12 février 2021

Temps de lecture : 2 min

Le luxe, la part maudite de l’économie ?

Un souffle au cœur – c’est peut-être ce que ressentent les marques aujourd’hui, épuisées de courir après des temps changeants. « Le Souffle au cœur », c’est aussi ce film de Louis Malle, le récit des amours impossibles et des rapprochements tendancieux, librement inspiré d’un roman de Georges Bataille.

Fin décrypteur de ce qui dérange et de ce qui nous « consume », un peu oublié entre deux pages d’histoire des Trente Glorieuses, Cassandre en son temps, Bataille réapparaît aujourd’hui comme un formidable auteur pour analyser la « brand fatigue » contemporaine et la façon dont les marques semblent perdre de leur aura et de leur pouvoir.

Du désir au scandale

C’est dans un vaste projet d’Essai d’économie générale, en 1949, que Bataille construit la notion de « part maudite » – malédiction d’abord pensée pour le luxe, mais dont les marques quelles qu’elles soient semblent porter l’empreinte. Au risque de simplifier sa pensée, en l’adaptant à l’actualité, on laissera Bataille nous raconter avec les mots d’aujourd’hui comment toute société génère et gère ses « flux de richesses ». En quête de croissance, elle tend à produire en excès, au-delà du strictement nécessaire. Cet excès peut être consumé, dans le don, ou réservé à une élite, comme dans le cas du luxe, ce terme pouvant qualifier une grande partie de notre consommation « brandée ». Cette « spoliation » conduit à diviser des populations entre les « gaspilleurs ostentatoires » et les autres. Lorsque les sociétés se veulent redistributrices, le don ou le partage des richesses peuvent réduire le sentiment de clivage social – de frontière. Mais lorsque la part réservée à l’élite devient trop inique, alors la malédiction se réveille. Tout commence avec douceur, néanmoins. Tant que nous sommes tous persuadés de pouvoir faire un jour faire partie de cette élite, l’excès reste un objet de désir. Lorsque l’on se parle d’ascenseur social ou de croissance, les belles marques sont un horizon qui nous anime, nous motive, nous montre le chemin. Cette marque d’ordinateur dernier cri, ce tee-shirt siglé d’une cool brand, ce parfum qui me rend singulier, voilà qui justifie mon effort, me conduit à rester un « agent productif ». Mais lorsque tout se grippe, lorsque l’excès devient scandaleux, la marque coupable et l’élite l’ennemie – alors se réveille la part maudite de notre économie.

En d’autres termes, lorsque l’on est certain que les promesses de la consommation ne seront pas tenues, car inaccessibles (parce que l’offre est trop chère, trop compliquée à obtenir, trop difficile à décrypter), les marques deviennent source de frustration et réveillent la rancœur. On se rappelle les vitrines de Chanel, de Cartier ou de Louis Vuitton, barricadées et bariolées d’insultes lors des mouvements de révolte de 2019 et 2020, des Gilets Jaunes aux mouvements Black Lives Matter – protestations contre ceux qui dominent, ceux qui achètent, ceux qui peuvent. Cette bascule du désir à la frustration, ce passage de la marque qualifiée à la marque disqualifiante, s’agit-il de la destinée promise aux brands pour les prochaines années, destinée sombre et conflictuelle2 ? Bref, sommes-nous tous appelés à détester les marques ?

Ceci est un extrait de l’article paru dans le dernier numéro de la revue INfluencia, numéro 35, « Inspirations 2021 ». Pour accéder à l’intégralité de ce contenu , cliquez ici pour vous abonner ou acheter la revue (en version print et/ou digitale)

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