10 juin 2021

Temps de lecture : 6 min

Gildas Bonnel (Sidièse) et Séverine Millet (Nature Humaine) : « Le sujet de la communication dite responsable ne se résume pas au seul respect des règles déontologiques »

Malgré son pouvoir sur les imaginaires, la communication pèche encore dans sa capacité à transformer durablement les comportements de consommation vers plus de responsabilité. Et si son efficacité relative était liée à une question de prise en compte des étapes de changement dans lesquels se trouvent les consommateurs ?

Gildas Bonnel (Fondateur et Président de l’agence Sidièse, président de la commission RSE de l’AACC) et Séverine Millet (Nature Humaine) nous proposent une nouvelle approche de la communication responsable, inspirée par les méthodologies d’accompagnement au changement. Un échange passionnant et qui nous offre de nouvelles perspectives pour accompagner la transformation écologique, sociale et solidaire de la consommation et des marques.

INfluencia : Alors que le secteur de la communication a été largement montré du doigt ces derniers mois pour son rôle joué dans la (sur)consommation, vous proposez au contraire de mettre les méthodologies de l’accompagnement au changement au profit d’une communication responsable efficace. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Gildas Bonnel : Nous sommes à un moment charnière en matière d’enjeux écologiques et climatiques : il nous faut embarquer un maximum d’individus dans le changement des usages et des habitudes d’achat. Aujourd’hui la communication est perçue, par beaucoup, comme un frein au changement de comportements et donc à la transition de nos sociétés car la publicité a eu pendant des décennies un rôle d’accélérateur de consommation. Si nous voulons sincèrement être acteur de la Transition, nous devons, collectivement, réfléchir à la place que notre secteur peut avoir dans la conduite du changement des citoyens consommateurs. Comment promouvoir d’autres formes de mobilité, d’autres protéines alimentaires, un nouveau rapport aux produits, à leurs usages, à leur fin de vie ? Comment les études comportementales peuvent-elles éclairer nos stratégies et rendre nos actions de communication plus efficaces ?

Séverine Millet : Si de moins en moins de personnes refusent le constat d’un nécessaire changement de nos modes de vie, nous ne sommes pas tous au même stade dans notre capacité à passer du dire au faire. En effet, comment favoriser de nouveaux gestes chez des personnes qui comprennent les enjeux, envisagent de changer à plus ou moins long terme mais ne parviennent pas à transformer l’essai dans leur mode de consommation, coincées dans leurs habitudes d’achat, les contraintes prix et l’accessibilité des produits ? (Je pense au bio par exemple). Comment aider aussi ceux qui estiment ne pas devoir changer (car après tout, le vrai responsable c’est l’autre !), persistant dans une forme de déni qui les assure d’un certain statu quo émotionnel et fonctionnel ?

Influencia : En quoi les théories d’accompagnement au changement peuvent-elles être utiles à la communication responsable ?

SM : Plus une personne reçoit un accompagnement et un discours adapté au stade de changement où elle se situe, plus elle sera en capacité de faire évoluer concrètement ses comportements. Le modèle de changement dit Transthéorique (TTM) des psychologues Américains Prochaska et Diclemente, créé au début des années 80 et constitué de 6 étapes, nous apporte des clés précieuses pour adapter notre discours et les méthodologies d’accompagnement en fonction de l’étape de changement à laquelle chacun se situe.

Ce modèle se focalise sur la décision individuelle de changement, implique les émotions, la cognition et les comportements. Il a fait ses preuves d’abord dans le milieu médical, pour accompagner les conduites addictives, puis dans de nombreux autres domaines, et a été adapté à l’accompagnement des organisations en 2001. Nature Humaine l’utilise et le modélise depuis 15 ans auprès des publics qu’elle accompagne sur les questions écologiques et climatiques, en adaptant les critères de détermination des étapes ainsi que les actions à mener pour chaque public, qu’il soit individu, élu, manager ou dirigeant.

INfluencia : Comment fonctionne ce modèle en matière de conduite du changement ?

SM : Ce modèle permet de prendre en compte tout autant des personnes qui ont déjà commencé à changer leurs habitudes de consommation ou l’envisage concrètement, avec plus ou moins de bonheur, qui ont besoin d’être confortées dans leur effort, de dépasser les doutes et freins qui subsistent (étape 3 de la préparation), que des personnes qui envisagent le changement sans y parvenir, car pour elles la contrainte apparait pour l’instant plus forte que les bénéfices, et leur motivation à changer est encore fragile (étape 2 de la contemplation).
Ce modèle accompagne aussi ceux qui sont déjà dans l’action, plus ou moins pionniers, volontaires, plus ou moins actifs, et qui ont besoin d’aide pour aiguiser leurs choix, affirmer et confirmer leurs actes au risque de se marginaliser au sein d’une société qui peine à suivre (étapes 4 et 5 de l’action et du maintien). Et enfin des personnes qui n’ont pas encore fait le choix de changer, encore prises dans une forme de déni, parce qu’elles ne considèrent pas leur comportement comme un problème, ou parce qu’elles ne voient aucun bénéfice pour elles à changer (étape 1 de la pré-contemplation).

INfluencia : Comment la communication responsable peut-elle s’en emparer ?

GB : Ce modèle nous enseigne que le moyen efficace de promouvoir un changement de comportement, comme l’achat d’un produit ou service plus écologique, qui fasse rupture dans le comportement « ancré » de chaque individu passe par une adaptation de notre discours, de nos messages, au niveau de maturité dans la décision. Prenons un exemple de comportement « ancré » : la difficulté de lâcher le réflexe voiture en ville au profit du vélo. Imaginons un automobiliste, qui est dans les bouchons alors qu’il voit les cyclistes aller plus vite que lui et dont il perçoit désormais la mise en sécurité par les nouveaux espaces protégés. Admettons que cet automobiliste soit dans une phase d’évaluation inconsciente ou consciente du « si c’était moi ? « si j’essayais ? ». Il nous faut donc, lui adresser des messages qui prennent en compte qu’il est lui aussi, déjà, dans un probable changement.

SM : C’est cela ! Ce modèle invite à communiquer d’une façon différenciée afin de soutenir chaque étape. Il nous aide à mieux identifier les messages contreproductifs qui, en ignorant cette réalité du changement, vont persister à conforter les individus dans leur déni, sabrer les engagements encore fragiles, démobiliser et démotiver même les plus engagés, ou encore contrer les efforts de sensibilisation au changement des acteurs de terrain.

Ce modèle nous invite à être pro-actifs et à soutenir la transition en accompagnant chaque étape par notre discours : renforcer la norme sociale pro-écologique et favoriser la compréhension des enjeux et de la part de responsabilité de chacun pour soutenir les « précontemplatifs » ; écrire de nouveaux récits de consommation pour ouvrir l’imaginaire des « contemplatifs » puis les aider à faire le lien avec les valeurs collectives et individuelles qu’ils peuvent défendre en agissant ; valoriser et flécher les nouvelles pratiques, montrer les pièges et freins au changement les plus fréquents pour les relativiser pour les « préparatifs » et les « actifs ». Certains types de discours vont permettre de toucher plusieurs étapes, comme tout discours qui va normaliser le changement, c’est-à-dire le rendre socialement acceptable, « mainstream ».

INfluencia : Vous livrez là une méthodologie très concrète, qui invite à confronter les données comportementales permettant d’identifier l’étape dans laquelle se trouve le consommateur « en mutation » et une réelle segmentation des messages pour l’accompagner dans sa transformation. C’est une approche très novatrice pour la communication responsable ?

SM : C’est fondamental de le faire car la publicité a un impact puissant sur les imaginaires !
Maintenant, chaque marque peut être attentive à l’étape où est principalement son public, à ses besoins et à ses difficultés spécifiques face au changement. Une marque de produits de beauté non bio qui sort un shampoing bio doit se demander : comment mon public est prêt à recevoir ce produit ? De quoi a-t-il besoin pour être aidé à le consommer ? La publicité a eu cette puissance de créer des normes sociales collectives de vivre ensemble et de consommer. Elle peut continuer à le faire, mais cette fois pour un bien collectif plus grand encore.

GB : C’est un point très important à mes yeux. Le sujet de la communication dite responsable ne se résume pas au seul respect des règles déontologiques autour du message. La leçon que nous tirons de ce travail avec Séverine, c’est que dans nos métiers, nous avons une somme importante de données comportementales, que nous n’exploitons pas assez. Là, il s’agit de participer à une projection du monde et de ses normes sociales. Les représentations masquées dans la communication peuvent renforcer ou déconstruire celles qui font barrage au changement. L’UDM (Union des marques) a publié un guide très utile sur le sujet : une sorte de check-list permettant, selon le contexte d’une publicité, de modeler un décor et un contexte valorisant une diminution des impacts de la consommation. Par exemple, dans une cuisine, mettre en scène des produits bruts non transformés ou en vrac dans les placards et les réfrigérateurs, dans une chambre d’enfants, un nombre raisonnable de jouets et de peluches etc. Nous avons désormais en main tous les éléments de compréhension et les leviers à utiliser pour accompagner les directions communication et RSE à adresser leurs publics pour changer les usages !

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