5 juillet 2020

Temps de lecture : 6 min

Didier Clain, artiste plasticien, nous emmène dans le monde artistique d’après avec l’ECV Digital

Les étudiants de l’ECV Digital confinés s’exposent virtuellement et proposent une expérience immersive inédite. Une manière de montrer aux yeux de tous le fruit de leur labeur, tout en développant leur réflexion personnelle sur le rôle de l’artiste dans un futur chaque fois plus numérisé. Un projet supervisé par Didier Clain, artiste plasticien et référent pédagogique de l’exposition.

Les étudiants de l’ECV Digital confinés s’exposent virtuellement et proposent une expérience immersive inédite. Une manière de montrer aux yeux de tous le fruit de leur labeur, tout en développant leur réflexion personnelle sur le rôle de l’artiste dans un futur chaque fois plus numérisé. Un projet supervisé par Didier Clain, artiste plasticien et référent pédagogique de l’exposition.

Chaque année les étudiants de Mastère Web Design de l’ECV Digital présentent leurs travaux de fin d’étude au travers d’une exposition d’art numérique. Dans le contexte du confinement, et suite à la décision du gouvernement de fermer les écoles privées jusqu’à la rentrée 2020, l’ECV a souhaité maintenir cet événement de fin d’année, mais de manière dématérialisée. Plus de 40 étudiants des campus de Paris, Bordeaux et Aix-en-Provence se sont donc penchés derrière leurs écrans sur la question « du monde d’après » et sur les solutions digitales pour le réinventer. Oui ! L’avenir n’appartient pas qu’aux éditorialistes et au personnel politique quinquagénaire.

Ces artistes en devenir ont dû répondre à diverses problématiques en lien avec les changements des modes de consommation et d’utilisation des outils numériques depuis le début du confinement, qui ont non seulement explosé mais aussi questionné leurs réelles fonctionnalités -visioconférences, mornings cafés, coronapéros virtuels…-. Quel monde pour demain ? Comment le télétravail prendra- t-il sa place dans les usages économiques futurs ? Que retenir de cette mise à l’arrêt « forcée » de nos vies quotidiennes et comment se projeter dans celles d’après ?

L’immersion comme mot d’ordre

Pour répondre à ces enjeux passionnants -on est bon clients-, les étudiants devaient explorer 4 thématiques qui constituent l’exposition Copy/Paste, à savoir « Art Numérique, une expérience numérique », « Une fenêtre ouverte sur le monde », « Domicile » et « S’acclimater ». Mais le but premier de l’exposition était bel est bien de déconstruire l’expérience classique que l’on peut avoir dans un musée, à savoir les visites ultra orientées par un livret ou un audio guide réglé comme sur du papier à musique. L’idée ici est de forcer le visiteur à l’immersion, lui permettre de se perdre dans la multitude d’oeuvres qui composent le site, toutes réunies selon leur thématique de départ mais jamais indissociables les unes des autres. Instant critique : le pari est réussi ! C’est un réel plaisir de découvrir ces oeuvres… par hasard… on errant de chapitre en chapitre à l’aide des flèches directionnelles de son clavier jusqu’à ce que l’une d’elles nous parle. D’ailleurs, voyez vous même : pour tenter l’expérience, c’est par ici !

Comme on voulait en savoir toujours plus sur cette initiative qui tombe à pic, nous avons interviewé Didier Clain, artiste plasticien et référent pédagogique de l’exposition. À lui de nous dire quel sera le rôle de l’art numérisé dans le monde de demain.

IN : avec le recul, quel est votre ressenti sur l’organisation, si particulière, de cette édition 2020 ?

Didier Clain : elle était avant tout nécessaire. On a senti dès le début du confinement qu’il fallait s’adapter, surtout dans un contexte de web design. Cette organisation était donc cohérente.

IN : comment les étudiants se sont adaptés à cette nouvelle manière de fonctionner ?

Didier Clain : de manière générale, tout s’est très bien passé. On avait quelques étudiants frustrés de voir leurs plans initiaux tomber à l’eau et d’avoir à s’adapter sur le fil, mais malgré toutes ces contraintes, ils ont eu la chance de confronter leurs oeuvres à un public même si le dispositif a été  différent des années précédentes. Pouvoir s’exposer est un luxe, alors que dans leurs cas on était plus dans l’action… et la réaction : « je suis chez moi en télétravail, je vais donc devoir télé-exposer en trouvant de nouvelles manières de produire, de communiquer avec mes outils ». Ils ont été très généreux dans leur travail.

IN : quel était votre objectif en tant que référent pédagogique ?

Didier Clain : je voulais créer plus qu’un simple espace d’exposition à usage unique. L’idée était de produire une sorte de grand book collectif qui pourrait perdurer. L‘avantage d’un dispositif virtuel est d’être modulable et expansible à l’infini, là où les musées sont fortement limités dans leurs propre espace. Nous pouvons agrandir le site en quelques clics et ainsi accueillir une infinité d’oeuvres, alors que faire agrandir une galerie est tout de suite beaucoup plus compliqué et onéreux (rire). Cela est d’autant plus cohérent que ce site est pensé depuis le début comme une cartographie maritime, et donc la découverte d’un monde nouveau qui n’a pas encore dévoilé tous ses secrets. Même si l’année prochaine on s’orientait sur un autre projet, nous aurions toujours cet espace infini à réactiver au moment opportun.

IN : pourquoi l’exposition s’appelle-t-elle copié/collé ?

Didier Clain : derrière cette expression, si évidente aujourd’hui, se trouve l’idée de transposer des éléments d’un univers à un autre, des univers auxquels on n’a parfois pas accès de suite. Mais il est également question de se réapproprier les espaces intimes. Il y a une forte symbolique avec le passage de la vie privée à la vie publique quand un artiste partage son oeuvre à son auditoire : « qu’est ce que je révèle de moi, qu’est ce que je choisis de montrer ». L’expérience numérique permet cette multi-lecture.

IN : vous avouez vous être inspiré du Dogme 95, un mouvement cinématographique iconique des années 90. Un parallèle qui peut paraitre surprenant quand on sait que leurs membres tentaient justement de s’extirper des artifices technologiques de leurs temps. Pouvez vous nous en dire un peu plus ?

Didier Clain : je me suis beaucoup servi de cet exemple pour faire comprendre notre protocole à nos jeunes artistes. Ces derniers, qui viennent tous du design, devaient se confronter à la création artistique pure, ce qui induit forcement un positionnement différent vis à vis de leur recherche, de leur utilisation des outils numériques. Le dogme était une référence pour leur faire comprendre que la création peut passer par la limitation des moyens. Quand on cherche à s’exprimer en créant une oeuvre d’art, on peut vite se laisser griser par une trop grande liberté d’action. Le message était qu’on peut aussi produire par soustraction.

IN : jusqu’à quel point un artiste peut interagir virtuellement avec son audience sans se déshumaniser, sans perdre son empathie ?

Didier Clain : cette notion d’empathie existe aussi via l’utilisation du numérique. Beaucoup de nos étudiants en ont déjà une utilisation quotidienne. Ils ont déjà eu cette prise de conscience sur cette forme d’altérité numérisée qui s’intéresse à ce que qu’ils postent, like(nt) etc. La rencontre avec le spectateur est dématérialisée, certes, mais tout de même existante, et notre exposition en tire profit au maximum. Pour autant, le confinement a révélé un rapport particulier à la solitude lié à cette société numérique. En l’occurrence, l’artiste confronté à sa propre solitude. Mais cette problématique était déjà explorée en long et en large du temps des romantiques. Elle est donc pleinement encrée dans l’histoire de l’art. Rien de nouveau sous le soleil.

IN : selon vos propres mots, le concept de « société liquide », développée par le sociologue Zygmunt Bauman pour parler du flux incessant de la mobilité et de la vitesse, caractéristique de notre modernité, où les relations humaines deviennent flexibles plutôt que durables, se trouve au coeur de cette démarche artistique. Pensez vous que la sacralisation d’une telle société est compatible avec l’urgence écologique ?

Didier Clain : la question demande réflexion ! (rire) … Selon moi, le monde de demain va être un univers ou le microcosme va prendre le dessus sur le macrocosme. Sans parler de société nombriliste qui va se débarrasser progressivement de ses utopies, on est tous dans une réflexion qui nous pousse à consommer en circuit court, mettre en place des initiatives de voisinage… Mais cette réflexion se fait par passerelles avec d’autres sociétés et civilisations. On pourrait presque parler de nouvelle mondialisation : plutôt que d’avoir un modele unique, on aurait plusieurs entités, à savoir des instances locales mais parallèles. Une fragmentation, certes, mais qui ne nous isole pas.

IN : le mouvement, qui grandissait depuis plusieurs années, pour un droit à la déconnexion est-il définitivement mort ?

Didier Clain : oui, certaines start up ont bel et bien abusé des outils de tracking. Mais il ne faut pas pour autant tomber dans une société de contrôle. La déconnexion doit rester un choix personnel, et nous devons continuer à voir les outils numériques comme des parties prenantes de notre évolution. Si l’on se déconnecte c’est pour un bien être personnel et non pour le compte d’une société ou d’un gouvernement.

IN : le confinement n’était-il pas finalement une aubaine pour les expérimentations artistiques et pour une relation artiste/public renouvelée ?

Didier Clain : complètement. Si l’on s’est autant investi c’est qu’on voyait le projet comme une passerelle vers de nouvelles expériences. Un sentiment également tangible dans les discours du jury : personne n’avait l’impression de se substituer à une idée avortée, mais bien de créer quelque chose de nouveau.

IN : d’un autre coté, le danger d’une culture de plus en plus dématérialisée n’est-il pas d’aggraver la fracture numérique en laissant de coté toute une partie du public ?

Didier Clain : on peut transposer cette problématique au passage entre l’art moderne et l’art contemporain, qui avait déjà laissé de coté toute une frange de la population dans les années 50. Il y a simplement des personnes qui n’arrivent pas, ou pire, qui ne veulent pas s’adapter. C’est un effort d’apprécier l’art. Pour nos futures productions, il faudra une vraie cohabitation entre virtuel et physique, quelque chose que l’on ne pouvait malheureusement pas mettre en place en cette année particulière. Rendez vous l’année prochaine…

 

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