27 novembre 2023

Temps de lecture : 3 min

Foules sentimentales

La créativité est-elle le propre de l’homme ? Pas sûr… L’avènement programmé de l’intelligence artificielle générale vient menacer cet ancien monopole humain. Aujourd’hui déjà, les plateformes de génération graphiques comme Midjourney et Dall-e sont capables d’ingérer des terabytes d’informations et de les restituer de façon plus ou moins inspirée. Un article d’Emnanuel Durand à retrouver dans la revue 44 d’INFluencia.

Les premières œuvres générées par IA apparaissent dans les concours internationaux, déclenchant des débats enflammés sur leur légitimité artistique. Privées de conscience, les machines peuvent-elles capter l’essence de l’humanité et l’exprimer de façon convaincante ? Ainsi, un groupe de chercheurs américains a décrit les LLM (Large Language Models) comme des « perroquets stochastiques », c’est-à-dire des systèmes probabilistes produisant l’apparence de l’intelligence, sans en posséder les attributs (conduisant Sam Altman,  le cofondateur d’Open AI, à tweeter ironiquement juste après la sortie de Chat GPT « I am a stochastic parrot, and so r u », pour pointer les similarités qu’il attribue à la façon dont fonctionnent les réseaux neuronaux et l’esprit humain). On peut cependant s’attendre à ce que la qualité des réponses de l’IA progresse au point que des pans entiers de ce qui jusqu’à présent nous était réservé, se trouvent progressivement colonisés par des machines, remettant potentiellement en cause jusqu’à la structure même de la société. 

Cette menace existentielle ne découle-t-elle pas de notre propre conception cartésienne de ce qui définit l’homo sapiens ? Alors que les machines attaquent les dernières digues de la suprématie intellectuelle de l’homme sur le monde, l’humain se met à se demander si, vraiment, je pense, donc je suis ? On commence donc à voir des tentatives de plus en plus réussies de créations dans le domaine artistique, même s’il manque à celles-ci une vraie capacité de rupture pour en faire des œuvres d’art. Les outils actuels, permettant de produire une réponse moyenne sur la base d’un corpus de training data, sont construits pour optimiser au sein d’un système existant, et ne peuvent pas s’en libérer. La dimension transgressive, disruptive, des œuvres majeures ne sera pas atteinte par un changement de niveau des technologies existantes, mais de nature. C’est ce que retranscrit très bien l’acteur, réalisateur, producteur Alexandre Astier lorsqu’il explique : « Ce qui me bouleverse dans les œuvres, c’est de savoir que celui qui l’a fait a eu besoin de le faire. Si personne n’a eu besoin de le faire, ça m’intéresse moins. (…) Un ordinateur, c’est un sachet d’interrupteurs ; ce n’est jamais que des choses qu’on éteint et qu’on allume. Elles n’en ont rien à foutre de la souffrance les IA, elles n’en ont rien à foutre de l’identité, de la survie, du doute et de la frustration. »

Une IA peut donc parvenir au même niveau de maîtrise technique que Van Gogh, sans doute, mais aucune machine ne ressent le besoin vital de transcender sa souffrance existentielle en peignant des tournesols ou un ciel étoilé. Notre identité tient donc moins dans nos capacités de raisonnement que dans la conscience de notre condition de mortels : je souffre, donc je suis, cette condition bien connue de tous les artistes, comme de Nicolas de Staël qui déclare : « Toute ma vie, j’ai eu besoin de penser peinture, de voir des tableaux, de faire de la peinture pour m’aider à vivre, pour me libérer de mes impressions, de toutes les sensations, de toutes les inquiétudes auxquelles je n’ai trouvé d’autre issue que la peinture. »

C’est bien cette conscience partagée qui nous fait reconnaître l’universel dans une œuvre, nous ouvre à l’empathie et à la communion des sentiments. C’est ce qui nous pousse en masse à retourner dans les cinémas, malgré la somme d’inconvénients (ou frictions en terminologie startup) qui en ferait une expérience comparativement moins qualitative que de se faire recommander un film adapté à nos goûts individuels en moins de 2 minutes sur une plateforme de vidéo. C’est le partage de ces émotions qui les rend signifiantes, y compris avec des punaises de lit… 

L’intelligence artificielle générale ne sera finalement peut-être pas atteinte grâce à un niveau surhumain de raisonnement, mais en rendant nos machines conscientes de leur obsolescence programmée… Et pour paraphraser Souchon, à qui nous avons volé le titre de cet article :

On nous prend faut pas déconner dès qu’on est né

Pour des cons intelligents alors qu’on est

Des

Foules sentimentales

Avec soif d’idéal

Attirées par les étoiles, les voiles…

 

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