1 mars 2024

Temps de lecture : 9 min

« J’ai 200 cocottes de la même marque, mes amis se moquent de moi… », Gautier Picquet (Publicis Media)

Sensible aux autres, à l’idée de partage et au monde qui nous entoure, il aurait voulu devenir prêtre, médecin ou cuisinier. Aujourd’hui il préside Publicis Media. Et demain ? Prêtre, c’est fini, mais cuisinier, un jour peut-être, qui sait… Gautier Picquet répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’hôtel Swann* – Proust oblige bien sûr –

 

INfluencia : Votre coup de cœur ?

Gautier Picquet : j’ai fait une rencontre magique récemment avec Pauline Déroulède, une jeune femme qui a eu malheureusement en 2018, un grave accident – elle a été renversée par une voiture – et a perdu sa jambe. Elle s’est relevée du choc qui terrasserait beaucoup de gens, a construit une nouvelle vie de sportive de haut niveau en tennis fauteuil et une nouvelle vie de maman – avec sa compagne elles ont eu une petite fille – Elle a participé récemment à l’Open d’Australie et sera présente aux Jeux paralympiques (ndlr : elle est première au classement français en tennis-fauteuil dames et 13 e au classement mondial).

On a toujours peur qu’il nous arrive quelque chose et notamment du handicap et on se demande toujours comment on réagirait. Pauline Déroulède a une rage de vivre qui nous interpelle et nous force à nous dire qu’on peut déplacer des barrières si on le veut. C’est aussi un joli coup de cœur parce que c’est un coup de cœur de réveil dans nos vies, où nous sommes dans des schémas un peu classiques, métro boulot dodo famille, où tout est plus ou moins tracé. Elle, elle a fait face à l’inconnu. En fait, elle a inversé la peur en réussissant en six ans à faire ce chemin de reconstruction et à le transformer en une nouvelle étape de vie et de succès. Elle a une énergie et en même temps une émotion qui est formidable. J’ai vraiment eu beaucoup de chance de la rencontrer.

J’espère qu’elle gagnera une médaille cet été. Nous avons décidé de la suivre et de l’aider et notamment de l’accompagner dans son association (ndlr : PAULINE JO 2024).

La réalité me fait peur et me provoque des colères explosives et passionnelles que je ne maîtrise pas, explique le patron de Publicis Media.
IN : Et votre coup de colère ?

G.P. : Je suis un garçon qui a beaucoup de coups de colère. Je m’énerve pour tout et tous les jours. Aussi bien parce que mon téléphone ne fonctionne pas et que cela va me rendre dingue pendant quelques minutes, que parce que je ne comprends pas notre monde, qui est compliqué, violent et injuste.

L’une de mes dernières colères de ce matin (ndlr : l’Interview a été faite en janvier), s’est produite en lisant le rapport sur l’école. S’il y a deux choses vraiment très importantes pour notre pays, c’est l’école et la santé. Je râle souvent en me disant que je ne suis peut-être pas assez cultivé pour comprendre et que mes colères sont des colères d’incultures. Mais pourquoi n’arrive-t-on pas à améliorer le système ? Pourquoi, malgré tous nos moyens, malgré notre capacité à créer l’intelligence artificielle, à générer des fortunes et des richesses dans les entreprises, n’arrivons-nous pas à faire que ce monde aille mieux ? Pourquoi y a-t-il autant d’inégalités ? Comment en est-on arrivé au conflit israélo-palestinien ? Je ne comprends pas le non vivre ensemble, l’injustice, le racisme, l’intolérance, comme le dit Antoine de Saint-Exupéry : « Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis ». La réalité me fait peur et provoque en moi des colères explosives et passionnelles que je ne maîtrise pas et où je m’énerve tout seul.

IN.: L’événement qui vous a le plus marqué dans votre vie ?

G.P. : Le moment le plus important dans ma vie est lorsque j’ai pris mes distances. J’ai vécu en Bretagne à Paimpol, une toute petite ville, maman était institutrice, papa marin. C’était des parents extrêmement stricts dans l’éducation et pas très drôles, dans le sens où ils voulaient le mieux pour leurs enfants. Et donc on ne peut pas dire que j’ai eu une jeunesse incroyable. J’ai été élevé avec beaucoup d’amour, mais très à la dure. Et à 18 ans je suis parti pour faire mes études à Bordeaux. Là, j’ai tout découvert dans la vie, je me suis fait des amis qui venaient de partout, j’ai exploré de nouveaux lieux… Je ne connaissais rien avant, je n’étais jamais sorti, je n’étais quasiment jamais allé dans un bar… C’est le moment où je dirais que je suis né. Avant j’étais le fils de mes parents, et là je suis devenu moi, j’ai construit ma personnalité avec tous ses biais, tous ses avantages et toutes ses erreurs. Cela a été une période merveilleuse

Je veux toujours devenir ce que je ne suis pas depuis ma petite enfance, mais avec la conviction que je le ferai plus tard
IN.: Votre rêve d‘enfant? Si c’était à refaire ?

G.P. : J’aurais adoré faire beaucoup de choses. Je veux toujours devenir ce que je ne suis pas et cela depuis ma petite enfance, mais avec la conviction que je le ferai plus tard. Donc mes rêves d’enfants et mes rêves d’adultes sont mes rêves pour demain.

Pendant très longtemps, c’est-à-dire quasiment jusqu’à mes 18 ans, je voulais être prêtre et j’ai vraiment tout fait pour le devenir. Mais à 18 ans, on évolue… Mes parents ont aussi questionné cette voie. Et puis j’étais passionné de cuisine. Je suis passé de l’idée d’être prêtre à celle d’être chef cuisinier. J’ai passé un concours, mais je me suis fait éliminer car pas assez rigoureux, ou comme d’habitude à l’époque, trop volage…

Ensuite, j’ai voulu être médecin, mais je n’en avais pas la capacité parce que je n’étais pas bon à l’école. Je ne travaillais pas beaucoup à l’époque – aujourd’hui on dit de moi que je suis un bourreau de travail – mais j’aurais adoré sauver des vies, travailler pour les autres. Plus tard j’ai d’ailleurs été accompagnant dans des services de soins palliatifs la nuit, notamment auprès d’enfants. J’ai aussi aidé la nuit aux Restaurants du Cœur.

Dans ma deuxième étape de vie, je souhaite, si je peux le faire, redonner plus

Ma vie est faite de rêves qui sont non accomplis ou qui ont été simplement commencés. Et comme j’ai décidé de vivre assez longtemps (rires) je sais que j’y reviendrai. Bon, prêtre, il y a certes eu des reconversions, mais c‘est quand même mal parti (rires). Je ne serai jamais non plus médecin, c’est certain. Mais cuisinier peut-être. Je cuisine aujourd’hui beaucoup et peut-être que je le deviendrai un jour, en maison d’hôtes par exemple.

Je rêve aussi de faire de la politique mais pas aujourd’hui, je le ferai peut-être en même temps que la cuisine et en même temps que je retournerai aider les Restaurants du cœur ou dans les services palliatifs des hôpitaux. La notion de partage pour moi a toujours été très importante.  Dans ma deuxième étape de vie, je souhaite, si je peux le faire, redonner plus. J’ai certes travaillé dans des grands groupes de communication mondiaux, mais mes parents m’ont inculqué ces valeurs. Je crois beaucoup à cette phrase « donner pour recevoir ».

Être quelqu’un de pas trop mauvais, qui veut continuer à apprendre et à donner aux autres
IN.:  Votre plus grande réussite

G.P. : C’est de m’être construit seul dans ce que je suis, d’avoir réussi à trouver mon équilibre personnel et professionnel, de m’être projeté dans une vie future, d’être quelqu’un de pas trop mauvais, qui essaie de progresser, en fonction des aléas de la vie bien sûr, qui veut continuer à apprendre et à donner aux autres. C’est très compliqué pour les gens de comprendre ce que cela veut dire d’être issu d’un petit village avec une maman institutrice et un papa marin qui nous ont donné tout leur amour à mon frère et moi mais qui nous ont laissé nous envoler seuls

Je finis par avoir une belle collection de paires de basket non utilisées dans les placards
IN.: Et votre plus grand échec dans la vie ?

G.P. : j’en ai beaucoup. Notamment en pâtisserie, où j’ai toujours cet instant de créativité qu’il ne faut pas avoir.  Quand on dit « 3 œufs » ce n’est pas 4. Et c’est bien dommage car j’en avais 4 (rires). Mais mes plus grands échecs, en fait sont heureusement quotidiens… Mon plus grand échec, c’est de me dire en me levant : « je commence un régime », mais de retour à la maison que j’ai envie de bien manger et de bien boire. Mon plus grand échec est de me répéter tous les jours qu’il faut faire du sport, et que j’ai acheté plusieurs paires de basket pour courir mais que ça me saoule, et que le soir je n’ai toujours pas ouvert la boîte…. Mon plus grand échec finalement, c’est d’avoir le matin la bonne envie, la bonne idée et puis en fin de journée, de me retrouver face à moi-même et de me dire « franchement, à quoi ça sert, la vie est top à vivre, il faut profiter ». Ce sont apparemment certes des petits échecs mais au final ce sont des grands échecs, car je ne fais pas de sport, je ne fais pas de régime, etc. En fait c’est comme les bonnes résolutions qu’on prend tous en début d’année, sauf que chez moi les bonnes résolutions, ce ne sont pas celles de janvier mais celles du quotidien !

Heureusement les échecs, ça fait partie de la vie. Le seul hic, c’est que ça me coûte très cher en baskets car je finis par avoir une belle collection de paires non utilisées dans les placards. Mais demain, ou un jour, promis…

Je considère que je suis heureux si ceux que j’aime, famille ou amis le sont.
IN.: Votre idée du bonheur parfait

G.P. : J’ai une définition un peu compliquée du bonheur. Le bonheur absolu n’existe pas, c’est une suite d’instants avec malheureusement des accidents de la vie et surtout des moments plus intenses que d’autres. Et d’autres où on s’amuse, parce que c’est aussi très important. Je suis un garçon de partage de moments, et cela m’arrive heureusement plusieurs fois par jour

Mais le bonheur égoïste, je n’y crois pas du tout. On peut avoir des instants égoïstes, des parenthèses de bonheur : lire un livre, écouter un opéra, etc. Mais le bonheur c’est un partage. Je ne le cherche pas pour moi mais dans les yeux des gens que j’aime. Je considère que je suis heureux si ceux que j’aime, famille ou amis, le sont et je suis triste s’ils sont tristes. Et ma question est alors de savoir comment je peux les rendre heureux, si je peux faire quelque chose évidemment.

La cuisine est pour moi le cœur, non pas seulement de la maison mais c’est le cœur de la vie ensemble
IN.: Votre plat ou boisson préféré(e) ?

G.P : Tous (rires). Ma boisson préférée ? Je suis français, j’adore le vin, blanc ou rouge. Donc je ne vais pas faire semblant de boire une boisson énergétique… Je suis notamment amoureux du vin jaune qui est si particulier, je pourrais quasiment en boire tous les jours si je ne faisais pas attention, car il va avec tout, un conté, un poulet aux morilles… C’est magique.

J’aime la vie, donc j’aime le vin et j’aime manger. Mais pas les plats individuels. J’adore cuisiner et déguster les plats familiaux, ce qui se prépare longtemps, qui va sentir bon dans la maison et se partage : le bœuf bourguignon, le poulet au curry, le petit salé aux lentilles… Ce sont mes madeleines de Proust, chaque odeur, chaque fumet me rappelle un moment familial. Je peux revivre mes souvenirs d’enfance dans mon présent avec d’autres personnes, c’est génial. J’ai une passion pour les cocottes que je collectionne, tous mes amis se moquent de moi. J’en ai plus de 200, de toutes les tailles mais de la même marque, Staub. En fait, mes cocottes sont ma famille. Le psy est tranquille avec moi pour plusieurs années (rires)… J’ai la chance d’avoir une maison en Normandie et aujourd’hui je réfléchis à réagencer maintenant ma maison autour de ma cuisine et donc de ma collection de cocottes parce que je n’ai plus assez de place.  La cuisine est pour moi le cœur, non pas seulement de la maison mais c’est le cœur de la vie ensemble

J’ai besoin d’échanger, de rigoler, de partager.
IN.: Sur une île déserte, quelle œuvre musicale classique emporteriez-vous ?

G.P. : En réponse directe, je dirais immédiatement « Carmina Burana » (ndlr : de Carl Orff). J’ai beaucoup chanté quand j’étais jeune, je faisais partie d’un chœur, j’ai fait beaucoup de concerts et j’ai chanté notamment cette œuvre, c’est mon plus beau souvenir. Je pourrais donc continuer à le fredonner et je ne me sentirais pas tout seul puisque chanter égale se créer un univers.  Le seul problème de Carmina Burana est qu’il y a des moments assez violents et que cela ne va pas me faire dormir. Donc finalement je prendrais plutôt quelque chose de plus doux, avec moins de chœurs, qui m’apaiserait, du Mozart ou du Haendel, ou l‘Ave Maria de Gounod. Car pour être très franc, je crois que je ne suis vraiment pas fait pour me retrouver seul sur une île déserte et être face à moi-même, je ne tiendrais pas une journée. J’ai besoin d’échanger, de rigoler, de partager. En fait, c’est peut-être le seul moment où je me dirais peut-être, qu’il faut que je me mette au sport pour nager et rejoindre le continent…

 

* l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’ « À la recherche du temps perdu »

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L’actualité de Gautier Picquet

Sur le plan professionnel, en plus de ses fonctions en France (CEO de Publicis Media France, c’est-à-dire président des filiales médias pour la France, et Chief Operating Officer du groupe Publicis en France), celui qui était également  président de l’UDECAM jusqu’en juillet 2022,  prend la présidence de Publicis groupe sur les pays nordiques (Finlande, Suède, Danemark) et la Belgique.

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