23 juin 2020

Temps de lecture : 5 min

Engagement politique. Où sont les marques françaises ?

L’actualité mondiale très mouvementée depuis l’élection Donald Trump jusqu’aux manifestations en faveur du mouvement Black Live Matter en passant par le mouvement MeToo, le Brexit, les Gilets Jaunes, la marche mondiale pour le Climat et le Covid ne cesse de questionner le rôle des marques dans la société et leur implication politique.

L’actualité mondiale très mouvementée depuis l’élection Donald Trump jusqu’aux manifestations en faveur du mouvement Black Live Matter en passant par le mouvement MeToo, le Brexit, les Gilets Jaunes, la marche mondiale pour le Climat et le Covid ne cesse de questionner le rôle des marques dans la société et leur implication politique.

Très récemment aux USA, outre Nike qui s’est engagé rapidement et fortement à la suite de l’assassinat de Georges Floyd, de nombreuses marques ont apporté leur voix au mouvement Black Lives Matter: Warner Media, Disney, Ben & Jerry’s et même la chaîne magasins Nordstrom, sans oublier l’industrie musicale qui a invité tout à chacun à se mettre en pause mardi 2 juin à travers l’opération « Black Out Tuesday ». Cet engagement politique des marques s’expriment aussi à travers leur comportement vis-à-vis de consommateurs et de clients exprimant des points de vue «discutables» (disagreeable views). Ainsi la marque de thé anglaise Yorkshire Tea a publié récemment sur Twitter un post intitulé « Don’t buy our tea again » en réponse à l’activiste d’extrême droite Laura Towler qui encourageait la marque à ne pas s’engager contre le racisme. Sur un autre champs, Patagonia, qui mène des campagnes énergiques sur le changement climatique et les questions de politique verte, a décidé qu’elle ne voulait pas que son modèle de gilet sans manches devienne l’uniforme commercial décontracté de Wall Street. Elle a donc décidé de limiter les ventes de gilets brodés avec logo personnalisé aux seules «entreprises axées sur une mission qui donnent la priorité à la planète».

Une spécificité anglo-saxonne qui pourrait trouver un cadre favorable en France

Ce mouvement de politisation des marques ne connait pas la même envergure du côté des marques françaises. Historiquement, la conception de « l’entreprise comme partie-prenante du monde dans lequel elle agit et pas uniquement en tant que commerçante » obéit à un modèle avant tout anglo-saxon selon Mélanie Rauscher et Julien Féré co-auteurs de l’ouvrage Les dessous du marketing et de la communication, cartographie des imaginaires. (Ellipses, août 2018). Or, la Loi Pacte 22 mai 2019 qui introduit en France la notion de Raison d’être devrait permettre un certain alignement des modèles français et anglo-saxon sur la capacité offertes aux entreprises d’aligner valeur interne (organisation de l’intérêt social l’entreprise) et externe (prise en compte de son impact sur son écosystème social et environnemental. Le cadre est fixé mais où sont les marques françaises engagées ?

Les bénéfices à l’engagement des marques sont réels

– La préférence d’achat des consommateurs : Les messages d’une marque axés sur les valeurs incitent davantage les consommateurs à envisager l’acte d’achat qu’une communication produit (38%. V.S 28% selon le trust barometer Edelman).
– La confiance des consommateurs : 36% des Français sondés disent qu’ils font confiance aux marques pour répondre à des préoccupations sociétales
– La fidélité des consommateurs : « En alignant leurs valeurs sur celles qui comptent pour leurs clients, les entreprises espèrent créer un sentiment de loyauté et de connexion plus personnel avec eux (…) C’est malin parce qu’elles s’engagent sur des questions de morale, mais aussi parce qu’elles comprennent l’enjeu économique à long terme. »(Americus Reed, professeur de marketing à l’Université de Pennsylvanie)
– La valorisation financière de la marque : Les marques ayant travaillé leur utilité sociale et leur raison d’être ont généré deux fois plus de croissance que les autres. (source : baromètre BrandZ 2019)
L’engagement politique des marques est une démarche exigeante

Pas d’opportunisme cela va de soi

Bien évidemment, le retour de bâton peut être violent pour les marques qui peuvent être taxées d’opportunisme. Dans ce cas, la perte de confiance envers la marque peut même pousser les consommateurs à la boycotter : 39% des personnes interrogées disent qu’ils ne feront plus jamais confiance à une marque si cette confiance a été une fois rompue, qu’ils ne l’achèteront plus et qu’ils déconseilleront aux autres de l’acheter (Trust Barometer Edelman 2019). Sébastien Fassier, vice-président de Data Sciences, une société spécialisée dans l’engagement numérique avertit : “Toute prise de position doit reposer sur des données et de la recherche, juge-t-il. C’est que les enjeux politiques sont habituellement éphémères. Si vous vous prononcez sur un d’eux sans disposer de l’information complète et qu’en plus, vous misez sur le mauvais cheval pour le porter, les gens vont s’en souvenir longtemps”.

La nécessité d’accorder « storytelling » et  «story-doing »

La publicitaire britannique très engagée, Cindy Gallop a récemment interpelé Nike sur Twitter en leur faisant remarquer qu’ils ont eux-mêmes un problème en ne comptant aucun Noir dans leur comité exécutif. Ce faisant, elle pointe la problématique centrale de l’engagement des marques : la nécessité que le « storytelling » déployé s’accompagne de d’un «story-doing ». Bref, toute marque qui se contenterait de promettre un engagement en guise de raison d’être sans en apporter les preuves se prépare des lendemains difficiles. L’engagement des marques sur le champs sociétal et politique constitue une opportunité pour une communication « open source ». Si l’avènement de l’ère des marques engagées ne fait pas de doute, il sera nécessaire d’en finir avec les pratiques top-down d’un marketing qui considère chaque marque comme une citadelle auto-suffisante. Il s’agit donc de s’inscrire dans une communication open source qui permette aux consommateurs de contribuer aux communications et de faire partie de la marque. C’est le moyen de faire apparaître les valeurs de l’entreprise plus profondément et plus authentiquement. Lorsque cela se produit, la marque cesse de n’être qu’une image.
“Votre marque est ce que les gens disent de vous lorsque vous n’êtes pas dans la pièce”. Cette célèbre phrase de Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, prend toute son sens dans ce contexte favorable à l’engagement des marques. Plus que jamais, les marques doivent faire plus de place à leurs publics et les inviter à être partie prenante de leur communication. Pas juste pour « liker » leurs contenus sur les réseaux sociaux, mais pour en faire des associés attentifs et exigeants à l’avènement des marques qui veulent avoir un impact réel sur la société.

Les consommateurs français poussent les marques à l’engagement

Avant la crise du Covid, les Français avaient déjà entériné leurs doutes quant à la capacité d’impact réel du gouvernement pour créer les conditions d’un avenir meilleur. Ainsi 81% des Français pensent que les gouvernements ont plus que jamais besoin des entreprises pour les aider à transformer la société (étude CSA/Havas Observatoire des marques dans la cité). Au-delà des déclarations, l’acte d’achat s’est révélé un acte de plus en plus politique : 65% des consommateurs achètent une marque en fonction de leurs convictions.
“De nos jours, un t-shirt n’est pas toujours un t-shirt, un magasin pas seulement un magasin. Les sacs à mains, robes ou autres produits ordinaires, ainsi que le lieu où on les a acheté se sont politisés”. précisent Creswell et Rachel Abrams, journalistes au New York Times.

Mais les marques semblent encore opposer une certaine résistance à l’injonction de la prise de position en France

Alors que 64% des Français pensent que c’est une bonne chose que les entreprises prennent part au débat public pour défendre des valeurs auxquelles elles croient (étude CSA/Havas Observatoire des marques dans la cité), ils ont jugé durement l’attitude des marques pendant la crise du Covid : 50% des Français considèrent que les marques ne se sont pas suffisamment engagées dans la lutte contre le coronavirus (Etude YouGov avril 2020). Alors, de quoi ont-elles peur ? Elles sont déja au cœur des représentations sociales car une marque est avant tout une construction sociale. On l’a vu, les consommateurs les y encouragent et les bénéfices attendus sont réels. A quand un Cap Gemini se faisant le chantre de l’immigration pour attirer des talents en France plutôt que de développer des plateformes off shore de développeurs ? À quand un Accor ou un Bouygues s’engageant enfin pour résoudre le problème de la pénurie de compétences en France sur leur activité ? A quand un Coq Sportif vent-debout contre les violences policières ou les actes racistes ? Pourquoi aussi peu de marques défendant ouvertement les droits des LGBT+ ? Il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour que la révolution culturelle soutenue par les gens mette les marques françaises au niveau des marques anglo-saxonneS. Un comble quand même pour la nation des droits de l’homme.

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