15 septembre 2023

Temps de lecture : 10 min

La relance de La Provence, une grande interview de Gabriel d’Harcourt

La Provence a entamé un plan de transformation qui touche à la fois l’éditorial, les moyens, l’organisation… Son nouveau DG Gabriel d’Harcourt, arrivé en janvier 2023 après plusieurs années à La Voix du Nord et au Courrier Picard, fait le point sur les premières évolutions, les développements en cours sur le digital, en diversification mais aussi le print avec l’arrivée, fin octobre, d’un hebdomadaire papier 100 % OM.

INfluencia : La Provence a lancé le 30 mai 2023 une nouvelle identité visuelle et une nouvelle maquette avec la promesse de devenir un journal plus clair et plus proche. Comment cette première phase du plan de relance Mistral Gagnant a-t-elle été préparée ?

Gabriel d’Harcourt : la nouvelle formule a été construite en nous interrogeant sur ce que les gens attendent aujourd’hui de leur média régional et en nous demandant quelle est la place de la presse régionale dans le bouleversement que connaissent aujourd’hui les médias. A côté de l’information régionale et nationale, l’information de proximité est importante à condition d’être pertinente, exclusive et utile dans la vie de tous les jours. Le Groupe Bernard Tapie (propriétaire du journal de 2013 à 2022, ndlr) ayant connu des années perturbées, La Provence a perdu des positions et le titre s’est resserré sur une population plutôt vieillissante. Le média doit retrouver une dynamique en s’appuyant sur une image et une marque très forte – la plus récente de la PQR puisqu’elle date de la fusion du Provençal et du Méridional en 1997 – qui est aussi le terme générique de la région. C’est un atout d’autant que la Provence bénéficie d’une véritable capacité d’attraction et suscite un imaginaire fort en France et même dans le monde. On veut donc proposer à Marseille et à sa région le média régional qu’elles méritent d’autant qu’au-delà du côté assez fascinant et singulier de cette ville, il y a actuellement un « moment Marseille » avec une actualité extrêmement chargée (Coupe du monde de rugby, visite du Pape…).

On veut proposer à Marseille et à sa région le média régional qu’elles méritent d’autant qu’au-delà du côté assez fascinant et singulier de cette ville, il y a actuellement un « moment Marseille »

IN : comment ces évolutions ont-elles été accueillies ?

G.d’H. : je ne compte plus les nouvelles formules en presse régionale sur lesquelles je suis intervenu de près ou de loin et celle de La Provence est certainement celle qui a été le mieux accueillie. La maquette retravaillée par Grégory Leduc, directeur artistique chez Upgrade Media, a marqué un contraste par rapport à ce qui existait jusque-là. Le journal a retrouvé de la clarté et de l’élégance. Il est plus facile d’entrer dans les sujets. L’impulsion éditoriale a d’emblée permis de faire émerger des contenus de grande qualité, qui étaient peut-être moins bien mis en avant auparavant. Ce sont des atouts très forts pour la suite. Fin mai, une autre étape importante a été menée en interne avec le vote sur le projet éditorial impulsé par le nouveau directeur de la rédaction Aurélien Viers (ex-Le Parisien), qui a été approuvé à 94 % avec un taux de participation de 85 % parmi les journalistes en poste et hors clause de cession. Cela a été une excellente nouvelle alors que ce n’était pas gagné d’avance. Cela ne veut pas dire pour autant que tout est devenu simple et facile. Nous sommes toujours dans un contexte compliqué car nous partons d’une situation dégradée sur un marché extrêmement bouleversé et dans une économie de l’entreprise qui est elle aussi dégradée (La Provence a accusé 12 millions d’euros de perte en 2022, ndlr).

En mai, le nouveau projet éditorial a été approuvé à 94 % avec un taux de participation de 85 % parmi les journalistes. C’était une bonne nouvelle mais cela ne veut pas dire que tout est devenu simple et facile

IN : plus généralement, où en est le plan de transformation ?

G.d’H. : on redémarre une dynamique au sein du Groupe CMA CGM qui affirme des ambitions très fortes dans les médias et veut que La Provence soit rapidement à la hauteur de ce que sont la ville et la région. Parler de transformation d’une entreprise comme la nôtre suppose des réorganisations, de nouveaux fonctionnements, le recrutement de nouveaux profils… En quelques mois, nous avons fait venir un nouveau directeur de la rédaction, un directeur de la transformation (Nicolas de Saint Bon), Amélie Magnet (ex-La Dépêche du Midi) en tant que directrice du marketing stratégique et innovation, et accueilli un nouveau directeur financier (Ziad Sanbar). Il va permettre de remettre en place des process et de professionnaliser la gestion financière, qui était auparavant logée au sein du secrétariat général. Il faut aussi prendre en main et piloter notre plan de transformation Mistral Gagnant avec 13 ateliers sur les différents environnements de l’entreprise. Tout cela sur fond de projet de déménagement mi-2024 dans un nouvel ensemble en centre-ville de Marseille et de la construction d’un nouveau site d’impression au Cannet des Maures, commun avec Nice Matin.

 

IN : quels sont les enjeux sur le numérique, notamment avec les premières évolutions attendues à partir de la fin du mois de septembre ?

G.d’H. : La Provence garde une forte dépendance à un modèle print structurellement baissier (en 2022, la diffusion du quotidien était de 68 806 exemplaires selon l’ACPM, en baisse de 6,2 %, ndlr), même si nous avons aussi des projets dans ce domaine. La transformation digitale a été très peu impulsée précédemment. Sur le digital, nous partons donc avec un temps de retard qu’il faut combler assez rapidement. Actuellement, nous avons 14 000 abonnés numériques et l’objectif consiste à les faire croître de 20 à 30 % par an à partir de 2024. Notre application est actuellement déconnectée du marché mais va être relancée fin septembre accompagnée d’une refonte complète de notre site web. Nous avons entamé une réflexion sur le CMS et sur l’intégration d’une plus grande culture marketing, notamment le marketing éditorial qui est absolument nécessaire pour capter des attentions de plus en plus sollicitées et convaincre de payer pour du contenu. La Provence est une entreprise privée et commerciale qui vend du contenu. On part d’une bonne matière avec de bons journalistes, de bons contenus et de bons angles. Il faut maintenant développer la capacité à les promouvoir et les commercialiser.

Notre application va être relancée fin septembre et sera accompagnée d’une refonte complète de notre site web. Notre audience digitale croît déjà très fortement – de l’ordre de 30 à 35 % chaque mois – ce qui nous place parmi les plus fortes progressions de la PQR. C’est positif !

IN : que mettez-vous en œuvre pour y arriver ?

G.d’H. : avancer dans notre conversion digitale suppose de réunir beaucoup de conditions : le paywall, le contenu, le marketing, la data… Cela concerne les hommes, les produits, les outils et le fonctionnement. Il faut aller vite mais sans brûler les étapes. Pour réorganiser la rédaction en web first, nous sommes en train de choisir un nouvel outil éditorial. C’est une décision majeure. Actuellement, notre système Hermès est plutôt orienté print to web et le passage d’un support à l’autre est laborieux. Pour autant, notre audience digitale croît très fortement – de l’ordre de 30 à 35 % chaque mois – ce qui nous place parmi les plus fortes progressions de la PQR. C’est positif ! Cette audience génère du revenu programmatique mais reste surtout l’antichambre de la conversion, pour peu qu’on sache la travailler. Il ne s’agit pas de faire de l’audience avec du buzz et des gens qui repartiront aussitôt de nos supports, mais plutôt de mener un travail de SEO et de marketing éditorial en s’assurant d’avoir les bonnes expertises en interne sur ces métiers nouveaux dans l’entreprise.

Je vois dans le groupe une grande dynamique, de fortes ambitions et une envie de médias qui donne un tempo. Le point de rencontre entre La Provence et La Tribune se fait autour des territoires qui sont notre ADN et leur positionnement

IN : en quoi la structuration du pôle Whynot Media (ex-CMA CGM Media), qui a récemment intégré La Tribune, s’apprête à lancer La Tribune Dimanche, a des participations dans Brut. et M6… peut-elle être source de synergies et d’accélération de la transformation ?

G.d’H. : depuis mon arrivée dans le groupe il y a 9 mois, je vois une grande dynamique, de fortes ambitions et une envie de médias qui donne un tempo. Le rachat de La Tribune fait sens par rapport à La Provence. Entre le savoir-faire digital et événementiel de La Tribune et celui de La Provence sur le journalisme de proximité, le point de rencontre se fait autour des territoires qui sont à la fois l’ADN de La Provence et le positionnement de La Tribune. Il est intéressant de mettre en œuvre cette complémentarité. Nos deux marques ont commencé à travailler sur l’événementiel qui est, pour les médias, une orientation stratégique et une opportunité de développement de ressources importante. On veut se positionner sur des thématiques fortes sur lesquelles nous pouvons apporter le savoir-faire économique de La Tribune, la connaissance de la proximité de La Provence et notre capacité à mobiliser chacun des acteurs locaux pour des événements locaux. Nous avons d’ores et déjà des projets pour la fin de l’année puisque nous viendrons ensemble, mi-octobre, à un salon autour des questions d’alimentation au moment de la semaine du goût. Il y aura sans doute un événement sur l’intelligence artificielle avant la fin de l’année. D’autres synergies ont été mises en place. Des contenus économiques de La Tribune viennent compléter et enrichir l’offre économique régionale de La Provence, qui était déjà traditionnellement de bonne qualité.

Nous voulons développer des verticales sur des thématiques. L’OM est bien sûr une priorité. Un hebdomadaire 100 % dédié au club devrait voir le jour d’ici la fin du mois d’octobre

IN : quelles sont les autres pistes de diversification ou de développement ?

G.d’H. : nous voulons aussi nous développer dans le brand content et la vidéo, notamment avec Aurélien Viers qui a permis l’accélération impressionnante de la vidéo au Parisien. Les travaux engagés avec Brut. doivent nous permettre de progresser dans ce domaine. Nous souhaitons aussi créer des verticales sur des thématiques porteuses, qui peuvent être travaillées sur le digital, en brand content, sur le print… A Marseille, plusieurs thématiques sont très fortes : la santé, l’immobilier sur lequel on a des réflexions, et bien sûr l’Olympique de Marseille qui est une priorité. Ce phénomène unique en France est déjà bien traité par nos journalistes mais on peut en donner encore plus aux passionnés. Nous venons d’annoncer un partenariat avec le programme « Treizième Homme » de l’OM, qui rassemble les projets structurants du club, qu’ils soient sportifs, sociaux ou éducatifs. On finalise des offres communes La ProvenceOM autour de contenus spécifiques, des offres d’abonnement au quotidien qui seront proposées aux abonnés de l’OM et un projet de magazine 100 % dédié à l’OM qui devrait voir le jour d’ici la fin du mois d’octobre. Nous sommes en pleine transformation digitale mais nous continuons de croire au print…

IN : que proposera ce nouveau magazine sur l’OM ?

G.d’H. : cet hebdomadaire ne traitera pas uniquement de l’actualité mais abordera aussi tout ce qui s’est passé et tout ce qui gravite autour de l’OM : les grandes épopées, les grands joueurs, des photos très fortes… On s’adresse à une population de passionnés du club, plutôt au-delà de 45 ans, qui frissonne dès qu’on lui parle de la victoire en Ligue des champions de 1993, de Jean-Pierre Papin ou de Chris Waddle. Le journal a énormément de matière et de savoir-faire sur l’OM. Il y a beaucoup de choses à raconter. Dans sa version print, il sera édité dans un papier journal renforcé. Les contenus seront aussi accessibles sur le digital avec des offres dédiées.

Nos médias doivent concerner davantage toutes les composantes de la société, raconter l’actualité mais aussi apporter notre pièce à l’édifice. Il y a dans notre projet stratégique une dimension RSE qui va monter en puissance

IN : Marseille fait souvent l’actualité pour ses faits divers, mais c’est aussi une ville qui recèle une vraie vitalité économique et une grande diversité sociale. Comment faire le lien entre des publics qui peuvent avoir des vies aussi différentes au sein d’une même agglomération ?

G.d’H. : la force d’un grand média populaire comme La Provence, c’est justement de parler à tous. Nos médias doivent concerner davantage toutes les composantes de la société. Dans une période à gros enjeux, nous sommes là pour raconter l’actualité mais aussi pour contribuer et apporter notre pièce à l’édifice, pour aider. Quand on fait la Une sur le SOS des Restos du Cœur, on doit aussi faire partie de ceux qui contribuent à apporter une solution. Le média a cette position intermédiaire qui permet de sensibiliser et solliciter les gens pour aller vers une société moins divisée, écartelée et plus solidaire. Il y a plein de choses à faire. Pendant le Covid, on a vu à quel point la presse régionale avait un rôle à jouer. On doit encore le montrer avec la crise des banques alimentaires. Nous nous impliquons aussi dans des initiatives environnementales ou sociétales parce que c’est notre rôle. La Provence est par exemple un partenaire important du So Good Festival, qui se tient le 15 septembre à la Belle de Mai. Il y a dans notre projet stratégique une dimension RSE qui va monter en puissance. Nous avons créé un poste de responsable RSE. Constance Leenhardt arrivera fin septembre en provenance de la Fondation Vinci et pilotera notre projet RSE en lien avec celui de notre maison mère.

IN : les Etats généraux de l’information seront lancés le 3 octobre. Qu’en attendez-vous  et que pensez-vous des réflexions liées à l’approbation par les journalistes des changements à la direction des rédactions ? A La Provence, qui est comme d’autres médias propriété d’un groupe industriel, la rédaction n’a pas voté sur une personne mais un projet…

G.d’H. : On ne peut pas ignorer l’épisode du JDD qui a touché la profession, pose question et appelle des réflexions. Au moment de la reprise de La Provence, le nouvel actionnaire s’était engagé à ce qu’il y ait un vote sur le projet éditorial et, chez nous, ce vote a eu une issue très favorable. Je trouve que c’est une piste très intéressante, qui est moins focalisée sur une personne et plus sur le projet qui est porté. Les Etats généraux seront une occasion de réfléchir à cet enjeu majeur qu’est l’intelligence artificielle. Côté média, on ne peut pas rester passif par rapport à un phénomène qui va bouleverser énormément de choses. On doit comprendre, expliquer et voir comment faire avec car, plus on repoussera le sujet, plus il nous reviendra en boomerang. Il vaudrait mieux faire en sorte que l’IA vienne en soutien de la vocation et du positionnement des médias traditionnels que nous sommes et dont la société a besoin pour son équilibre.

On ne peut pas rester passif par rapport à l’IA, qui va bouleverser énormément de choses. On doit comprendre, expliquer et voir comment faire avec. Plus on repoussera le sujet, plus il nous reviendra en boomerang

IN : votre parcours s’est toujours déroulé de près ou de loin dans la presse régionale, notamment à La Voix du Nord et au Courrier Picard. Comment vous aide-t-il ou vous inspire-t-il dans cette nouvelle expérience et dans la mise en place du plan de transformation ?

G.d’H. : ce sont des expériences très différentes, qui ont eu lieu à des époques différentes et sont forcément sources d’enrichissement. Je découvre depuis janvier 2023 un contexte et un environnement nouveau mais, finalement, avec des hommes et des femmes qui restent le cœur du sujet d’un collectif. Le journalisme et la fonction des médias sont aussi un fil conducteur de mon parcours. J’ai fait des études de journalisme, sans jamais exercer. Mais en dirigeant des journaux depuis une quinzaine d’années, je crois à la fonction absolument indispensable du journalisme dans nos sociétés et au besoin d’un journalisme de qualité. S’il y a un fil rouge dans mon parcours, c’est sans doute celui-là, qui se poursuit dans un contexte qui n’a sans doute jamais été aussi compliqué. Cela rend le challenge encore plus difficile et encore plus motivant !

En savoir plus

Le Groupe La Provence, qui publie les deux quotidiens régionaux La Provence et Corse Matin, compte 793 collaborateurs. Il a été racheté par le Groupe CMA CGM en octobre 2022.

Sur la période intermédiaire 2022-2023, La Provence affiche une diffusion France payée de 65 912 ex. (-7,6 %), dont 50 945 ex. en vente au numéro et abonnés papier (source ACPM). En août 2023, son site et son appli cumulaient 16,463 millions visites.

Mistral Gagnant, le plan global de transformation du Groupe La Provence doit se dérouler sur quatre ans. Il englobe divers aspects, notamment la réorganisation de la rédaction, la digitalisation et l’exploitation des données, la transition de la régie vers une agence-conseil média, l’adoption d’une stratégie de marque plus claire, la diversification des sources de revenus, le nouveau site d’impression, le déménagement des locaux marseillais mi-2024 ainsi que l’optimisation du modèle de diffusion.

Le groupe dirigé par l’armateur Rodolphe Saadé a créé en mars 2023 un pôle CGM CMA Media, rebaptisé Whynot Media début septembre 2023. Cette entité pilotée par Laurent Guimier (ex-France Télévisions) regroupe La Provence, Corse Matin, La Tribune, qui s’apprête à lancer La Tribune Dimanche le 8 octobre 2023, ainsi que les participations du Groupe CMA CGM dans Brut. et M6.

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