16 juin 2023

Temps de lecture : 4 min

Fériel Karoui (Whisperers) : « Le lien social se reconfigure par affinité et les marques l’on bien compris »

Pour l’édition 2023 du Campus TF1, qui s’est déroulée le jeudi 15 juin autour de la thématique « Ensemble, médias et marques au cœur du lien social », la cabinet Whisperers a conçu un cahier de tendances autour de cette notion. Sa fondatrice Fériel Karoui en détaille quelques grandes lignes.

INfluencia : pourquoi est-il important de s’intéresser au lien social, qui était au cœur du Campus TF1 de cette année et a fait l’objet du cahier de tendances que vous y avez présenté ?

Fériel Karoui : il est important et urgent de s’emparer de ce sujet car on vit, à l’échelle planétaire, dans des sociétés très divisées. On voit, par exemple avec les conflits sociaux, que l’on n’est pas tous d’accord sur des choses que l’on devrait avoir en commun et qu’il faudrait redéfinir ensemble. Des frictions entre les classes sociales, qui s’étaient pourtant apaisées depuis plusieurs décennies, reviennent avec dans les médias des notions de mépris de classe… On a de plus en plus de mal à sortir des « chambres d’écho » des réseaux sociaux, dans lesquelles on se regroupe entre personnes qui pensent la même chose et qui amènent souvent à considérer ceux qui ne pensent pas comme nous comme des ennemis. Cela commence dès l’école avec le harcèlement scolaire qui se traduit par des drames. La manière de s’adresser aux autres et d’envisager la cohésion sociale sont totalement à revoir car il y a un problème dans la tolérance et le vivre ensemble. Il ne faut pas confondre hyper-individualisme avec liberté individuelle. Ne miser que sur l’hyper-individualisme nous amènerait à perdre nos libertés individuelles alors que l’enjeu final reste quand même de préserver nos démocraties. Pour les marques et les médias, l’hyper-segmentation peut aussi amener à perdre l’objectif du grand public.

Il ne faut pas confondre hyper-individualisme avec liberté individuelle. Ne miser que sur l’hyper-individualisme nous amènerait à perdre nos libertés individuelles

IN : vous dites que les liens sociaux se reconfigurent. De quelle manière ?

F.K. : les piliers du lien social sont en train de changer. La famille reste un socle fort mais certains, dans les jeunes générations, n’envisagent pas de faire d’enfants. Dans le futur – et parfois déjà aujourd’hui – on sera davantage sur des liens choisis que des liens de filiation. Le travail est en crise, pas seulement parce que le télétravail offre moins d’occasions de se socialiser, mais aussi par le sens qu’on lui donne. Le travail devient un moyen plus qu’une fin, ce qui amène à se recentrer sur l’aspect transactionnel et à se désengager de tout ce qui est team building et afterworks. Les liens de services que l’on pouvait se rendre les uns aux autres se transforment aussi. On est certes parfois obligé de déléguer une partie des services pour des raisons d’éloignement, mais on a de plus en plus tendance à payer des gens qui nous rendent un service (déménagement, garde d’enfant…), ce qui annule le lien de réciprocité qui contribuait au lien social. Aujourd’hui, le lien se reconfigure par affinité et les marques l’ont bien compris. La plupart d’entre elles segmentent moins par catégorie socio-professionnelle, âge ou géographie mais plus par affinité, croyances, passions… Leur segmentation réunit des consommateurs qui peuvent être très hétérogènes dans leurs cultures mais qui seront regroupés par affinités de valeurs.

La segmentation des marques réunit des consommateurs qui peuvent être très hétérogènes dans leurs cultures mais qui seront regroupés par affinités de valeurs

IN : pour recréer du lien et des références communes, faut-il trouver des points d’attaches entre les communautés ?

F.K. : il y a plein de solutions. Par exemple réunir les mêmes personnes au même endroit et au même moment, ce que ne permettent pas les réseaux sociaux. Quand une personne est en face de soi, la dynamique change. Au moment où les cafés, les discothèques et les bancs publics tendent à disparaître, les tiers lieux et les salles de sport peuvent prendre le relais, tout comme les marques – 1664 a créé à Paris un « atelier » qui joue aussi ce rôle de tiers lieu -, l’important étant de réussir à s’ouvrir suffisamment pour ne pas limiter la fréquentation à une communauté qui reproduise les inégalités et l’entre-soi.

IN : quel rôle jouent plus particulièrement les médias dans ce lien social ?

F.K. : la télévision reste un espace ouvert et accessible à tous. Les grands événements comme le sport ou encore la fiction ouvrent le dialogue à la machine à café ou au bureau. La fiction est un bon moyen de mettre en scène des façons d’être différentes, de donner d’autres points de vue ou de mettre en avant des personnes qui ont des vies ou des idées différentes. Pour les marques, s’adosser à des produits culturels est aussi un moyen de développer un lien affectif et d’être dans une projection avec le public. Saint Laurent a créé une maison de production pour le cinéma et conçoit les costumes des films qu’elle produit, comme avec Strange Way of Life de Pedro Almodovar. Le site de Chanel connaît des pics de fréquentation de 30 % après des apparitions de ses vestes dans Emily in Paris. La série La Chronique des Bridgerton a aussi relancé les recherches autour de la mode victorienne…

IN : qui sont les bons « passeurs » pour créer du commun et de l’altérité ?

F.K. : Les marques peuvent contribuer à créer de l’altérité, par exemple en créant des podcasts ou en nous ouvrant à d’autres artistes et à d’autres façons de penser que ce que l’on trouve sur les réseaux sociaux. Les artistes aux larges audiences sont aussi des relais pour ouvrir les chakras culturels comme la chanteuse Dua Lipa qui promeut des livres sur ses réseaux sociaux et redonne aux gens qui la suivent le goût de la lecture. Une agence d’événementiel en Suède propose des billets de spectacles à gratter et on ne sait pas quel artiste on va aller voir, ce qui peut ouvrir les goûts et permettra d’être dans une salle de concert avec des gens qui ont eu la même curiosité. Les marques qui arrivent à créer un imaginaire collectif et des référents communs permettent aussi aux consommateurs de parler d’elles.

IN : vous notez aussi l’importance de ne pas trop se définir car « car se définir c’est se finir »…

F.K. : avoir une image bien définie de soi consiste à mettre un pré carré autour de soi alors que l’on est tous complexes. Si on s’ouvre à la rencontre de l’autre, on peut être surpris et découvrir des facettes de soi que l’on n’avait pas forcément envisagées. Les marques non plus ne doivent pas trop se définir. Même sur un produit classique, on a toujours une surprise à découvrir, un peu à la manière dont on entretient une relation amoureuse. On a besoin de montrer de grandir et d’évoluer ensemble pour créer un lien de filiation fort.

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