31 août 2023

Temps de lecture : 7 min

« J’aurais pu devenir Zuckerberg à 34 ans, j’ai raté la gloire et la fortune » : Nicolas Bordas (TBWA)

Elles/ils sont publicitaires, femmes/hommes de média, annonceurs, photographes, tendanceurs/tendanceuses, philosophes, écrivain(e)s, artistes… Pour mieux les connaître, j’ai décidé chaque semaine de les soumettre à un « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’hôtel Swann*Proust oblige bien sûr – Aujourd’hui, Nicolas Bordas, Vice-Président International de TBWA/Worldwide, Chairman de TBWA\Corporate

INfluencia : Votre coup de cœur en ce moment ?

Nicolas Bordas : j’en ai beaucoup actuellement. Mais puisqu’il s’agit d’un coup de cœur, je choisis justement l’opération « J’écoute mon cœur » pour la journée mondiale du cœur, le 29 septembre, conçue par Nouvelle Cour, l’agence associative née à La Courneuve que je parraine à travers TBWA, pour la Fondation Coeur et Recherche. La Fondation veut profiter de cette journée pour sensibiliser les gens sur l’importance de la médecine préventive en matière cardiaque et sur le fait que les maladies cardio-vasculaires sont les principales causes de décès dans le monde. Le principe est très simple : vous dessinez un cœur rouge sur votre main, que vous partagez sur les réseaux sociaux. C’est un peu le Ice Bucket Challenge du cœur.

J’ai une colère quotidienne : ce que devient Twitter… C’est un drame pour la démocratie mondiale.

INf. : Et votre coup de colère ?

N.B. : j’ai quelques colères structurelles, mais j’ai une colère quotidienne : ce que devient Twitter. L’évolution erratique de ce qui s’appelle maintenant X et que je n’arrive pas à appeler ainsi – j’ai d’ailleurs suivi cette belle idée nostalgique qui consiste à garder le petit oiseau à côté de mon nom sur Twitter – est en train de tuer la valeur démocratique de Twitter, c’est à dire un système d’information fiable pour tous. C’est un drame pour la démocratie mondiale. Je fais partie des gens qui aimaient Twitter et qui l’aiment encore, je l’utilise encore une fois par jour pour m’informer, mais je ne publie plus. Et j’en veux beaucoup à Elon Musk de l’avoir transformé pour son usage personnel, qui est un usage conversationnel où on s’insulte allègrement comme dans un bistrot lors de soirées bien arrosées. Et puisqu’il il va modifier Twitter pour en faire un service encore plus ouvert, comme une sorte de couteau suisse à la WeChat, il va le tuer encore plus. Et malheureusement il n’y a pas aujourd’hui d’alternatives réelles mondiales. Threads a un potentiel mais c’est loin d’être gagné, d’abord parce qu’il n’est pas présent en Europe, ce qui limite son usage et ensuite qu’il n’est pas évident que la cible de ceux qui aiment Instagram aiment Twitter. Et malheureusement mon projet de lancer le Twitter européen, Storker, n’a pas pu aboutir, faute de quelqu’un qui s’en occupe sérieusement.

Philippe Michel et Edgar Morin m’ont fait changer de point de vue sur le monde

INf. : La personne ou l’événement qui vous a le plus marqué ?

N.B. : la personne qui m’a le plus marqué dans ma vie professionnelle est Philippe Michel, qui a été mon mentor, et dans ma vie intellectuelle celui que je considère comme mon maitre à penser, Edgar Morin, que j’ai eu la chance de rencontrer à plusieurs reprises. J’ai été nourri par deux de leurs ouvrages, par ordre d’apparition « Les idées, leur habitat, leur vie, leurs mœurs, leur organisation », qui est le tome 4 de « la méthode », la grande œuvre de Edgar Morin, publié en 1995. C’est l’époque où je venais de quitter CLM après le décès de Philippe Michel en 1993, un des grands traumatismes de ma vie car je l’admirais beaucoup, et qui a publié via Anne Thévenet-Abitbol un livre posthume sorti en 2005, mais qui était déjà en gestation dans ces années-là et qui s’appelait : « C’est quoi l’idée ? Création, publicité et société de consommation ». L’influence de ces deux personnes et de ces deux ouvrages a été colossale, ils m’ont fait changer de métier, de point de vue sur le monde puisque je suis passé d’un homme de publicité à un homme d’idées obsessionnel, avec une conviction profonde que seules les idées changent le monde et qu’il n’y a pas de projets sans idées.

INf. : Votre plus grande réussite… en dehors de vos enfants bien sûr

N.B. : avoir écrit un livre vraiment utile à plein de gens, qui m’en ont remercié, et pas seulement quelque chose où je me suis fait plaisir.  On dit que pour avoir réussi sa vie, il faut avoir planté un arbre, avoir un enfant et avoir écrit un livre. J’ai coché les trois cases… Ce livre, c’est un peu « la disruption pour les Nuls », comment donner un maximum de clefs à tous ceux -associations, startups, individus – qui ont un projet, pour que cette idée devienne un succès. J’ai tenté un apport théorique totalement applicable concrètement et j’ai le sentiment d’avoir fait œuvre utile, une petite œuvre certes – je ne prétends pas avoir écrit « A la recherche du temps perdu » – mais j’ai fait ma part.

Virgin NETPORT: un Facebook et un WhatsApp avant l’heure

IN. : Et votre plus grand échec dans la vie ?

N.B. : ne pas avoir su convaincre en 1994 – je venais de rentrer chez BDDP pour prendre la suite d’Eric Tong Cuong – mon client Virgin Megastore de lancer un projet incroyablement pionnier conçu avec Fréderic Filloux, qui venait de quitter la rédaction en chef des cahiers multimédia de Libération : le Virgin NETPORT. C’était le moment où démarraient les premiers fournisseurs d’Internet, qu’on appelait les FAI. Je dis à Frédéric que Virgin est la marque en or pour être un fournisseur d’accès. Nous travaillons donc ensemble et nous décidons de créer Virgin NETPORT, partant du fait qu’il y a un port quand on arrive en bateau, un aéroport quand on arrive en avion, et donc un NETPORT quand on arrive dans la galaxie internet. Mais dans notre esprit, Virgin NETPORT n’était pas un simple FAI – c’était le moment où on commençait à parler des premiers contenus – mais un endroit comme le Club Med, où chacun pouvait avoir son espace, avec une partie publique qui était un mur, – avant que Facebook ne crée son Wall, et une partie privée où les gens pouvaient s’envoyer des messages, donc un WhatsAPP bien avant l’heure. Nous écrivons le projet, allons le présenter au patron du Virgin Megastore Paris, qui nous répond que le projet est formidable mais qu’il doit faire tourner le magasin et qu’il a d’autres priorités plus urgentes. En fait nous l’avons montré à la mauvaise personne et au mauvais moment, il aurait fallu rencontrer Richard Branson. Nous sommes revenus piteux et pendant un weekend nous avons envisagé avec Frédéric de le faire nous-mêmes, sans Virgin, mais finalement nous ne nous sommes pas lancés …. C’est une histoire que peu de gens connaissent. J’ai encore tout le projet chez moi, je pourrais l’encadrer et l’intituler « le projet de ta vie que tu as raté ». J’aurais pu devenir Zuckerberg à 34 ans mais je ne l’ai pas été, j’ai raté la gloire et la fortune.

Je suis le seul Français qui a vu trois fois à Paris le même concert d’adieu d’Elton John

INf. : Si vous aviez suivi vos rêves d’enfant…

N.B. : je serais pianiste dans un groupe pop/rock. En fait mes parents m’ont forcé à faire du piano quand j’avais 6 ou 7 ans, et je les en remercie.  Chaque semaine ils payaient le prof et moi, ce qui était une méthode assez efficace pour me faire apprendre le piano. J’avais droit à une petite pièce si je répétais dans la semaine. C’était peut-être déjà mon sens du commerce…

Par la suite, j’ai été sidéré par les pianistes pop en commençant par Elton John dont je suis un fan absolu. Je pense que je suis le seul Français qui a vu trois fois à Paris son même concert d’adieu. Et à l’époque mon idole était Tony Banks, le pianiste de Genesis. Quand le groupe était en concert, tout le monde regardait Phil Collins mais personne ne s’intéressait au claviériste. Moi, dans la salle des sports de Clermont Ferrand de 3000 personnes, je me mettais sur le côté pour regarder jouer Tony Banks pendant trois heures. C’est aussi l’époque de Rick Davies, là encore que personne ne connait, le pianiste – et aussi compositeur – de Supertramp. J’avais 14 ans et je me passais en boucle ce fameux morceau « School ».

J’ai raté cette vocation mais j’ai un piano chez moi, j’en ai joué par moment, et je m’y suis remis récemment sérieusement grâce à un piano français technologiquement incroyable, l’ALPANGE, créé par l’ancien professeur de mon fils, Raphaël Soudre. Il rivalise avec les meilleurs pianos à queue et a une particularité d’enregistrer tout ce qu’on joue et permet donc de créer. Du coup, je me suis mis au piano voix à la Michel Berger, bien que j’aie plutôt la voix de Bashung.

Ne pas parler grec est ma plus grosse lacune culturelle

INf. : Un projet personnel pour plus tard

N.B. : à part le piano, apprendre le grec ancien. Ne pas le parler est ma plus grosse lacune culturelle.  Je m’en veux et j’en veux un peu à mes parents – mon grand-père était un helléniste distingué – de ne pas nous avoir poussé à faire du grec, en plus du latin. Mais je me suis rendu compte de ce manque, en commençant à aimer tardivement la philosophie, grâce à Philippe Michel, qui était incroyablement cultivé en la matière. J’ai lu Heidegger, à cause ou grâce à Philippe Michel. « Être et temps », est pour moi est un livre très marquant. Le bouquin est tellement complexe que je n’ai pas la prétention d’avoir tout compris et chacun a son interprétation, j’ai la mienne qui se résume à cette idée que le temps est l’intégrale de l’être. Cette idée m’a totalement bouleversé, mais on comprend mal Heidegger, quand on ne parle pas allemand – j’ai fait russe en deuxième langue – et qu’on n’a pas les racines grecques. Je pense qu’il me manque la moitié de l’histoire.

Je suis un imposteur

INf. : Un secret à nous révéler ?

N.B. : je fais croire à tout le monde que je suis auvergnat car je suis né à Clermont Ferrand, mais en réalité j’ai 50% de sang CHTI et 25% de sang breton : mon arrière-grand-oncle était le fameux et dernier gendarme à cheval de Crozon Morgat. Donc je n’ai que 25% de sang auvergnat. En fait, je suis un imposteur…

INf. : Quel disque emporteriez-vous sur une île déserte ?

N.B. : sans hésitation, « Telegraph Road » de Dire Straits, c’est une chanson très longue – près de 15 minutes- qui pour moi est vitale, et qui incarne l’histoire humaine. Chaque fois que je l’écoute, j’ai des frissons. Elle fait passer par plein de moments différents, et à un moment donné il y a une explosion hallucinante. J’ai vécu plein de choses en l’écoutant ou en la fredonnant.

 

 

 

* l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’A la recherche du temps perdu

 

 

 

En savoir plus

L’actualité de Nicolas Bordas

  • Son livre, «L’idée qui tue », nouvelle version augmentée vient de paraître aux Editions Eyrolles
  • Sa toute nouvelle newsletter « The Killer Idea» qui succède à son blog a gagné 32000 abonnés en 6 semaines, ce qui la place dans les top newsletters LinkedIn en France.

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