24 mai 2022

Temps de lecture : 3 min

« La culture geek est très forte en France » : David Peyron (Université Aix-Marseille)

Maître de conférence en sciences de l’information et de la communication à l’Université Aix-Marseille, David Peyron a publié en 2013 aux éditions Fyp un ouvrage intitulé : « Culture Geek ». A l’occasion de la Journée mondiale des Geeks, qui se tient aujourd’hui 25 mai, cet expert nous explique comment ces anciens « idiots du village » sont devenus des experts recherchés qui revendiquent fièrement leur identité.

INfluencia : Quelle est l’origine du mot Geek ?

D.P. : Au Moyen-âge en Europe du Nord, le geek était l’idiot du village. Au Pays-Bas, « gek » signifie aujourd’hui encore le simplet du coin. La danse de la Guigue et le verbe gigoter viennent également de ce mot très ancien. Au XVIIIème siècle, ce nom a été associé par les Anglais avec celui de « freak » qui était le monstre de foire. Parmi tous les « freaks » qui étaient présentés sous des chapiteaux, le « geek » était celui qui était le moins valorisé. C’était l’homme qui mangeait tout y compris des cailloux, des morceaux de verre ou du métal et qu’on présentait à côté de la femme à barbe. Aux Etats-Unis, le « geek » est resté dans le vocabulaire comme étant un monstre de foire.

Aux États-Unis, le « geek » est resté dans le vocabulaire comme étant un monstre de foire.

IN : Ce mot est ensuite revenu au goût du jour au XXème siècle ?

D.P. : Effectivement. Dans les années 50 et 60, « geek » était une insulte par très méchante prononcée par les étudiants des universités américaines. Tous les jeunes qui se trouvaient un peu en marge de la vie estudiantine étaient traités de « geek ». Au fil du temps, ce terme a été utilisé pour qualifier tous les passionnés d’informatique et de jeux de rôle. Les fans de Star Wars et de comics ont rapidement rejoint leur contingent.

Ils ont tous pour point commun de créer des mondes virtuels et de les aborder comme s’ils étaient réels

IN : Quand , ce terme est-il arrivé en France ?

D.P. : Les Français qui étudiaient aux Etats-Unis l’ont importé à leur retour de l’université dans les années 80. Au milieu des années 2000 avec l’arrivée de l’ADSL, nous avons commencé à relier le mot « geek » aux cultures liées aux mondes imaginaires et notamment à Star Wars, aux mangas et au Seigneur des Anneaux. Ces fans peuvent regarder vingt fois le même film pour trouver des détails en arrière-plan tel un informaticien qui lit chaque ligne de code. Ils ont tous pour point commun de créer des mondes virtuels et de les aborder comme s’ils étaient réels. Ils veulent sans cesse aller plus loin dans leur immersion de l’univers qu’ils se sont créés. Ils suivent une quête sans fin. C’est pour cela que tant de gens ont une passion pour J.R.R. Tolkien qui a inventé des langues et des plantes dans ses livres.

IN : Quelle est l’origine de la Journée mondiale des Geeks ?

D.P. : Cette journée a été créée en Espagne en 2006 sous le nom de « Dia del Orgullo Friki ». Dans ce pays, les gens revendiquent leur culture geek. Le quartier « El Triangulo Friki » à Barcelone abrite de nombreux magasins spécialisés dans les mangas, les jeux-vidéos ou les déguisements.

IN : combien existe-t-il de Geeks dans le monde ?

D.P. : c’est impossible de le savoir. Les jeux-vidéos dépassent, par exemple, la culture geek. C’est une identité revendiquée qui entre dans l’ordre de l’intime. Ce qui est certain par contre est que ce phénomène continue de croître année après année même si le nombre de personnes qui se disent geek recule depuis dix ou quinze ans car elles ne ressentent plus le besoin viscéral de le dire tout haut comme dans le passé. Cette culture est devenue presque normale ces dernières années. Il suffit de voir comment Marvel, Star Wars et les jeux-vidéos dominent aujourd’hui le monde du divertissement pour s’en apercevoir.

Nous avons un rapport particulier en France avec la culture qui est très liée à l’État et au patrimoine

IN. : Quelle est l’importance de ce phénomène en France ?

D.P. : nous avons un rapport particulier en France avec la culture qui est très liée à l’État et au patrimoine alors que dans les pays anglo-saxons la culture doit avant tout être populaire et se vendre très bien. Dans notre pays par exemple, les BD coûtent chères alors qu’elles sont bon marché aux Etats-Unis et au Japon. La culture geek est donc très forte en France car beaucoup de gens veulent montrer qu’ils s’intéressent à autre chose qu’à la culture patrimoniale nationale. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si nous sommes le deuxième pays au monde le plus amateur de rap et de manga.

IN : quel est l’avenir du mouvement geek ?

D.P. : son côté marginal va continuer de disparaître peu à peu. Cette forme de dilution est la destinée de toutes les sous-cultures. Certains geeks chercheront toutefois toujours à trouver des moyens de se distinguer par rapport aux autres.

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