26 septembre 2019

Temps de lecture : 4 min

Journalisme : une institution peut-elle veiller à la qualité de l’information ? (1/2)

De la mobilisation des « gilets jaunes » à ces « affaires de Rugy », le travail journalistique a récemment suscité de fortes controverses. Ces polémiques réactivent des interrogations anciennes : chacun peut-il se revendiquer journaliste ou bien cette activité doit-elle être réservée à des professionnels reconnus par leurs pairs ?

De la mobilisation des « gilets jaunes » à ces « affaires de Rugy », le travail journalistique a récemment suscité de fortes controverses. Ces polémiques réactivent des interrogations anciennes : chacun peut-il se revendiquer journaliste ou bien cette activité doit-elle être réservée à des professionnels reconnus par leurs pairs ?

Les journalistes peuvent-ils être au service d’une cause ou bien doivent-ils faire preuve d’une stricte neutralité ? La vérité factuelle constitue-t-elle le seul critère de pertinence du travail journalistique ? La crédibilité des contenus dépend-elle de l’identité des propriétaires des médias ? Loin d’être neuves, ces questions prennent une tournure singulière dans un contexte de profond chamboulement de l’écosystème médiatique.

Réguler la parole des journalistes ?

En 2019, la lutte contre les fake news a été l’occasion pour certains politiciens de remettre à l’honneur la vieille idée d’un Conseil de l’ordre chargé de juger les manquements déontologiques des médias. Dans une interview réalisée le 25 juin auprès de l’agence Reuters, le secrétaire d’État au numérique, Cédric O justifiait le besoin d’une telle organisation par la « menace contre la démocratie » que représenterait l’audience croissante des médias russes Russia Today ou Sputnik. Selon lui, si les représentants des médias traditionnels refusent de prendre en charge ce contrôle des informations, ce serait à l’État d’exercer une telle responsabilité.

La déclaration a fait un tollé dans la profession. Le Syndicat national des journalistes (SNJ) s’est opposé immédiatement à la proposition, dénonçant un risque d’instrumentalisation gouvernementale d’une telle instance. Original de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.  Elle se heurte en effet à deux dimensions constitutives de l’activité journalistique dans la France contemporaine. D’un point de vue démocratique, elle contredirait le principe de « liberté de la presse » qui définit le cadre juridique des publications depuis la loi de 1881 ; d’un point de vue économique, elles serait susceptible d’imposer des contraintes bridant les logiques marchandes des dirigeants de médias. Pour autant, ces mêmes représentants envisagent la création d’un Conseil de déontologie journalistique et de médiation d’ici fin décembre, afin de discuter collectivement des pratiques professionnelles et d’échanger avec les publics quant à la qualité de l’information.

« Un professionnalisme du flou »

Ce refus d’un Conseil de l’ordre met en lumière la singularité du journalisme au regard des professions réglementées telles que la médecine ou les métiers juridiques. Relativement ouvert dans son recrutement malgré le poids croissant des écoles, renvoyant à une large diversité de pratiques (de l’éditorial à la photographie de presse) et de supports (des journaux satiriques aux chaînes d’information en continu), le journalisme ne dispose pas d’institutions chargées d’en réguler les productions et d’en sanctionner les fautes.

Comme le souligne le sociologue Denis Ruellan, l’espace professionnel du journalisme s’est organisé dès la fin du XIXe siècle, tout en conservant un relatif « flou » du point de vue de la définition du métier et de ses frontières. Fixant le statut des journalistes professionnels en France au terme d’un long combat syndical, la loi Brachard de 1935 appréhende en effet le secteur d’activité de façon tautologique : « Le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une publication quotidienne ou périodique éditée en France ou dans une agence française d’informations, et qui en tire le principal des ressources nécessaires à son existence. »

Cette loi s’accompagne en 1936 de la création d’une Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP), chargé de délivrer la « carte de presse ». L’obtention de cette dernière conditionne l’accès à un ensemble de droits, comme la « clause de conscience » qui rend possible l’obtention d’indemnités de départ en cas de changement de ligne éditoriale ou encore la protection du secret des sources depuis la loi de 2010. En 2018, 34 890 cartes de presse ont été délivrées (contre 37 125 en 2012) mais sa détention ne constitue toutefois pas une obligation légale pour exercer cette activité.

Autant de journalismes que de journalistes ?

L’attribution des cartes repose avant tout sur un critère économique d’origine des rémunérations : 51 % des revenus doivent provenir d’entreprises reconnues comme fournissant des contenus journalistiques. Si la CCIJP veille à la séparation entre journalisme et communication, elle ne conditionne cependant pas l’obtention de la carte à la qualité de l’information.

La carte de presse reconnaît que 51% de vos revenus proviennent de la presse. Elle ne signifie pas que vous êtes journaliste ou non. C’est une carte administrative. Et fiscale. Je connais beaucoup de ses détenteurs qui n’ont rien de journalistes. Et inversement. #freeGaspardGlanz

De fait, de nombreux titulaires de la carte exercent leur métier dans des magazines de loisirs ou dans des publications spécialisées qui disposent d’une autonomie très limitée vis-à-vis de leurs actionnaires ou de leurs annonceurs.

Objectivité ou honnêteté ?

Or c’est bien cet enjeu d’autonomie professionnelle qui fut historiquement au cœur des revendications syndicales de reconnaissance du métier et d’obtention de droits spécifiques. Ces derniers ont été justifiés par le fait que les journalistes exerceraient des responsabilités fondamentales en démocratie : permettre aux citoyens d’accéder aux débats publics, de contrôler leurs représentants, et in fine de participer politiquement.

Défini aux États-Unis autour de la notion de gatekeeper (ce que l’on peut traduire comme le « portier » de l’espace public, c’est-à-dire celui qui trie et ordonne les flux de nouvelles), le journalisme professionnel implique de respecter des règles déontologiques fondées avant tout sur l’interdiction de déformer les faits et d’être rétribués par celles et ceux dont ils médiatisent les activités. Dès juillet 1918, face au « bourrage de crâne » de la propagande d’État, le SNJ édicte une Charte des devoirs professionnels des journalistes français qui sera révisée en 1938 puis en 2011, devenant alors la Charte d’éthique professionnelle des journalistes.

L’identité journalistique s’est ainsi construite à travers les luttes menées face à l’État (pour garantir la liberté d’expression), aux employeurs (pour prévenir l’intrusion des « puissances d’argent »), aux sources (pour mieux marquer l’opposition entre information et communication) et aux « amateurs » (pour attester la crédibilité de leurs productions face à celles des militants ou des citoyens ordinaires).

Mais ces revendications d’autonomie n’ont jamais impliqué que les journalistes français devraient faire preuve d’une stricte neutralité. Aux États-Unis, c’est l’« objectivité » qui a été historiquement posée en exigence fondamentale du métier. Inversement, en France, c’est le principe d’« honnêteté » dans la restitution factuelle qui s’est imposé : les journalistes peuvent alors s’engager dans les batailles politiques sans être réduits à de simples agents de propagande.

Cet article a d’abord été publié sur le site The Conversation.

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