21 juin 2016

Temps de lecture : 5 min

Il faut sauver les soldats régies

Pour les régies de pub TV, la menace Facebook et Google pointe à l'horizon. La poussée du trading desk dans les agences accroit la pression sur le régies pour répondre à une nouvelle demande. La programmatique dans la TV linéaire, c'est pour demain. Comment et pourquoi ? INfluencia a voulu comprendre en conversant avec FreeWheel, pendant les Cannes Lions.

Pour les régies de pub TV, la menace Facebook et Google pointe à l’horizon. La poussée du trading desk dans les agences accroit la pression sur le régies pour répondre à une nouvelle demande. La programmatique dans la TV linéaire, c’est pour demain. Comment et pourquoi ? INfluencia a voulu comprendre en conversant avec FreeWheel, pendant les Cannes Lions.

En ce bas monde, tout peut s’acheter comme dirait l’autre. Même bientôt des publicités en programmatique sur des programmes de TV linéaire, cette télévision à la papa à laquelle Reed Hastings, fondateur de Netflix, prédit une disparition dans les vingt prochaines années. Cette vision d’une télé-web personnalisée affranchie des grilles de programmes et consommée à la carte et à la demande, NBC Universal la partage sûrement. Inauguré l’année dernière, un an après avoir rendu disponible son inventaire vidéo digital et son display à la programmatique, NBCUx n’est plus, depuis ce printemps, l’apanage du digital. Dans une extension annoncée officiellement, le 24 février, l’utilisation de la data et de l’automation s’ouvre donc au portefeuille de TV classique du groupe propriété à 100% de Comcast.

Rachetée en 2014 par le premier cablo-opérateur nord-américain, FreeWheel se définit comme une plateforme agnostique de pub TV premium. Aux Etats-Unis, 90% des régies TV sont ses clients. Débarquée en Europe depuis deux ans, elle revendique une mission assumée : créer une chorégraphie des expériences publicitaires TV qui vont éviter que Google et Facebook entrent trop rapidement en concurrence avec les régies TV. L’explication ? Comcast est une grosse régie TV, tout simplement. Il s’agit pour FreeWheel de protéger l’écosystème de sa maison mère.

Le défi est de taille et explique le récent rachat de la start-up française, Sticky Ads. La nouvelle offre doit permettre aux régies de créer le package obligatoire des expériences digitales et linéaires capable de façonner une expérience globale réunifiant toutes les ventes qui jusque-là se faisaient en silos. En lançant outre-Atlantique le think-tank, Council for Premium Video, rassemblant ses 28 clients continentaux, ceux là même qui n’ont pas voix au chapitre de l’IAB, FreeWheel entend détruire le mur qui sépare encore les besoins des régies TV de la programmatique.

Alors que la mutation des régies et des agences médias reconstruit des modèles économiques encore en gestation, INfluencia a voulu comprendre les pourquoi et comment de la chorégraphie publicitaire vendue par FreeWheel. La tendance est censée sauver les régies des vampires Google et Facebook. Lundi aux Cannes Lions, nous nous sommes donc assis avec Thomas Bremond, Managing Director Europe.

INfluencia : première question d’intérêt pédagogique général : derrière les mots « agnostique » et « holistique » que Freewheel associe à ses services, il se cache quoi exactement ?

Thomas Bremond : il faut déjà rappeler en premier lieu ce qu’est exactement le marché de la vidéo TV premium. Il s’agit en l’occurrence des vidéos produites de manière professionnelle, avec des droits attachés et qui s’intègrent dans un inventaire publicitaire limité, contrairement au display. Pour faire simple, c’est le milieu de la TV dans tous ses écrans. Nos clients potentiels sont donc uniquement les grosses régies des chaînes TV et quelques pure-players digitaux qui créent des offres premium. Il faut savoir que sur le web les règles qui cloisonnent la pub TV n’existent pas : si tu veux mettre de la pub toutes les 3 minutes, tu peux.

Evidemment ce n’est pas une bonne chose. Il y a donc pour les régies un besoin de chorégraphier l’expérience utilisateur en utilisant les outils qui sont à leur disposition. C’est là que nous intervenons, en recréant de l’expérience publicitaire autour du contenu de longue ou moyenne durée en fonction de trois paramètres : le type de contenu, le type de device et le type audience. Avec notre propre technologique nous sommes capables d’intégrer tous les types de format existants et donc de répondre à une nouvelle demande des régies. Depuis deux ans, la volonté des agences d’automatiser leurs achats d’espace par le Trading Desk a accru la pression sur les régies TV. La programmatique dans sa forme la plus pure, c’est du RTB or celui-ci ne connait pas les règles de la TV. Cela a donc pris du temps de penser une approche globale de l’écran de pub TV, d’abord sur le catch-up, le replay et le VOD avant que ça n’arrive sur le linéaire.

IN : quand NBCUx ouvre une partie de son portefeuille linéaire à la programmatique, même pour quelques annonceurs seulement, construit-elle le futur inévitable de la pub TV dans les deux ans ?

T.B. : si on parle de la personnalisation de la pub en utilisant la data collectée par les différentes régies et les divers opérateurs avec une automatisation du processus, alors la réponse est oui. Si, en revanche, on parle de RTB, alors c’est non. Vous êtes dans le juste si vous évoquez l’avenir à deux ans en parlant de l’anticipation par NBC et d’autres acteurs de l’utilisation de données collectées via leurs plateformes pour augmenter leurs revenus par impression.

IN : ce « non » pour le RTB est définitif parce qu’il n’est simplement pas compatible avec la pub TV linéaire ?

T.B.: le RTB est possible mais avec un certain nombre de garde-fous, que nous sommes justement en train de construire avec Sticky Ads. Cette mission est dans notre ADN et nos clients s’attendent à ce qu’on les aide à anticiper ce modèle.

IN : justement en dehors de vos seuls clients, comment jugez-vous la demande des régies : elles paniquent ou sont encore dans l’anticipation nécessaire sans urgence immédiate ?

T.B. : juste pour vous donner un chiffre, l’an passé 3% des volumes TV étaient transférés en programmatique contre 5% cette année. Nous en sommes encore au début mais les régies commencent à avoir de plus en plus de demandes des agences pour répondre à ces besoins. Il faut donc qu’elles passent le pas et le rachat de Sticky Ads par FreeWheel est une réponse à cette demande.

IN : estimez-vous participer à la création d’une nouvelle complémentarité entre linéaire et digital ?

TB : cette complémentarité devient de plus en plus évidente. Sky, un de nos clients au Royaume-Uni, a lancé sa propre technologie : AdSmart. Sur certains spots en particulier en linéaire, celle-ci offre la possibilité de switcher en fonction d’une demande personnalisée. Sur le flux linéaire livré dans la box sur nos chaînes, l’annonceur peut remplacer un ou deux spots par tunnel publicitaire par une pub spécialement adressée à sa cible. Si vous habitez, par exemple, à Manchester dans tel quartier et qu’un concessionnaire local -Jaguar ou Range-Rover- veut vous cibler, il aura la possibilité de vous mettre une pub personnalisée complémentaire avec le spot global du même annonceur diffusé juste avant.

L’annonceur doit donc créer une combinaison entre sa pub nationale gros budget et un spot personnalisé uniquement local, chaque pub ayant un but différent. Depuis deux ans, AdSmart fonctionne vraiment bien puisque plus de 50% des annonceurs qui l’utilisent n’avaient jamais fait de pub TV linéaire avant. C’est quand même un embryon de révolution et il y a une vrai question pour les chaînes : j’y vais ou je n’y vais pas… Pour répondre à la question, il faut se situer dans le rapprochement des ventes TV et numériques. Les annonceurs qui pensaient TV pensent maintenant aussi digital et vice versa.

IN : n’avez-vous pas peur à long terme de tuer le produit en le rendant perméable aux excès publicitaires qui sur le digital ont provoqué la lassitude incarnée par le ad-blocking ?

T.B. : c’est une vraie question. Aujourd’hui une grande partie du travail que nous faisons avec nos clients est de leur dire de faire attention au nombre de publicités qu’ils mettent par flux. Il y a deux ans certains en plaçaient entre 15 et 20 sur un programme de 48 minutes, depuis ils sont revenus à moins de 10. Pourquoi ? Parce que l’annonceur gagnera plus d’argent avec 20 publicités mais il aura perdu la moitié de l’audience à la moitié du programme. C’est là que la chorégraphie de l’expérience publicitaire que nous mettons en place pour les régies entre en compte.

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