3 septembre 2014

Temps de lecture : 5 min

Le Hijack ou comment « hacker » une conversation sur les réseaux sociaux

Une marque qui refuse la conversation est une marque qui aujourd’hui s’auto-exclut... Démonstration avec les fondateurs du Groupe Fred et Farid, Frédéric Raillard et Farid Mokart.

Le digital n’est pas un nouveau média. C’est tout simplement le passage du monologue au dialogue. Par conséquent, une marque qui refuse la conversation est une marque qui aujourd’hui s’auto-exclut… Démonstration avec les fondateurs du Groupe Fred et Farid, Frédéric Raillard et Farid Mokart.

Une marque ne peut plus se contenter des médias traditionnels pour communiquer, car pour créer de l’engagement, elle doit créer de la conversation. L’achat média ne suffit désormais plus pour entretenir le contact toute l’année avec le public. Être présent sur les réseaux sociaux s’impose donc pour acquérir un supplément d’âme. « Aujourd’hui l’iconicité passe par la conversation, soit la capacité de la marque à trouver des sujets pour entrer en dialogue, ou alors à créer carrément une conversation » affirme Farid Mokart. « La monnaie sociale des marques c’est désormais la conversation. » Cela entraine le développement d’autres formes de communication appelées créativité conversationnelle. Du coup, c’est tout le succès d’une campagne d’aujourd’hui qui repose sur la viralité du concept et évidemment l’interaction proposée à l’utilisateur.

Les réseaux sociaux deviennent ainsi de véritables piliers où règne la créativité et non plus seulement le dialogue. Désormais, il faut penser à la fois l’histoire et l’écho de l’histoire. Celle-ci va-t-elle générer de la conversation ? Est-elle légitime ? Tout cela change la façon d’écrire et donc de raconter des histoires. Un des exemples phares de Fred & Farid n’est autre que le cas Carambar. La marque de friandises a en effet testé sa cote d’amour en réalisant une énorme blague sur le web social. Des millions de fans et consommateurs ont manifesté contre l’arrêt des blagues, annoncé quelques jours avant sur les réseaux sociaux et le site officiel. Il s’agissait évidemment d’une vraie blague.

Pourquoi cet humour ? L’idée consistait en fait à bousculer le public pour rentrer en conversation avec lui et ainsi se constituer une véritable communauté. Preuve du succès, il y a eu quelque 14 000 mentions sur Twitter en 24 heures et surtout plus 30% des ventes. « Nous avons recréé une iconicité qui jusqu’ici était patrimoniale par de la conversation. Nous passons donc vers de l’iconicité conversationnelle » explique Farid Mokart.

Les règles ont changé et ce ne sont plus les annonceurs qui dépensent le plus qui bénéficient de la plus grande visibilité. Il s’agit plutôt de ceux qui sont en mesure de trouver l’idée contagieuse, qui fera parler aux quatre coins de la toile. Pour répondre à cet enjeu de l’attention, une pratique nommée Hijack inspire de plus en plus Elle consiste à intercepter une conversation ou un sujet chaud, pour le détourner au profit d’une marque. Cette pratique nous vient de la Chine, pays où l’exigence des clients est très grande et les budgets plutôt petits, en sachant que la population est de 1,3 milliard de personnes.

Pour Frédéric Raillard « cette taille fait que nous ne pouvons pas créer de l’énergie comme en France, du coup nous sommes obligé d’en re-créer. » Pour cela, les spécialistes du Hijack instaurent de grandes war-rooms composées d’une profusion d’écrans connectés H-24 aux réseaux sociaux, afin d’observer ce que l’on appelle les Hot Topics (équivalent des TrendicTopics de Twitter). Tout l’enjeu étant de passer de la phase d’observation à celle de l’action, en détournant ces Hot Topics au profit des marques tout en restant pertinent pour soutenir un message, un produit, une marque.

En guise d’exemple, prenons le cas Garnier. Tandis que la célèbre marque du groupe l’Oreal était sur le point de quitter la Chine, elle a offert l’opportunité à l’agence Fred & Farid de hijacker un HotTopic à son profit. « Nous sommes partis du Hot Topic n°1 fin 2013 sur le réseau social Weibo qui n’est autre qu’un homme qui s’amuse à photoshoper sa tête sur des « Une » de Magazines comme Vogue ou GQ. Pour un prix dérisoire l’agence l’a contacté pour promouvoir la marque » explique Frédéric Raillard. L’influenceur a ainsi joué le jeu en postant le message « sur les médias sociaux j’utilise photoshop et dans la vie réelle j’utilise PS Cream de Garnier ». Le résultat est sans appel, le hijack a permis à la marque de faire 272 millions de vues sur un seul post en 4 jours.

Contrairement à ce que l’on peut penser, la Chine est donc initiatrice de nouvelles pratiques. Dans l’usage des réseaux sociaux, ce pays a 5 ans d’avance que ce soit sur les Etats-Unis ou l’Europe. Il faut dire aussi qu’en occident une vingtaine de plates-formes sociales intéressent les marques, quand en Chine elles sont plus de 500. « La créativité digitale chinoise n’a aucun équivalent dans le monde, ce qui est dû à l’effet de taille. Il n’existe pas de niche dans ce pays. Si vous prenez comme cible marketing la jeune femmes branchée par exemple, c’est un potentiel de plus de 60 millions de femmes. » Une seconde raison qui justifie cette créativité digitale, réside dans le fait que l’on peut difficilement protéger les technologies en Chine. On parle d’une politique du copiage, mais cela va au-delà. Il semble plus sensé de parler de croisement technologique. « C’est exactement comme un DJ, Il reprend une pluralité de musiques et en fait son propre morceau… il reste malgré tout un vrai musicien. La créativité chinoise c’est la même chose. »

Cette façon de procéder a donné naissance à des succès comme Wechat qui fédère 600 millions d’utilisateurs en deux ans ou Weibo fort de ses 450 millions d’utilisateurs. Tout passe désormais par les social media app. A tel point que les jeunes Chinois ont un véritable problème de mémorisation de leur adresse. Ils ne vont plus jamais à la poste et d’ailleurs n’ouvrent même plus leurs emails comme tout transite par WeChat, Weibo et autres applications. « C’est une réinitialisation totale du CRM. Le management de la relation client passe aujourd’hui par Wechat. » Le mythe de la grande collecte d’emails pour transformer l’internaute est fini.

L’un des autres constats est le fait que nos aînés payaient pour consommer des marques, tandis que notre génération a pris l’habitude de les consommer gratuitement. Plus fou encore, la nouvelle génération chinoise commence à être payée pour les utiliser. Il ne s’agit pas d’un changement de communication, mais bien de business model. « Ramené au traditionnel c’est comme si vous alliez dans un super marché, que vous achetiez un pull et que l’on vous donnait de l’argent » s’amuse Frédéric Raillard. Cela peut d’abord s’expliquer par un basculement d’un modèle BtoC vers le BtoB. L’explication la plus crédible réside plutôt dans le fait que ces acteurs du web chinois préfèrent acheter un comportement pour gagner une autre guerre un peu plus loin…

Car en Chine, il y a ce que l’on appelle la « BAT War » (B pour Baidu, A pour Alibaba, et pour Tencent). Ceux-ci s’affrontent sur tous les tableaux, que ce soit le social, e-commerce, SEO… Or, leur objectif final, leur Graal, n’est autre que de devenir le premier système de paiement en Chine, donc quelque part d’être la première banque du pays. Cette bataille à travers nombre de plates-formes n’a donc pas pour vocation à célébrer la victoire des dites plates-formes, mais bien d’être le premier mode de paiement en Chine. La guerre de l’audience est destinée à servir celle du paiement. « Ces acteurs prennent une longueur d’avance considérable, quand on sait que le paiement va devenir exclusivement mobile… Au sens large, la France devrait se tourner un peu plus vers ce pays riche d’enseignements » concluent les deux fondateurs du groupe Fred & Farid.

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Vincent Puren /  @VincentPUREN
Chief Editor of HUB Review, Head of Content – HUB Institute

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