6 décembre 2020

Temps de lecture : 6 min

Le télétravail? Oui mais …. non!

L'être humain - une des multiples races "animales" de cette planète - a des comportements similaires à ceux de la plupart des autres races animales: il est difficile pour ses individus de vivre et de s'épanouir seul. Que ce soit dans sa sphère privée ou professionnelle. L'éthologue urbain, Jean-Louis Rossignon nous en fait ici une belle démonstration.

L’être humain – une des multiples races « animales » de cette planète – a des comportements similaires à ceux de la plupart des autres races animales: il est difficile pour ses individus de vivre et de s’épanouir seul. Que ce soit dans sa sphère privée ou professionnelle. L’éthologue urbain, Jean-Louis Rossignon nous en fait ici une belle démonstration.

L’être humain – une des multiples races « animales » de cette planète – a des comportements similaires à ceux de la plupart des autres races animales: il est difficile pour ses individus de vivre et de s’épanouir seul. Que soit dans sa sphère privée ou professionnelle. On le voit avec la pandémie actuelle qui occasionne des dégâts psychologiques dus à la solitude, l’isolement, la disparition des rituels physiques (s’embrasser, se prendre dans les bras se serrer la main, …) et l’absence de référence relationnelle qui est la base de la vie sociale. En bref, l’être humain est avant toute autre considération un animal social.

L’animal humain a besoin d’une hiérarchie.

D’un point de vue éthologique, l’animal humain a besoin d’une hiérarchie. Mais d’une hiérarchie qu’il voit, avec qui il échange physiquement. « L’animal » humain valide sa hiérarchie à partir du moment où il vit avec elle, où il échange avec elle. Sans hiérarchie visible pour l’animal humain, elle « n’existe pas » pour lui. Du point de vue des responsables hiérarchiques, ils ne peuvent se sentir « vivant » qu’à partir du moment où, d’une manière physique, ils exercent un contrôle, une maîtrise. Un chef qui n’a pas de contrôle, de maîtrise physique avec ses collaborateurs se sent « perdu » et dévalorisé. En cumulant les comportements des employés avec les ressentis des responsables hiérarchiques, on risque plus de provoquer des hiérarchi-chocs! Cela changera peut-être d’ici quelques siècles mais pas aujourd’hui d’autant que nos gênes ont hérité de cette organisation structurelle depuis la nuit des temps et qu’un changement nécessite une période que nous sommes incapables d’imaginer aujourd’hui. Si le télétravail devient privilégié, cela engendre une autre problématique: l’intégration des nouveaux venus dans une entreprise. Lorsqu’un nouvel employé rejoint une entreprise, il a besoin d’être et de se sentir intégré dans cette nouvelle « communauté » et d’être formé par les « anciens ». C’est notamment à l’occasion de l’actuelle pandémie que nous réalisons l’importance et la puissance des communautés qui se sont amplifiées. L’entreprise n’est pas une structure dont on donne le « mode d’emploi » à des nouveaux venus en leur disant « Débrouillez-vous! ».

Dépressions sociétales

L’isolement des nouveaux venus va créer un phénomène d’isolement social, de dépressions sociétales qui va aboutir à des performances relationnelles catastrophiques et pourtant nécessaires pour assurer les résultats économiques d’une entreprise.
Du point de vue physiologique, le télétravail va considérablement réduire la sécrétion de certains neurotransmetteurs positifs qui valorisent l’épanouissement de chacun. C’est le cas de la dopamine. Ce neurotransmetteur est impliqué notamment dans l’attention, la mémoire, le plaisir et la motivation avec un rôle déterminant dans les comportements relationnels. Le fonctionnement du circuit de récompense qui produit une sensation de satisfaction à partir d’une action réussie « publique » fait également sécréter de la dopamine. Et la satisfaction ressentie par un individu lui donne une impression de puissance et d’importance essentielle dans le concept de la réussite humaine.
Il y a également l’ocytocine. Du fait que le télétravail réduit considérablement les contacts humains, on assiste à un réduction de la sécrétion de cette molécule connue pour son rôle dans le lien social, l’attachement et l’affection.

Le lien c’est la vie

Du point de vue psychique, il est important de prendre en considération les peurs auxquels est confronté l’animal social humain depuis son plus jeune âge et qui agissent encore à l’âge adulte, parfois de manière renforcée. Comme la peur de perdre le lien (l’oralité, on se souvient inconsciemment d’avoir perdu la « nourriture » venant des autres et on ne veut pas reperdre les liens), celle de perdre le contrôle et la domination sensée permettre de conserver le lien. Tous les êtres humains font les mêmes expériences psychiques mais réagissent différemment. Dans le cas de la pandémie actuelle, tout tourne autour de la peur de perdre le lien. Parce que le lien, c’est la vie. Sans lien, sans interaction, il n’y a pas de vie, non seulement autour de soi mais aussi en soi: nous avons besoin de nous sentir appartenir à un, voire plusieurs groupes, « tribus ». C’est d’autant plus importants dans des moments sociétaux comme ceux que nous vivons pour l’instant (pandémie, affaissement économique, problèmes sociaux, inégalités en tous genres, …).
Ce sont des moments psychiquement intenses durant lesquels on a besoin de refaire des liens, où on redéfinit nos liens. On essaie de les rendre harmonieux pour trouver des ressources qui vont nous aider à traverser cette période difficile: ce sont des moments d’opportunité. Ces comportements de peur sont de nature névrotique dans le sens où ils recréent ce qui nous faisait peur sans qu’on s’en rende compte parce que notre conscience éveillée ne « voit » pas ces peurs.

Le travail par projet

Du point de vue de l’entreprise, c’est à partir de l’animal social humain et des interactions qu’il aura avec ses congénères que va émerger un « chaos », terreau fertile pour l’innovation et la créativité indispensable aux entreprises et à son propre épanouissement.
Aujourd’hui, on relève une tendance grandissante des entreprises qui travaillent « par projet », et non plus suivant une organisation humaine transversale. Le télétravail accroît ce type d’organisation entrepreneurial qui – malheureusement – va engendrer des conséquences comportementales et relationnelles stériles et infructueuses aux entreprises qui y adhèrent. On peut comprendre, qu’au vu des circonstances, elles se sentent obligées pour satisfaire leur actionnariat de réduire leurs coûts. Il s’agit d’une stratégie à court terme typique de l’Europe qui sera fortement dommageable sur les résultats à long terme. D’abord, les individus commenceront à se décharger de plus en plus d’une quelconque responsabilité collective au sein de leur entreprise. Ils limiteront aussi leur responsabilité individuelle à la stricte définition de leur job description (pour peu qu’il y en ait un …), ce qui réduira les initiatives ou les propositions créatives individuelles.

On note aussi que certaines fonctions manageuriales sont « convaincues » des avantages du télétravail par rapport à leurs propres zones d’intérêts internes. D’abord les RH convaincues qu’une entreprise qui fonctionne par projet restreint la nécessité d’inclure des interactions humaines dans la réussite de ces projets et par là-même réduit l’existence et le fonctionnement d’une intelligence collective qui se pratique préférentiellement en présentiel. Ce sont les échanges présentiels qui font évoluer les discours et les décisions.
Un être humain a besoin de se nourrir de ce que ses congénères disent, font, arrivent soit à des échecs soit à des réussites pour eux-mêmes être stimulés. C’est la base du fonctionnement des neurones miroirs du cerveau humain. Pas d’humain = pas de projection à ses semblables: les individus ont besoin de se comparer à leurs congénères et plus particulièrement à ce qu’ils réussissent et là où ils échouent. Ça leur permet de faire leur auto-évaluation d’une part et d’adapter leurs compétences d’autre part.
Le directeur financier lui voit son point de vue de gain financier en pouvant modérer ses frais locatifs et les services nécessaires au fonctionnement de ses bureaux. Il faut donc se poser la question: à qui profite le « crime »?

L’habitat

Last but not least, du point de vue de la préservation de la vie privée, le télétravail est un danger pour la sphère privée de l’individu et de sa « tribu » personnelle. Au départ, l’habitat est considéré comme la « forteresse » privée dans laquelle le travail doit avoir le moins d’emprise possible. Depuis plus ou moins trois décennies celui-ci marque une empreinte de plus en plus importante et la coïncidence avec le télétravail lui permet d’encore plus ronger sur l’espace privé, au propre comme au figuré. Au propre, en partageant l’espace privé en espacé privé ET professionnel. Certains possèdent un appartement dont la surface est restreinte et doivent forcément prendre une partie de leur espace privé pour s’installer et travailler. A cela, s’ajoute peut-être l’autre conjoint qui – lui – a aussi besoin d’un espace de travail à prendre lui aussi sur l’espace privé. Et si, par malheur, les enfants sont également confinés et doivent travailler dans le même appartement, vous pouvez imaginer ce que devient l’espace privé. Au figuré en remarquant l’habitude marquée et répétitive de certains responsables hiérarchiques d’envoyer des mails, des SMS à toute heure du jour et du soir avec une réponse supposée immédiate.
L’habitat est la base du ressourcement physique, physiologique & psychique. Imaginez les conséquences psychologiques et relationnels que va engendrer ce morcellement de l’espace privé tant physique que temporel …

En résumé, on pourrait comparer le télétravail à une « terre » sans engrais. Cette « terre » sans engrais va rester pauvre dans sa production. Une « terre » sur laquelle on aura semer de l’engrais, des relations sera sensiblement plus productive.
Food for thought.

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