l’Assemblée nationale a considérablement diminué, et ce phénomène est très inquiétant.

IN : Pourquoi ?

R..L : le rituel présidentialiste consiste à penser que l’homme à la tête du pays peut résoudre tous les problèmes. Ce phénomène crée beaucoup d’attente, de désenchantement et d’hystérisation. Le président devient très vite impopulaire, même si Emmanuel Macron ne s’en sort pas trop mal comparé à François Hollande et Nicolas Sarkozy. Il n’en reste pas moins que tout le mécontentement se concentre sur le président, qui se transforme en figure expiatoire. Les locataires de l’Élysée se font, de surcroît, élire avec des majorités de plus en plus faibles. Au premier tour en 2017, Emmanuel Macron n’avait rassemblé que 24% des voix, et un tiers de ces scrutins étaient des votes utiles et non d’adhésion. En 2012, 1,5 million de bulletins blancs avaient été comptabilisés lorsque François Hollande avait « remporté » le second tour. Les décisions prises par le président sont, en conséquence, de moins en moins légitimes.

IN: que pensez-vous du concept de démocratie participative, de retour dans les débats avec les primaires populaires ?

R.L : La démocratie participative est une réponse à la crise institutionnelle et démocratique. L’idée est de ne pas limiter la démocratie à l’acte électoral et d’associer les citoyens aux décisions entre deux scrutins. Le processus est ancien. Depuis les années 1970, le pouvoir local a développé une offre de participation : conseils de quartier, budget participatif… L’enjeu est de passer à un niveau national, ce qui n’est pas simple. Il y a des outils comme les conventions citoyennes, les jurys citoyens, qui fonctionnement très bien et qui montrent que des citoyens « ordinaires » formés ont plein de choses à dire. Le problème est que les élus mettent en avant la démocratie participative, mais l’instrumentalisent ou la manipulent. On l’a vu avec la convention citoyenne.

Il faut sortir de l’hystérie présidentialiste actuelle. Ce sera compliqué.

IN : que faudrait-il faire pour transformer le modèle actuel ?

R.L : Il faudrait introduire davantage de proportionnelle et redonner du pouvoir aux partis mais en les rénovant. Les décisions doivent avoir une assise dans la société et non pas être prises par un petit groupe de décideurs. La verticalité décisionnaire crée toujours de la défiance. La France est intoxiquée au présidentialisme. Personne n’ose imaginer de suivre un modèle différent. Aucun des candidats pour le scrutin du 10 avril ne propose de réforme des institutions (sauf Mélenchon), car ils ne considèrent pas ce sujet important, alors que notre pays a un véritable problème institutionnel. Les partis politiques sont très faibles. C’est inquiétant.

La peopolisation et les chaînes d’information ont encore renforcé la dynamique actuelle. Il est temps de la changer…

Une société a besoin de politique et de débats d’idées. La marge de manœuvre du pouvoir actuel des partis ne cesse de diminuer, mais nous devons cesser de croire qu’il existe un homme providentiel. Il est nécessaire d’avoir une vision plus collaborative et participative de la politique. Il faut, pour cela, sortir de l’hystérie présidentialiste actuelle. Ce sera compliqué. Pour décrire l’élection qui nous attend au mois d’avril, Emmanuel Macron a parlé de « spasme présidentiel » qui revient tous les cinq ans. Mais les taux de participation en baisse constante montrent que de moins en moins d’électeurs croient en notre système présidentiel, même si d’un autre côté, ils n’imaginent pas de changement…  Personne ne leur en propose. Les forces politiques actuelles, et la gauche tout particulièrement, n’ont pas su convaincre la population de modifier nos institutions. Ce sujet est passé à la trappe. La peopolisation et les chaînes d’information ont encore renforcé la dynamique actuelle. Il est temps de la changer…

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