16 novembre 2011

Temps de lecture : 3 min

Identité: l’ultime bataille

Dans un article daté du 16 novembre, le New York Times s’interroge avec cette question clé: In The Digital Age, Are You Who You Say You Are ? Par Thomas Jamet...

L’article relate la mésaventure de l’écrivain Salman Rushdie dont Facebook a récemment désactivé le compte et changé son identité en Ahmed Rushdie, le nom qui figure sur son passeport. C’est Twitter qui a servi d’exutoire ce lundi à Rushdie, qui s’est lancé dans une violente diatribe contre Facebook avec des Tweets assassins : « Mark Zuckerberg, où te caches-tu? Rends-moi mon nom!»*.

Deux heures après seulement, l’auteur des Versets Sataniques y criait victoire « Facebook a perdu! Je suis Salman Rushdie à nouveau. Je me sens tellement mieux. Une crise d’identité n’est pas une bonne chose à mon âge», suivi d’excuses officielles de Facebook.

Rushdie a été la victime de la politique du réseau social, tendant comme son comparse Google + à demander à l’internaute de se connecter avec son vrai nom et luttant contre les pseudonymes et les identités fantaisistes afin de centraliser un log-in global à différents services (G+, Gmail, Google Docs, etc.), « d’avaler » un certain nombre de données personnelles et également de simplifier la connexion à des millions d’applications en maximisant les chances de transformer directement des transactions financières avec un identifiant unique.

Les différents réseaux sociaux ont leurs politiques et elles peuvent être différentes. Twitter de son côté, reste ainsi un farouche partisan de la possibilité pour ses utilisateurs d’utiliser un pseudonyme, comme (feu ?) MySpace en offre également le choix. Une solution pourrait être un potentiel « passeport » numérique, qui pourrait être issu d’une connexion Facebook ou Google.

Ce débat sur l’identité versus le pseudonyme est en fait au cœur des débats sur l’avenir digital et de la place de l’humain. Dans Les Netocrates** , un ouvrage ayant fait date, les sociologues Alexander Bard et Jan Söderqvist présentaient il y a quelques années leur théorie de l’avènement d’un homme post-politique immergé dans les réseaux et dont le Net serait le centre métaphysique. Pour eux, la notion d’individu serait morte avec le capitalisme et tendrait à être remplacée par le concept de dividu. Empruntant ce terme à Gilles Deleuze, les auteurs prophétisaient en effet l’avènement d’un individualisme «explosé» et la fin de l’individu. Nous ne serions ainsi plus des êtres individuels mais des dividus existant dans des contextes sociaux différents, dévoilant une personnalité « schizoïde », nous délectant à apparaître autres, différents, à facettes selon les contextes, vivant dans les réseaux, composant nos identités via le Net.

C’est le projet initial des pères du web, ses inventeurs Vinton Cerf et Bob Kahn qui voulaient que la toile soit un espace de liberté et d’anonymat, comme le démontre cette illustration célèbre du New-Yorker, en 1993 : « On the Internet, nobody knows you’re a dog ».

Cette notion d’anonymat est justement ce contre quoi veulent lutter les géants du Web. Les entreprises dépenseraient selon Forrester Reseach près de 2 milliards de dollars par an sur la recherche sur les données personnelles. Il s’agit là d’un enjeu de pouvoir, de maîtrise, de contrôle, de sécurité et d’argent, à la fois pour les compagnies comme Google ou Facebook, pour les entreprises commerciales, et pour les Etats. La guerre de l’identité ou «The Nym War», comme on la surnomme, est ainsi lancée. Elle sera la mère de toutes les batailles en ce qu’elle déterminera quelle sera la nature de notre vie digitale, et quelles seront les traces que nous laisserons.

Il y a fort à parier que les tensions vont se faire vives et que ce débat, à la fois philosophique et éthique sera un des défis du futur. Les hackers d’Anonymous et bon nombre d’autres contre-pouvoirs veillent déjà, à l’aube d’une bataille qui sera épique. Car comme le pressentait, toujours de manière prophétique, Marshall McLuhan «c’est quand notre identité est menacée, que nous sommes certains d’avoir le droit de faire la guerre».

Merci à @alexdlmr

Thomas Jamet – NEWCAST – Directeur Général / Head of Entertainment & brand(ed) content, Vivaki (Publicis Groupe)
www.twitter.com/tomnever

Thomas Jamet est l’auteur de « Ren@issance Mythologique, l’imaginaire et les mythes à l’ère digitale » (François Bourin Editeur, en librairie le 15 septembre). Préface de Michel Maffesoli.

** https://twitter.com/#!/salmanrushdie
** Les Netocrates, Alexander Bard, Jan Söderqvist, Léo Scheer, Paris, 2008

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