9 octobre 2025

Temps de lecture : 4 min

« Mettre en scène un enfant qui mange une glace ou une sucette… c’est énormément recherché par des pédocriminels »… les failles persistantes dans la protection des enfants

L’ARPP a réuni experts, créateurs et régulateurs pour dresser un état des lieux de l’influence responsable. Trois ans après la loi sur les enfants influenceurs, la protection des plus jeunes reste en question. L’Observatoire 2025, enrichi par l’IA, livre des réponses inédites.

D’entrée de jeu, Sarah El Haïry, Haute-Commissaire à l’Enfance, a rappelé quelques réalités crues : « aujourd’hui, 70 % des enfants de moins de 13 ans disposent déjà d’un compte sur les réseaux sociaux, alors même que la loi l’interdit. Les risques ne se limitent pas aux plateformes emblématiques, mais concernent aussi les messageries de jeux en ligne comme Fortnite, où circulent images et interactions à haut risque ».

Face à cette situation, la ministre déléguée chargée de l’Enfance, de la Jeunesse et des Familles appelle à questionner les stéréotypes et représentations que l’influence renvoie à la jeunesse. Mais elle insiste surtout sur l’inversion de la pyramide des savoirs.

Les enfants maîtrisent souvent mieux ces outils que leurs parents. D’où la nécessité d’accompagner les adultes – parents, enseignants, éducateurs – pour leur donner les clés d’un dialogue avec les jeunes.

« Aidez-nous à les aider », a-t-elle lancé à l’adresse des professionnels présents

Elle a aussi défendu l’idée d’une co-responsabilité partagée entre institutions, plateformes, familles et créateurs de contenu.

De 25 % à 5 % de manquements : la transparence progresse

Un appel qui fait écho aux travaux de l’ARPP. Depuis 2019, son Observatoire de l’Influence Responsable, piloté par un comité interprofessionnel, analyse la conformité des contenus publiés sur Instagram, TikTok ou YouTube en s’appuyant sur des technologies avancées et des partenaires spécialisés comme Kolsquare, Kuli, Reech ou Traackr.

C’est dans ce cadre que Mohamed Mansouri, directeur délégué de l’ARPP, a rappelé l’ampleur des progrès réalisés :

« les contenus non conformes représentaient quasiment un quart des contenus analysés au moment du lancement de l’Observatoire… on est descendu à 5 % l’an dernier. Les contenus pleinement conformes atteignaient difficilement la barre des 32 % la première année, ils représentaient désormais 81 % de la production analysée l’année dernière ».

Une progression qui est le fruit d’outils pédagogiques comme le Certificat de l’influence responsable et d’une mobilisation de tout l’écosystème et des données acquises – en partie – grâce à un nouveau dispositif de veille dopé à l’IA couvrant jusqu’à 400 000 publications par an.

Loi Studer, loi Influence : protéger les mineurs en ligne

Si les indicateurs s’améliorent, comment ces évolutions se traduisent-elles dans la vie quotidienne des créateurs, des familles et des enfants concernés ? C’est tout l’objet de la première table ronde consacrée à « l’influence commerciale et la protection des jeunes publics : où en sommes-nous ? ».

Sur le plan juridique, Cyril Bedos, avocat expert en droit du numérique, a commencé par rappeler les avancées récentes. « La loi Studer du 19 octobre 2020 a créé un cadre légal pour les enfants influenceurs », explique-t-il – une première réponse pour réglementer l’utilisation d’enfants de moins de 16 ans dans des contenus en ligne monétisés.

Et depuis, « la loi Influence commerciale du 9 juin 2023 a élargi le champ d’application […] à l’ensemble des plateformes en ligne », renforçant la protection des mineurs sur tous les réseaux sociaux.

En clair, toute collaboration commerciale impliquant un enfant doit désormais respecter des obligations strictes (autorisations, horaires de tournage adaptés, revenus bloqués sur compte jusqu’à la majorité, etc.), comblant enfin le vide juridique qui persistait.

Vue du terrain, cependant, appliquer ces règles reste un défi quotidien.

Parents influenceurs : protéger l’intégrité des enfants avant tout

Oralie Guenzi, fondatrice de l’agence Just go Agency, qui représente de nombreux parents influenceurs, et créatrice de contenu certifiée ARPP, détaille les bonnes pratiques qu’elle s’efforce d’instiller. Préserver l’intégrité de l’enfant est la priorité : « Ne mettez pas d’informations sur la santé de vos enfants », martèle-t-elle, car ces données personnelles pourraient un jour se retourner contre eux.

De même, certaines scènes en apparence anodines peuvent être détournées : « Mettre en scène un enfant qui mange une glace ou une sucette… on ne s’en rend pas forcément compte mais c’est énormément recherché par des pédocriminels », avertit Oralie Guenzi.

Contrats obligatoires, y compris pour les collaborations non rémunérées en argent : « Ce n’est pas flou, malgré ce que je peux entendre dans la bouche de certains acteurs : s’il y a collaboration commerciale, quelle qu’elle soit… alors il y a contrat. C’est mon cheval de bataille », insiste-t-elle, rappelant que la loi ne tolère plus de zone grise sur ce point.

En somme, visibilité ne doit jamais rimer avec vulnérabilité : aux adultes de mettre des limites claires pour protéger la vie privée et les droits des plus jeunes.

Ne jamais montrer le visage de ses enfants

Ces limites, Tiffany (@tiffany.family), créatrice de contenu suivie par des milliers de parents, les applique à la lettre – quitte à refuser des partenariats alléchants. « On ne va pas se mentir : en tant que créatrice de contenu, quand il y a les enfants sur le contenu, ça marche beaucoup mieux, on le sait » concède-t-elle.

Mais hors de question d’en profiter : Tiffany ne montre jamais le visage de ses deux filles et refuse les sollicitations des marques qui n’acceptent pas de les rémunérer et encadrer officiellement. « C’est moi qui ai choisi de faire ce métier… ce n’est pas à mes enfants d’en subir les conséquences », assène-t-elle.

Elle souligne ainsi que la pédagogie ne se fait pas seulement auprès des marques ou des institutions, mais aussi auprès des abonnés, pour faire évoluer les mentalités. Et le constat de terrain de Tiffany trouve un écho chez les experts de la protection de l’enfance.

« À 6 ans et 10 mois, les enfants sont déjà seuls sur Internet »

Samuel Comblez, psychologue et directeur adjoint de l’association e-Enfance, alerte sur un angle mort du débat : « On parle souvent du temps d’écran ou des contenus inadaptés, mais pas suffisamment de la solitude avec laquelle les enfants utilisent les écrans ».

Dès l’école primaire, beaucoup de jeunes naviguent sans accompagnement : « Les chiffres montrent que les enfants commencent à utiliser Internet à 5 ans et 10 mois avec leurs parents, et à partir de 6 ans et 10 mois… ils sont seuls ».

Livrés à eux-mêmes dans le monde numérique, les plus jeunes deviennent des proies faciles pour de mauvais « influenceurs » ou des prédateurs en ligne.

D’où l’importance, comme le rappelait Sarah El Haïry, d’une co-responsabilité entre parents, plateformes et pouvoirs publics. Le message est clair : protéger les enfants et encadrer l’influence ne pourra se faire qu’avec l’implication de tous.

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