Et si ceux qui fabriquent la lumière restaient (trop souvent) dans l’ombre ?
Dans l’ombre des marques, des CEO flamboyants, des campagnes primées, il y a… les dircoms. Ces chefs d’orchestre de la parole institutionnelle, ces stratèges du sens et de la réputation. Ceux qui donnent du souffle aux marques, construisent la confiance, absorbent les crises, négocient les mots justes, sculptent les récits. Et pourtant, qui connaît leur nom ? Qui leur donne la parole dans les médias ? Qui les crédite publiquement de leurs décisions stratégiques ?
Alors même qu’ils sont devenus des acteurs centraux dans un monde où l’image, le message et la perception font la différence. Alors même qu’ils gèrent des enjeux aussi complexes que la communication de crise, les prises de parole de dirigeants, l’incarnation de l’entreprise sur les réseaux sociaux ou la gestion de controverses sociétales.
La vérité est là : les directeurs de communication souffrent d’une forme d’invisibilité institutionnelle. Entre invisibilité décidée, mais aussi souvent, subie. Ce contremaître d’arrière-plan ne pourrait-il pas donner un autre volume à sa profession en l’incarnant dans sa propre communication ?
Le paradoxe du métier : rendre visible… sans l’être soi-même
J’exerce depuis une vingtaine d’années en tant que communicante et fréquenter d’autres communicants m’a fait prendre conscience que les cordonniers étaient bien trop souvent les plus mal chaussés.
Entre la peur de ne pas correspondre à ce qu’attend leur direction, la peur de mal faire, le syndrome de l’imposteur ou le sentiment que parler d’eux n’est pas un sujet, le dircom disparaît.
Il/elle est souvent celui ou celle qui forme, relit, prépare, conseille, sans jamais apparaître. Il/elle est le/la coach, le/la stratège, le/la facilitateur.rice de l’ombre. Un rôle noble, mais qui a un coût : l’effacement.
Dans un monde où la visibilité est monnaie d’influence, pourquoi les dircoms n’incarnent-ils pas davantage leur rôle ?
Par peur de cannibaliser leurs dirigeants ? Par culture du retrait ? Par loyauté excessive ?
Ou parce que l’entreprise ne les y autorise pas vraiment ?
Soyons lucides : ce manque de visibilité n’est pas qu’une coquetterie d’ego. Il a des conséquences réelles.
“un DirCom, c’est un chef d’orchestre » : il fait en sorte que tout le monde joue en harmonie, mais lui-même ne joue pas d’un instrument. Et aujourd’hui c’est là que le bât blesse. Nous savons accompagner, conseiller, mettre en lumière les autres – dirigeants, marques, causes. Mais parfois nous nous oublions, par pudeur, ou par peur de trop en faire. Résultat : une invisibilité qui dessert notre fonction.” explique Agnès Grellet, Directrice de la Communication et Déléguée Générale de l’Association Nationale Des Communicants
Un déficit de reconnaissance, un plafond d’impact
À force d’être invisibles, les directeurs de communication perdent en poids stratégique et en crédibilité. Les entreprises finissent par prendre conseils auprès de ceux qui se rendent visibles et s’exposent : coachs, formateurs, consultants extérieurs. On se tourne vers ceux qu’on regarde, qui fédèrent et qui ont de l’influence parce que cela rassure.
Aussi, on constate que les dircom peinent parfois à faire valoir leurs convictions dans les comités exécutifs, à faire comprendre leur valeur ajoutée, à défendre leur budget, à se projeter vers des postes de direction générale. On note que 51 % des directeurs de communication estiment que leurs problématiques ne sont pas entendues par la direction* . Aussi, 70 % déclarent que les consignes du service communication ne sont pas suffisamment appliquées par les collaborateurs.*
Et cela commence souvent par une sous-exposition dans les espaces d’expression.
Combien de tribunes, de podcasts, de keynotes où la voix des dircoms est attendue mais absente ? Combien d’études citées sans leur regard, de controverses traitées sans leur analyse, de décisions de com’ médiocres qui auraient pu être évitées si leur parole avait eu plus d’impact ?
Il est temps de réinvestir la scène
Non, il ne s’agit pas de « faire sa promo ». Il s’agit de prendre la parole sur son métier, sur les enjeux qu’on connaît mieux que personne : l’impact de la communication, l’éthique de la parole, les mutations des médias, les risques réputationnels, les attentes sociétales.
Agnès Grellet poursuit très justement “Être DirCom aujourd’hui, c’est porter une vision, piloter le récit d’une organisation, incarner une stratégie. Cela suppose de prendre la parole, de montrer ce que nous faisons, d’expliquer pourquoi nous le faisons. Se rendre visible, c’est prendre ses responsabilités. Comment défendre la communication si l’on ne communique pas sur soi ? Osons être visibles, pour faire progresser notre métier.”
Si faire parler l’entreprise est une partie du chemin pour en développer la notoriété mais aussi la confiance, donner le micro à son façonneur s’inscrirait dans une logique horizontale.
Il est temps que les dircoms deviennent visibles. Non pour briller à la place de leurs dirigeants, mais pour défendre leur rôle, élever le débat, inspirer une nouvelle génération de communicants et montrer que le savoir-faire c’est bien mais le faire-savoir c’est aussi bien.
Parler, ce n’est pas trahir sa fonction. C’est l’exercer et l’incarner pleinement.
Si il peut sembler complexe d’entamer cette démarche, voici plusieurs options.
Publier des tribunes, des interviews, des médias spécialisés ou encore simplement des articles sur LinkedIn permet de créer un partage éclairé sur leur métier.
Puis, il y a bien sûr les réseaux sociaux.
Prenons exemple sur certains directeurs de la communication qui n’hésitent pas à sortir leur épingle du jeu. Je pense notamment à Marie-Aude Dubanchet du groupe La Poste, qui porte la voix du groupe en valorisant les nouveaux services, les actualités et les initiatives du groupe, à l’externe comme à l’interne. Stephanie Brun chez Bouygues Telecom, n’hésite pas également à publier de façon accessible et avec régularité l’actualité de la marque sur LinkedIn. En s’exposant ainsi, ces dirigeantes renforcent non seulement la légitimité de leur fonction, mais illustrent aussi le pouvoir d’un discours incarné dans un paysage professionnel où visibilité rime avec influence.
Aussi, il est important d’incarner un rôle de leader-penseur en assumant un storytelling collectif et individuel, mais aussi une vision de son métier incarnée par la marque qu’on porte. Retour d’expérience, partage d’anecdotes, analyse sur l’éthique, l’ia ou la transformation. Pour aller plus loin, être dans son rôle de formateur-mentor permet, par ailleurs, de construire sa légitimité par la transmission tout en inspirant la prochaine génération. En exemple, je cite Assaël Adary, expert de l’évaluation de la communication et de l’éthique des données, mais aussi président d’Occurrence (Groupe IFOP), auteur et donc professeur (CELSA, Sciences Po Paris).
Il est temps que les directeurs de communication s’autorisent à incarner pleinement leur rôle, non pas pour éclipser leurs dirigeants, mais pour faire entendre leur expertise, donner un nouvel élan à leur métier et renforcer leur influence stratégique.
Lucie Lebaz
Experte en branding et personal branding, auteure de “J’ai peur, mais j’y vais” (Dunod 2025)
Femme Forbes 2025
* https://www.blogdumoderateur.com/dircoms-entreprise-amelioration/