30 juin 2022

Temps de lecture : 5 min

Jérôme Cohen : “Le Grand Défi est une aventure démocratique et participative appliquée au monde économique. C’est ce qui fait sa force”

Inspiré de la Convention Citoyenne pour le Climat, le Grand Défi veut mobiliser les entreprises par l’intelligence collective pour créer un nouveau modèle économique afin de répondre au défi environnemental. Rencontre avec Jérôme Cohen, président d’Engage et co-fondateur du Grand Défi avec Virginie Raisson-Victor, Présidente du Giec Pays-de-la-Loire.
The Good : Comment est né le Grand Défi ?

Jérôme Cohen : Le Grand Défi est né d’une discussion avec Virginie Raisson-Victor. Nous avions été assez impressionnés par la montée en puissance des délégués de la Convention Citoyenne pour le Climat et nous sentions le besoin d’adapter cette démarche démocratique et d’apprentissage au monde économique et à celui de l’entreprise, c’est ce que nous avons fait. Nous avons adapté le processus démocratique à la question des entreprises, et avons œuvré à la bonne acceptation des propositions qui en découlent. C’est une des raisons pour lesquelles nous avons regroupé une communauté, avec une centaine de partenaires, d’institutions et organisations dédiées à la transition, afin qu’ils co-portent et participent au déploiement des mesures qui émergeront du Grand Défi.

TG : Le Grand Défi, c’est quoi exactement ?

J.C : C’est un process en trois étapes pour faire émerger 100 propositions en faveur de la transition écologique. Dans un premier temps, nous avons ouvert une Grande Consultation pour prendre le pouls des entreprises sur la question de la transition. Nous voulions connaître leurs freins, leurs besoins et leurs éventuelles propositions. Le but étant aussi de préparer le terrain pour le travail de Grande Délibération qui a commencé à Nantes début juin. Cela marque le début de la phase 2, au cours de laquelle les entreprises tirées au sort vont se retrouver 6 fois pour travailler progressivement à l’émergence de ces 100 propositions à l’aune de l’audition d’experts, de grands scientifiques du GIEC, d’économistes spécialistes de l’entreprise pour les présenter en décembre à l’Académie du Climat. Ces propositions seront discutées, arbitrées et choisies avec l’ensemble de la communauté (délégués, partenaires, marraines). La dernière phase sera celle de la Grande Diffusion. Nous porterons et déploierons ces mesures à la fois auprès de nos partenaires, et des sphères politiques et économiques.

TG : Quel type de propositions émergeront du Grand Défi ?

J.C : Ces mesures sont créées pour faire évoluer les business models des entreprises, leur gouvernance. Elles seront plus transversales dans l’économie. On souhaite éviter une liste à la Prévert. On veut que ce soit des mesures fortes, applicables, ambitieuses et qu’elles aient un pouvoir transformatif de l’économie et de l’entreprise. On ne veut absolument pas que ces mesures soient superficielles. Notre travail est d’apporter de la connaissance aux délégués mais c’est aussi de leur transmettre cette ambition qui est la nôtre et de ne pas se satisfaire de demi-mesures. Le but est d’engager la communauté économique et d’entraîner le plus de personnes possibles quelles que soient leurs pensées premières. L’idée n’est pas de travailler avec la petite communauté des “déjà convaincus” parce que sinon on n’avance pas. Le Grand Défi est une aventure démocratique et participative appliquée au monde économique. C’est ce qui fait sa force.

TG : Comment les délégués ont-ils été sélectionnés ?

J.C : Nous les avons tirés au sort dans une base de l’INSEE constituée de 120 000 entreprises. On a ensuite envoyé une lettre ou un email à 16 000 d’entre elles en leur disant de nous rappeler si elles étaient intéressées. 150 ont été choisies. Ensuite, chacune a envoyé un dirigeant, un salarié ou un actionnaire. Nous voulions que tous les secteurs d’activité, tous les territoires, toutes les tailles d’entreprises, toutes les dimensions juridiques soient représentés. C’est aussi grâce à cette diversité que les mesures auront encore plus de légitimité. Ce qui nous intéresse surtout c’est de connaître les freins et de comprendre si les réponses sont différentes selon le genre de la personne qui répond, son âge, son secteur d’activité, son niveau de responsabilité.

TG : Quelles sont les thématiques abordées ?

J.C : Nous sommes concentrés sur la transformation environnementale avec naturellement une dimension sociale puisque nous ne pourrons éviter le sujet de la conséquence des limites planétaires. Il aurait été vain de traiter une transition systémique. Nous travaillons beaucoup sur la question de la biodiversité. Elle est déjà suffisamment complexe et inconnue par le monde de l’entreprise.

TG : Comment s’est passée la première réunion plénière à Nantes ?

J.C : Il y a dans le lot des personnes très connaisseuses des sujets environnementaux, et d’autres non. Il était nécessaire de mettre à niveau ceux moins experts. Nous avons fait venir un chercheur du CNRS sur la question écologique, Philippe Grandcolas, une membre experte du GIEC, un économiste, Bernard Leca, de l’ESSEC Business School. Ces personnes sont venues poser le constat. Nous avons fait appel à des scientifiques pour que leurs paroles ne soient pas questionnables. Nous voulions que cette première session serve à faire communauté et à se saisir de la problématique. Nous avons créé le cadre, rassemblé les énergies ; maintenant c’est aux délégués de s’emparer des sujets, de montrer le niveau d’ambition qu’ils veulent adopter. Nous sommes juste là pour faciliter, soutenir le travail de réflexion.

TG : Pouvez-vous nous parler des 5 autres réunions ?

J.C : À Lille (en juillet), nous commencerons à travailler sur la question de l’impact, du rôle et de la responsabilité des entreprises. À partir des sessions 3, 4 et 5 nous allons faire émerger progressivement les propositions en les nourrissant de temps de réflexion. La dernière session sera à l’Académie du Climat à Paris et sera dédiée au choix des propositions finales.

TG : Comment l’équipe est-elle structurée ?

J.C : Le projet est porté par une association d’intérêt général. Il est financé par quelques partenaires institutionnels, des entreprises qui ont choisi de nous soutenir et dont le sujet leur paraissait essentiel. Nous ne sommes pas financés par une grosse structure étatique. Virginie et moi-même portons, dirigeons le projet et en sommes les portes-paroles. Nous sommes entourés par une petite équipe de salariés. Il y a une trentaine de bénévoles,  “les engagés” qui travaillent sur tous les volets du programme depuis sa création, sa communication, son organisation. Ils sont aussi les animateurs des temps d’intelligence collective que nous organisons pendant les sessions. Nous avons par exemple formé une dizaine de bénévoles qui vont passer deux jours avec nous à Lille pour animer des ateliers spécifiques sur la biodiversité.

TG : Avez-vous adopté des processus d’innovation dans les modes de fabrication des décisions ?

J.C : Nous travaillons avec Bluenove, un acteur de l’intelligence collective en ligne pour la consultation. Nous allons travailler aussi sur le process d’arbitrage, de consensus autour des propositions. La question du choix de l’arbitrage est beaucoup plus complexe.

TG : Comment vous positionnez-vous par rapport aux autres démarches collectives d’entreprises engagées, comme la Convention des Entreprises pour le Climat par exemple ?

J.C : La CEC accompagne la transition des dirigeants de 150 entreprises et de leurs propres trajectoires. C’est tourné vers les entreprises participantes. Notre volonté est de travailler sur la transformation des entreprises et du monde économique en général. On verra bien si à la fin on se rejoint et comment. Les autres mouvements comme le C3D, Impact France ou encore la Communauté des Entreprises à Mission sont partenaires de l’initiative. Ils interviennent, vont pousser leurs propres propositions auprès des délégués. Ce sont des copains de lutte. L’idée est aussi en rassemblant ces différents mouvements de donner un effet de résonance à ce qui existe déjà et que cela soit surtout porté par les entreprises elles-mêmes.

 

Cette interview a d’abord été publié dans The Good

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