9 novembre 2020

Temps de lecture : 5 min

Sonia Sieff : « En ne communiquant pas, l’industrie du luxe est en train de créer une génération d’artistes qui ont peur. »

Tandis que son court métrage, Camera Obscura co-réalisé avec Mary Noëlle Dana parcourt les festivals, la photographe-réalisatrice, Sonia Sieff confie la difficile condition des artistes français, considérés comme inessentiels par le gouvernement et juge l’industrie du luxe irresponsable de ne pas communiquer par ces temps de crise. Interview cash avec l’auteure de l’ouvrage "Les Françaises" et photographe convoitée dans les univers de la mode et du luxe.

Tandis que son court métrage, Camera Obscura co-réalisé avec Mary Noëlle Dana parcourt les festivals, la photographe-réalisatrice, Sonia Sieff confie la difficile condition des artistes français, considérés comme inessentiels par le gouvernement et juge l’industrie du luxe irresponsable de ne pas communiquer par ces temps de crise. Interview cash avec l’auteure de l’ouvrage « Les Françaises » et photographe convoitée dans les univers de la mode et du luxe.

INfluencia : depuis notre dernier entretien (2018) Metoo est passé par là, cela confirme votre regard féministe ?

Sonia Sieff : mon regard féministe a toujours été là, conforté par cette vague post-metoo et les abus perdurés depuis des siècles. Je suis heureuse et soulagée que le train soit en marche, et d’en être, à bord.

IN. : comment expliquez-vous que ce soit surtout des jeunes femmes qui aient parlé ?

S.S. : cela me semble assez logique. Les jeunes femmes d’aujourd’hui n’ont pas peur, ont envie de rétablir l’équilibre et les droits de TOUTES les femmes. Nos mères ont été élevées dans des rapports totalement inégaux avec les hommes, déjà, pour la plupart, dépendantes d’eux financièrement. C’était aussi une génération en plein essor, au lendemain des guerres d’indépendance. Les femmes se sont battues pour leurs droits fondamentaux, le droit à l’IVG, le droit de vote, ne serait-ce que pouvoir ouvrir un compte en banque (1965!).. Donc nous en étions aux balbutiements. Et les mouvements féministes sont venus des Etats Unis d’abord, comme c’est le cas aujourd’hui. La France est à la traine… et certaines femmes qui prennent la parole ici, réclamant cet ahurissant « droit d’être importuné » ne prennent pas en compte la voix de nos soeurs, des femmes qui n’ont pas autant de chance qu’elles, et pour lesquelles, être importuné, ne se résume pas à être draguée à la terrasse du café de Flore…

IN. : comment expliquez-vous ce droit d’être « importune é», justement?

S.S. : nous, Françaises sommes encore les seules à placer le talent au-dessus du harcèlement ou du viol. Parlez de Balthus et aussitôt on vous rétorque talent, David Hamilton, pareil, Polanski, idem. L’exceptionnel talent, les magnifiques oeuvres ne donnent pas tous les droits. Nous avons quarante ans de retard par rapport aux Américaines.

IN. : il y a une ambiance « anti-mecs » qui circule, non… ?

S.S. : je ne suis pas d’accord, il y a une redéfinition des rapports Femme / Homme. Les droits des Femmes, des minorités passent toujours par une révolution, qui peuvent être entendues comme « anti ». Mais ce n’est pas le cas. Les féministes aiment les hommes et ce n’est pas le sujet. Certains hommes éveillés se réclament aussi féministes. Nous sommes simplement entrain de rétablir la balance. Tout commence et passe par l’éducation qui est essentielle. Nous, parents, leur transmettons nos valeurs, nos combats, notre langage. J’ai la chance d’avoir une fille et un garçon que j’élève de la même manière, en essayant d’être vigilante sur tout, de les éveiller, et surtout de ne rien lâcher.

IN. : avez-vous été confrontée à des violences dans le milieu professionnel que vous fréquentez?

S.S. : oui. À des abus de pouvoir constamment. Le chanteur verreux qui vous donner rendez-vous à 1 heures du matin dans sa chambre d’hôtel, vête d’un peignoir et qui vous demande c’est quoi le programme maintenant, une fois que vous lui avez montré votre book pour faire un clip, j’ai donné… Je suis repartie et je n’ai pas eu le boulot. Oui, des personnes qui ont abusé de leur position pour me draguer, il y en a eu, et mes refus ont provoqué mon renvoi, sur certains jobs.

IN. : après metoo, très vite il y a eu la Covid, comment avez-vous vécu cette année étrange?

S.S. : c’est une période de remise à zéro des compteurs, de tris, de rapprochement aussi. Cela me convient très bien de voir comment les êtres réagissent face à la peur, dans un contexte de crise : ceux qui continuent, ceux qui doutent, ceux qui flanchent.. Le principal étant de s’interroger et de transformer nos émotions artistiquement.

IN. : pour certains l’activité s’est arrêtée ou ralentie, est-ce difficile d’être une artiste ?

S.S. : j’aime les nouveaux territoires, je n’aime pas les systèmes, donc cette période quoique difficile, m’est bénéfique. J’ai avancé sur mes projets personnels essentiels. Ce que je déplore c’est la posture de l’industrie du luxe qui est entrain de créer une génération d’artistes qui a peur. Cette industrie a une responsabilité. C’est toute une chaine économique qui vit derrière une campagne de communication. Des intermittents qui ne sont pas protégés et qui sont, entrain pour certains, plus fragiles que d’autres, de sombrer. Je suis d’accord pour communiquer autrement, pour consommer autrement, je le fais depuis dix ans. Mais le luxe ne joue pas le jeu, continue à vouloir générer des marges insolentes, à se gaver, à vouloir vivre selon les règles de l’ultra-capitalisme et ce n’est plus viable aujourd’hui.

IN. : le luxe qui continue à préférer les artistes étrangers…

S.S. : oui cela fait partie de la mentalité française, du snobisme de cette industrie : le talent est forcément ailleurs… Les photographes anglais, les coiffeurs anglais, les stylistes anglais, on n’en peut plus… Des artistes talentueux en France il y en a partout… J’ai beaucoup de compassion pour les fragiles, les poètes, ceux qui sont perdus face à un monde qui va droit dans le mur s’il ne se réinvente pas… Je suis une guerrière et je n’ai pas peur, j’ai été élevée pour me sentir confortable dans l’inconfort, la difficulté, mais quid de ceux qui ont du mal à s’adapter ?

IN. : avez-vous le sentiment d’être privilégiée?

J’ai le nom que j’ai, je ne vais pas m’en plaindre, mais je me bats tous les jours, parce que je travaille comme une acharnée, ne bénéficiant pas d’aides. Donc non, je pense être hélas, au coeur de ce qui nous attend tous, et toutes. Des professions artistiques, très durement touchées considérées comme inessentielles par nos gouvernements.

IN. : les livres cristallisent beaucoup de colère autour de l’interdiction pour les libraires d’ouvrir leurs boutiques, pourquoi les livres ?

S.S. : c’est un symbole pour la France. Le pays des Lumières. L’accès à la culture. Nous devons leur permettre d’ouvrir, au même titre que les maraichers. La nourriture est également spirituelle.

IN. : vous évoquiez il y a deux ans votre envie de réaliser… Où en êtes-vous?

S.S. : cela fait 10 ans que j’y travaille, nous avons coréalisé notre court métrage avec Mary Noelle Dana, Camera Obscura, justement sur le monde du luxe et du féminisme. Nous travaillons à l’écriture du long… Mais je ne peux pas en dire plus… (NDLR, Cléo, féministe convaincue, travaille dans une boîte de catering pour payer ses études. Engagée sur un shooting de mode par l’équipe d’Alice Klein, photographe mondialement connue, Cléo se voit contrainte, sous peine de perdre son job, de remplacer au pied levé la mannequin qui ne convient pas).

Les ouvrages photographique, Les Françaises, tome 1 et 2.

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