5 mars 2024

Temps de lecture : 9 min

Oasis et Jul remportent un disque d’or, le fruit d’une coopération unique dont Benjamin Taïeb (Marcel) & Fanny Comau (Oasis) nous racontent les coulisses

À l’été 2023, Jul, la méga star du rap français, surprenait tous ses fans en dévoilant un nouveau single en collaboration avec Oasis. Intitulée Tropical, la chanson était accompagnée d’un clip qui mettait en scène les mascottes iconiques d’Oasis accompagnées du rappeur transformé en fruit. Jul devenait Jus… Une montagne de streams plus tard, le titre vient d’être certifié disque d’or pour le plus grand bonheur de Fanny Comau, directrice marketing chez Oasis et de Benjamin Taïeb, directeur général chez Marcel, que nous avons eu la chance de rencontrer.

INfluencia : pour commencer, félicitations pour ce disque d’or. J’imagine que cela n’a pas été forcément une surprise et que vous deviez suivre de près les chiffres de vente ?

Fanny Comau : chez Oasis, nous n’avions pas forcément de vision précise des chiffres mais comme on échangeait régulièrement avec Believe, la maison de disque de Jul, on savait que ça allait arriver. Pour autant, le jour où c’est tombé… j’étais comme une gosse (rire). Aujourd’hui, l’opération est derrière et nous sommes déjà concentrés sur la suite mais en regardant toutes les retombées, je réalise à quel point cette aventure était folle.

Benjamin Taïeb : pareil (rire). Quand Believe nous appelle pour nous informer que nous avons atteint les 15 millions d’écoutes nécessaires pour être certifiés disque d’or – sans oublier qu’il s’agit de streams Premium – c’est une joie, mais personnellement, la vraie clac m’est venue quand Believe nous informe que nous sommes les premiers à le faire. Des partenariats de ce genre, il y en a eu un paquet mais au point de générer autant de streams et d’atteindre le disque d’or… cela n’était jamais arrivé dans l’industrie musicale française. Là effectivement tu te dis : « on est de simples publicitaires » … quand je rentre chez moi et que je dis à mes enfants : « on a eu un disque d’or », ça parait complètement irréel. Jamais dans nos carrières respectives nous n’aurions pu prétendre remporter un tel prix, peut-être un Lion d’or à Cannes (rire), des prix de publicitaires, en sommes. C’est ce décadrage que j’adore. Nous ne sommes plus dans l’industrie marketing ou publicitaire, on a les deux pieds dans l’industrie musicale et dans la pop culture.

INfluencia : une fois que l’euphorie collective retombe et que vous refaites le fil de cette année, comment vous expliquez une telle réussite ?

Fanny Comau : l’une des clés de notre réussite est le côté naturel et authentique de cette collab. Cette connexion entre l’artiste et la marque ne date pas de cet opération, donc ça ne sonnait pas faux quand a voulu s’associer. On voulait faire quelque chose de grand, qui surprenne tout le monde. Sa communauté a joué le jeu, et c’est un euphémisme, car elle savait que c’était la boisson préférée… de leur rappeur préféré. Il nous avait déjà cité à de nombreuses reprises dans ses chansons, on avait déjà vu certains de nos produits dans ses clips, de notre côté, nous avions repris certains de ses passages sur nos réseaux sociaux… Tout s’est fait naturellement.

 

 

INfluencia : il les collectionne donc cela fait presque partie du boulot pour lui mais avez-vous eu des nouvelles de Jul ou de son équipe depuis l’annonce ?

Fanny Comau : on parle à son petit fruit (la mascotte à son effigie réalisée au moment de la collab, ndlr) … mais c’est plutôt à sens unique (rire).

Benjamin Taïeb : Blague à part, et c’était une grande surprise pour nous tous, Jul a publié une story sur son Instagram pour dire à quel point il était fier du travail accompli. Des disques d’or, il en a plus de 300 (rire) donc on pourrait se dire qu’un de plus ou un de moins… mais non, il n’a pas publié 300 messages du même type. Le fait de reposter de cette manière la petite vidéo que nous avions monté pour nos propres réseaux… c’est une belle marque de récompense. D’autant plus que, si on se dit les choses, il le fait sans qu’on ne lui ait rien demandé, de manière spontanée, uniquement pour son amour de la marque et de l’opération.

INfluencia : dans quel contexte avez-vous travaillé sur cette idée ?

Benjamin Taïeb : chaque année, on se fixe comme objectif de recréer de l’attention sur la marque et de continuer à parler aux 15-25 ans pour travailler cette proximité, cette familiarité que peuvent avoir nos cibles avec Oasis. Donc à chaque rentrée, on retravaille notre discours. À partir de là… une fois, deux fois, trois fois les créatifs viennent nous voir en nous disant : « c’est quand même la quatrième ou la cinquième fois que Jul nous cite dans l’une de ses chansons, il va peut-être falloir qu’on fasse un truc avec lui » alors on appelle Believe, sa maison de disque, en leur demandant si, potentiellement, Jul serait disposé à collaborer avec nous et eux nous répondent directement « mais vous rigolez, c’est sa marque préférée de boisson. Il n’y a même pas débat, c’est sûr qu’il va accepter ». Par contre, c’était à nous de le faire avec un peu d’ambition pour casser un petit peu le game des partenariats marque/artiste.

 

 

INfluencia : de son côté, Jul a tout de suite accepté ?

Benjamin Taïeb : une fois qu’on s’est tapé dans la main avec cette ambition commune, tout a été très fluide, oui. En discutant avec son producteur D’Or et de Platine et son label Believe, on a tout de suite compris qu’il fallait rester dans son domaine de prédilection, à savoir la musique, et donc donner une finalité artistique au projet. Immédiatement, l’idée de créer un titre dédié à l’Oasis Tropical est né. Ensuite, il y a tout l’écosystème marketing de lancement qui se met en place, avec un clip, de la mise en avant sur TikTok, de l’amplification, etc. En ce qui nous concerne, il y avait aussi la mise en relation de deux marques très fortes que sont Jul et Oasis… tout un arsenal qui a plutôt bien fonctionné.

F.C. : pour aller dans le sens de Benjamin, côté Oasis, cette concrétisation nous semblait assez évidente. Nous avons un univers de marque extrêmement fort, on a des petits fruits qui ont maintenant une bonne quinzaine d’années, que les consommateurs adorent toujours autant, ce qui nous surprend presque chaque année… donc assez vite on s’est dit qu’il fallait créer le petit fruit de Jul et qu’il fallait qu’on le fasse merger avec les nôtres. Donc la verticale nait assez rapidement.

 

 

B.T. : il faut avouer que cela nous a beaucoup servi d’avoir à faire à un artiste qui sait faire preuve d’autodérision, de recul, qui est d’accord pour se mettre un peu en retrait pour mettre en avant un avatar fruité à son effigie, de passer de Jul à Juice… La marque a des codants hyper forts, donc se dire qu’un artiste comme Jul, qui est extrêmement sollicité, accepte de jouer avec ses codes, son look… ça aussi c’est une jolie marque d’attention de sa part.

 

IN : l’opé parait évidente aujourd’hui mais au moment de la dévoiler, aviez-vous peur d’un bad buzz de la part de sa communauté ?

B.T. : sur le papier, un clip officiel de Jul qui apparait grimé en fruit… au début on surveillait un tout petit peu les commentaires pour vérifier si cela serait accepté mais les retours ont été tout de suite très positifs.

F.C. : je me souviens même d’un top commentaire qui disait quelque chose du genre : « quand tu as ta mascotte Oasis à ton effigie c’est que tu as réussi ta vie » (rire), c’est vous dire.

B.T. : j’ai pu lire aussi : « il n’y a que Jul pour accepter ça », pour assumer avec autant d’autodérision son statut d’icône de la pop culture. Pour revenir à votre question, nous n’avions pas forcément une peur du bad buzz mais plus une légère crainte qui a vite été balayée. En même temps, c’est tout naturel : même s’il y a une approche artistique, la légitimité de l’artiste et celle de la marque… il y a toujours une dimension mercantile derrière ce genre de collab qui peut potentiellement être mal vue de la part du public. Mais là c’était tout l’inverse, Jul adore Oasis et surtout son public le savait. Il y a une sorte de filiation naturelle qui a minimisé les risques.

 

 

IN : le fait que Jul intègre le morceau à son album qui sortait au même moment a-t-il changé la donne ?

F.C. : sûrement… en plus c’était loin d’être évident à la base du projet. À partir du moment où Jul était fier de ce qu’il avait fait, c’est lui qui a décidé de son propre chef d’intégrer le single à son projet. À partir de là, le truc est parti encore plus fort.

 

IN : quand on est à votre place et qu’on connait les chiffres de vente de ses albums… vous sabrez le champagne au moment où il prend cette décision ?

B.T. : en fait il y a eu deux moments d’euphorie collective. Le premier, c’est quand on écoute le morceau pour la première fois. Il faut bien comprendre que nous lui avions laissé une totale liberté créative donc on ignorait complètement à quel rendu on aurait droit. Alors quand on l’écoute pour la première fois… on comprend immédiatement que c’est une masterpiece. C’est exactement ce qu’on voulait : il assume le fait de parler du produit, c’est joyeux, positif, dansant, tout de suite on se rend compte du potentiel du morceau. Quand derrière il nous apprend qu’il va le mettre sur son album, le deuxième grand moment de la vie de ce projet, on se dit qu’on a coché toutes les cases. Sans oublier que quand on y regarde de plus près, il n’y a que trois singles d’or – dont le nôtre – sur les 22 titres. Il y avait de quoi être fier.

 

IN : pour évoquer plus globalement le cas des collaborations entre marques et rappeurs, les artistes se plaignent souvent que les marques profitent de leur image tout en étant réticentes à les laisser participer pleinement au processus de création. Selon vos points de vue respectifs, pourquoi cette résistance subsiste encore dans la tête de certains annonceurs ?

B.T. : pour avoir fait d’autres collabs avec d’autres rappeurs, on vient de faire bosser Bigflo & Oli avec Axe par exemple, ce qui fonctionne à tous les coups dans ce genre d’opé c’est de faire de la co-construction, à savoir quand l’artiste est partie prenante de la campagne, quand tu lui donnes un espace de liberté et surtout, je me répète, quand il y a de l’authenticité dans la démarche. Quand on contacte Bigflo & Oli, leur première réaction c’est de nous dire : « c’était notre déodorant préféré quand nous avions douze ans, sans oublier qu’on adorait leurs pubs », ça a du sens. Au contraire, si la démarche est opportuniste, je pense que ça ne marche pas. Personnellement, je ne crois pas aux partenariats où tu fais ta campagne et tu cherches la bonne égérie pour l’incarner quand tout est déjà terminé. Au contraire, tu fais ta campagne POUR ton égérie, pour que le concept soit au service d’un storytelling qui participe à ce qu’a envie de dire l’artiste, pas l’inverse. Je pense que cette réflexion est valable quelle que soit la verticale culturelle.

 

 

F.C. : j’ai moins d’expérience que Benjamin en la matière, mais pour revenir à cette opération, à aucun moment nous avons tenu le crayon de Jul. Quand Benjamin vous dit qu’il nous a envoyé la chanson et qu’on l’a posté telle quelle… ce n’est pas une exagération. On ne savait même pas s’il allait employer les mots « Tropical » ou « Oasis », encore moins dans le refrain. On ne l’a vraiment pas bridé et de toute façon ça n’aurait pas marché si on l’avait fait… et il aurait surement refusé…

B.T : ce n’est pas pour envoyer des fleurs à Fanny et à Oasis mais quand tu es directrice marketing d’une grande marque comme celle-ci, c’est une belle preuve de maturité de laisser cet espace à ton agence et à ton artiste, de ne pas lui dire « tu dois nous citer 28 fois dans ta chanson et si c’est 26 il y a rupture de contrat », ce qui forcément créerait des tensions. Avec Jul, on a gagné sa confiance par la place qu’on lui a laissé.

 

IN : Marcel et Oasis avancent ensemble depuis déjà 14 ans. Quand on collabore depuis aussi longtemps, comment fait-on pour rester pertinent ? Pour éviter l’énième redite du concept qu’on a développé plusieurs années en arrière ?

B.T. : on pourrait presque répondre en faisant une analogie sur la vie de couple (rire). Sur le réenchantement permanent…

F.C. : … ou sur la peur faire partie des meubles (rire)… mais c’est vrai que c’est un challenge. Cette relation dure depuis longtemps mais en même temps, grâce à cette longévité, on se connait bien. Quand on n’est pas d’accord, on se le dit et on part réfléchir chacun de notre côté pour mieux se rabibocher ensuite. Exactement comme un couple. Notre job c’est de continuer à surprendre. Après il y a des fois où l’on peut douter de l’autre, même pour Jul par exemple : quand Marcel nous en parle pour la première fois on se demande si c’est vraiment faisable. Mais derrière, on leur fait confiance et ça marche. À l’inverse, Benjamin et ses équipes sont toujours hyper attentifs à certains points qui sont mandatory chez nous. Encore une fois, nous travaillons ensemble pour faire du business, pas uniquement pour se faire plaisir.

B.T. : c’est beau et à la fois bien résumé (rire). Je rajoute juste que j’ai la chance de gérer cette marque depuis 11 ans et comme le dit Fanny, à chaque brief on se fixe le challenge de ne pas se reposer sur nos lauriers et de continuer à surprendre nos audiences. D’autant plus que nous sommes sur une saga avec des petits fruits où le consommateur peut avoir l’impression que chaque spot, chaque jeu de mot fruité, ressemblent aux précédents et aux suivants. Sur le papier, cet effet papier peint peut être dangereux pour une agence. Au-delà de la relation Oasis/Marcel, notre collaboration est l’histoire d’une saga publicitaire que tu dois sans cesse renouveler pour continuer à rester à pertinent. Rien n’est jamais acquis, les usages, les comportements évoluent et nous devons constamment nous remettre en question pour conquérir de nouvelles cibles. Alors oui, ça sera compliqué de faire mieux que cette aventure avec Jul… mais le défi ne nous fait pas peur, bien au contraire.

 

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