23 octobre 2013

Temps de lecture : 8 min

Le Hors Série d’INfluencia: « La RSE comme levier de croissance »

Pousser toute l'entreprise vers une vision et une mise en avant de la transformation : tel est le but du réseau social d'entreprises et du programme Connect de Schneider Electric. Un mode d'échanges plus horizontal et rentable. Louis-Pierre Guillaume, knowledge management officer, raconte la genèse du projet et ses bénéfices.

En 2011, Schneider Electric a lancé son RSE. Pourquoi ?

Il y a 2 ans, la collaboration a émergé comme thème important dans ce groupe d’environ 140 000 personnes, parce que le mode de fonctionnement en silos posait problème. Améliorer la collaboration est devenu un objectif des top managers. Donc, en 2011, nous avons travaillé à définir le prochain programme d’entreprise, Connect, de façon collaborative, pour que chacun puisse participer à sa conception.

En parallèle, en tant que knowledge management officer, j’ai rencontré différents leaders de communautés qui soulignaient leur isolement, le manque d’aide pour croître et se fédérer. Pour aider ces communautés à se développer, j’ai proposé mi-2011 à trois membres du bureau exécutif de l’entreprise, le responsable RH, le responsable IT et le responsable stratégie, de lancer un programme de communautés, avec comme objectif, via une gouvernance et un modèle de croissance, de multiplier ces groupes pour favoriser la collaboration entre les membres, et permettre au business d’en profiter. Après un ou deux pilotes de communauté, le projet « communities @ work », les communautés au travail, a été enclenché. Dans le nouveau programme d’entreprise, « Connect » qui émergeait au même moment, j’ai pris en charge les communautés, l’intelligence collective, le knowledge management, la collaboration.

En janvier 2012, Connect a été lancé, avec une partie Connect People, menée par la RH, dans laquelle on trouve un volet ‘’ Un lieu de travail motivant « , dont relèvent les communautés.

L’intérêt du programme pour Schneider Electric, c’est qu’il permet de pousser toute l‘entreprise vers une vision et vers une mise en avant de la transformation. Hors du programme, point de salut. En revanche, dans le programme, vous bénéficiez d’un push énorme, de moyens, de relais nommés par le business et par les fonctions pour vous aider, d’objectifs et de KPI.

Après une phase d’ébullition et de filtrage (nous avons écartés les propositions trop centrées sur un besoin, un pays, un business, la priorité était au transverse), vingt-deux communautés se sont constituées l’année dernière, avec chacune un sponsor, un leader, un petit groupe de champions – cinq environ – pour stimuler l’activité, une charte, et une volonté d’interagir pour améliorer leurs compétences, s’entraider, partager des bonnes pratiques.

Pour leur lancement, un toolkit a été créé sur l’animation, l’engagement des membres, l’incitation à la participation, la question des sondages… et nous avons monté des webinars mensuels, pour partager les exemples des communautés leaders.

Est arrivé en parallèle le RSE, réseau social d’entreprise, qu’ici nous appelons la collaboration sociale. Il ambitionne de favoriser la collaboration de tous pour le business, donc la création de valeur. Nous avons fait un partenariat gagnant-gagnant entre les communautés et le RSE, en lançant des groupes avec un besoin métier, ou un projet, ou une équipe, ou une communauté de pratiques ou d’intérêts. En trois vagues, environ dix mille personnes ont été embarquées en six mois, la masse critique a été très vite atteinte, et le business s’est rendu compte que ça correspondait à un besoin. Les conversations ont vraiment explosé au sein du RSE grâce à ça.

Concrètement, quel modèle avez-vous construit et quel a été l’effet sur les propositions commerciales ?

Nous avons choisi une interface à la LinkedIn, avec un mur où figurent votre profil, les informations des différents groupes auxquels vous êtes abonnés, qu’on appelle des sujets. Chaque communauté a un ou plusieurs sujets qui lui sont rattachés.

Notre concept, c’est collaborer autour des objets, ni autour des gens comme Facebook, ni autour des documents comme beaucoup de RSE. Un objet peut très bien être une personne, un document, une proposition commerciale, une demande d’approbation pour les vacances. Avant, tout était géré par mail, et n’en finissait pas.

Maintenant, par exemple pour un projet dans un processus : à un instant t, cinq personnes doivent donner leur avis, je vais les chercher, nous discutons sur un fil et, très vite, c’est réglé. C’est hyper efficace, et très apprécié. Autre exemple, un commercial a un problème sur une proposition un peu technique, il hésite sur le pricing. Il met sa bouteille à la mer et espère une réponse. La plupart du temps, quelqu’un, ailleurs, qu’il ne connait pas, l’a déjà fait, sait qui contacter ou expliquer comment faire, poste un exemple. Le commercial le réutilise pour son client, et gagne. C’est l’entraide typique entre les gens qui ne se connaissent pas mais qui, grâce au RSE, ont eu un lien car ils sont membres d’une même communauté.

Quelles sont les conditions pour que ces conversations utiles se développent ?

Ce qui est important, pour les communautés métier notamment, c’est le rôle du leader. Il doit avoir une fibre de discussion, envie de faire participer les autres et d’animer une équipe resserrée pour l’aider au quotidien. Il doit savoir pousser des idées, qui contacter quand il y aura une demande sans réponse… Mais il n’a pas là un rôle de manager. Comment basculer du mode managérial à un mode leadership ? C’est mon rôle aussi, de le leur apprendre, car cela correspond à une priorité de la direction, et les communautés en sont un bon levier.

Par ailleurs, les communautés ont, au-delà de l’aspect business, d’autres impacts positifs qui les boostent. Un sentiment d’appartenance à une communauté de métier se développe, via l’entraide, au fil du temps. Et chacun peut, s’il brille par ses réponses et sa capacité à aider les autres, être plus visible, donc repéré par un manager et se voir, plus tard, proposer une promotion.

Et finalement, quel est le rôle du manager de proximité ?

C’est un rôle très important et ce n’est pas simple. Le manager de proximité est un peu dépossédé, parce qu’avant c’est à lui que son équipe pensait quand elle avait une question et, maintenant, c’est vers ses pairs que le salarié se tourne.

C’est un des rôles du sponsor de pousser l’idée de la communauté, et de convaincre les managers du premier niveau de donner du temps à leur équipe, sur un argument simple : le temps qui paraît perdu aujourd’hui sera gagné demain, avec une réponse plus rapide à un problème épineux et vous aurez un meilleur rendement.

Restent les freins culturels. Dans certains pays, si le chef n’a pas donné le droit de discuter, je ne le fais pas, je n’ose pas, notamment en Asie. Et d’autres sont dans l’observation : « je n’ose pas parler parce que j’ai peur que mon chef me dise : tu n’as pas à faire ça, ce n’est pas ton domaine de responsabilité ou parce que j’ai peur de dire une bêtise ». Donc, je me tais et, j’écoute simplement. C’est un grand classique des organisations en silos. Nous nous battons sur ces fronts pour pousser la conversation.

Comment gérez-vous la question de la modération ?

L’expression est libre, mais les chartes précisent « ni religion, ni sexe, etc. ». Et, a posteriori, si quelqu’un dit une grosse bêtise ou fait fuiter un problème, un sujet commercial, un brevet qui est en cours, ce sera effacé. Sinon par défaut, l’expression est libre, mais chaque post étant nominatif, il y a un peu d’autocensure.

La culture d’entreprise était-elle déjà ouverte à la conversation ?

Notre culture est plutôt top-down, assez hiérarchique. Mais le management s’est rendu compte que si on veut progresser, passer d’un mode « je fais des produits » à un mode « je fais des solutions complexes, je fais des services », il faut que les individus changent de mentalité.

Le programme Connect, c’est Connect pour la croissance, avec une conviction : on croît davantage quand on est connecté. D’où la nécessité de passer à un mode d’échanges plus horizontal, la conversation. De là le grand push pour mettre en place le RSE, accessible à toute l’entreprise depuis avril 2013. 40 000 personnes se sont inscrites, nous visons 80 000 d’ici un an.

L’implication du top management dans le réseau est variable, certains y sont très actifs. L’objectif, c’est que chacun des membres du Com’Ex agisse dans son propre domaine, pour y engager ses propres équipes. L’exemple du haut est vraiment important. Si eux ne le font pas, pourquoi le ferai-je ?

Ce chemin vers la conversation a-t-il une résonnance sur la communication dans l’entreprise en général ?

La communication interne va être impactée. Nous sommes encore dans un mode où le management pousse des messages vidéos vers le bas, mais demain, les retours du terrain sur les messages vont se multiplier, « j’aime la vidéo » et puis peut-être des gens qui oseront dire : « oui, c’est pas mal mais… ». Et quand les salariés verront qu’ils ont le droit de dire ça, à mon avis, leur niveau d’engagement va vraiment s’élever.

Début 2013, nouvelle étape : mobiliser les managers, avec 3 000 personnes désignées pour accélérer le mouvement.

Une communauté de managers a effectivement été créée, en fin d’année dernière, pour favoriser l’engagement. La RH en est à l’origine, elle ne comprend que des managers, l’objectif est de les armer pour augmenter l’engagement de leurs collaborateurs, en leur disant « il faut » mais aussi « comment ». Cela passe par les bonnes pratiques managériales, les bonnes idées d’une personne, à faire connaître et généraliser. Nous voulions que ces 3 000 personnes aient le courage, entre elles, de s’exposer: « je ne sais pas faire, je suis un peu coincé, qui peut m’aider ? » Donc c’est une communauté privée, entre eux, pas accessible aux autres niveaux hiérarchiques, ni au-dessus, ni au-dessous, animée par une spécialiste RH. Elle va donner du sens, lancer des sujets récurrents chaque semaine pour qu’ils puissent discuter sur ces thèmes-là.

Des success stories ?

Tout management qui se respecte mesure, et veut savoir quel est le KPI mesurant la collaboration, l’engagement et la conversation. Ma réponse est ‘’aucun’’. Mais il existe des moyens d’évaluation, comme mesurer l’activité : combien de nouveaux messages ? De réponses ? D’échanges de documents? Donc une mesure du volume de conversations, mais ce n’est pas assez pour en déduire de la valeur.

Les success stories, qui montrent qu’une communauté a pu, du fait d’être un groupe, bénéficier d’un avantage X s’approchent d’une mesure de la valeur. Mon but, c’est d’avoir le plus de cas possibles. Nous avons des d’histoires qui impliquent soit une réduction de coûts, soit du chiffre d’affaires en plus. C’est utile pour l’ensemble du système, pour obtenir du temps pour les leaders, pour montrer aux managers de premier niveau, en local, que c’est rentable de donner du temps à ses équipes.

Pour terminer, retour sur les bonnes pratiques : trois conseils à un alter ego qui voudrait se lancer dans un RSE ?

Alors. L’aventure du RSE va au-delà, c’est l’aventure des communautés, qui sont amplifiées via un RSE, ce qui est important c’est d’avoir un sponsor au niveau corporate au niveau du Com’Ex, un sponsor business qui ait compris l’intérêt et qui soit prêt à mouiller la chemise pour vous accompagner.. Deuxièmement, bien définir votre gouvernance, comment ça va fonctionner et quelles sont les boîtes à outils à élaborer pour le comment faire, le comment gérer une communauté, comment l’animer, donc ce sont des bonnes pratiques sur l’étagère que l’on propose.

Et puis troisièmement, c’est d’adopter un déploiement par phases et commencer par des groupes qui ont un besoin métier, un besoin business, qui veulent vraiment échanger entre eux, parce que le business y verra un intérêt. Et s’il y a un intérêt, il sera prêt à poursuivre l’expérience.

Interview de Louis-Pierre Guillaume réalisée par Valérie Decroix  pour la Revue INfluencia sur la Conversation, réalisée en partenariat avec Entrecom. En vente en librairie.

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