Quand on doit communiquer sur un sujet aussi lourd que le don d’organes auprès des 16-25 ans, l’humour est-il la meilleure arme ? Pour l’Agence de la Biomédecine et DDB°Paris, la réponse est oui et doit permettre de franchir un cap. Décryptage.
Le 22 juin 2015, à l’occasion de la Journée Nationale de réflexion au don d’organes et la greffe, et de reconnaissance aux donneurs, l’Agence de la Biomédecine et DDB°Paris avaient fait très fort pour sensibiliser le grand public à la cause. Dans un spot intitulé « The Man Who Died The Most », on suivait les aventures de Robert Cronejager, autoproclamé « comédien mort le plus de fois au cinéma ». Avec une bonne dose de second degré et de subtilité, le bonhomme délivrait un message simple : « Dites à vos proches si vous êtes pour ou contre le don d’organes. Et dites-le maintenant ».
Un million de vues plus tard, les deux entités repartent en opération séduction auprès des 16-25 ans avec un nouveau spot, « Déjà-vu 2 » (voir ci-dessous). La recette est toujours la même pour une cible pleine d’insouciance et qui ne pense qu’à une chose, croquer la vie : « Quand on est jeune, on n’a pas encore conscience de la mort, on se sent immortel. C’est pour cela que nous sommes repartis sur le même registre que la campagne précédente afin d’enfoncer le clou », précise Alexander Kalchev, directeur de la création à DDB°Paris.
Si le don d’organes reste l’objectif majeur, il est aussi question de faire la lumière sur un point législatif encore trop méconnu du grand public, comme le rappelle Isabelle Tréma, directrice de la communication à l’ Agence de la biomédecine : « Depuis la loi Caillavet du 22 décembre 1976 et sa modernisation au fil des décennies, chaque Français est un donneur d’organe présumé, sauf s’il en exprime le refus de son vivant. En plus du film, nous avons mis en place tout un volet pédagogique sur dondorganes.fr afin de répondre à un maximum d’interrogations ».
Dans l’ombre de Robert Cronejager ?
Pour ce nouvel opus, l’agence de publicité s’est inspirée des nanars d’épouvante avec tous les ingrédients qui vont bien : une bande de jeunes qui part s’éclater dans un lieu nommé Blackblood, un feu de camp, une midinette qui quitte ses amis en pleine soirée, trop intriguée par le bruit d’un craquement de branche… Evidemment, elle va rencontrer un psychopathe, fuir dans la direction opposée à ses amis et tenter en vain de démarrer cette foutue voiture : « A la fin, j’aurais plus de couteaux dans le corps que dans un tiroir de cuisine. Ma mort sera la plus inutile depuis l’invention de la mort », déclame la voix off. Inutile certes, mais pas perdue pour tout le monde. « Sauf que tout comme vous, je suis donneuse d’organe présumée, et que je sauverais peut-être la vie de quelqu’un. Tout le monde est donneur d’organes présumé, c’est la loi. On peut être contre bien sûr, et dans ce cas il faut le faire savoir ».
Incontestablement, la campagne est réussie et le réalisateur, Steve Rogers (déjà aux commandes de « The Man Who Died The Most »), retranscrit avec beaucoup d’esthétisme l’univers des films d’horreur. Le message passe sans aucun problème, seul hic, le tout manque un poil de spontanéité et surtout, souffre de la comparaison avec son aîné. Le personnage de Robert Cronejager était attachant et avait de la gouaille quand la jeune fille à tendance à nous casser les oreilles à force de brailler. Mais pour Alexander Kalchev, pas question de comparer les deux productions : « Ce que l’on souhaite avant tout, c’est être le plus juste possible dans notre message ». Le spot sera également diffusé sur les réseaux sociaux et au cinéma pour engager la conversation. On regrettera également que « l’héroïne » de Déjà-vu 2 ne soit pas personnifiée sur Twitter par exemple, comme avait pu l’être… Robert Cronejager pour prolonger l’aventure pédagogique et conversationnelle.
L’humour comme thérapie
Pour le Untold Festival, organisé en Roumanie en juillet dernier, McCann Bucarest utilisait le pouvoir d’attraction de Dracula pour une campagne RP originale, Pay with Blood. Le deal ? Donner son sang pour bénéficier d’une réduction de 30% sur le prix d’un billet. Dernièrement, la RATP montrait plein d’esprit pour communiquer sur un sujet ô combien sensible pour l’entreprise, la sécurité. « Après avoir réalisé un benchmark à l’international sur le thème de la prévention, la dramatisation ou l’humour étaient les pistes privilégiées par nos homologues. L’humour est un code accepté par les voyageurs, et la campagne du Metro Trains Melbourne (ndlr : Dumb Ways to Die, 2012) sur les façons les plus stupides de mourir, a marqué les esprits », témoignait Anaïs Lançon, directrice de la communication de la RATP.
Même SNCF Réseau a succombé aux sirènes de l’ironie dans un spot de prévention sur les dangers des passages à niveau en utilisant les codes du… cinéma et l’univers d’un cascadeur. Il faut croire que la première campagne de l’Agence de la Biomédecine est inspirante : un fait impensable, il y a encore quelques années, tant le sujet du don d’organes étaient enfermés dans ses stéréotypes, avec son lot de mélodrame. L’humour peut-il devenir la solution imparable à toutes les grandes causes, être utilisé à toutes les sauces au risque de lasser le public et perdre en pouvoir d’attraction ? « Lors des derniers Cannes Lions, 99% des campagnes de grandes causes utilisaient un discours sérieux. On a encore un vrai territoire à défricher », conclut Alexander Kalchev. Rendez-vous l’année prochaine pour apprécier l’évolution de cette campagne.