27 septembre 2020

Temps de lecture : 8 min

La fast fashion peut-elle devenir éthique?

Lorsque le prêt-à-porter s’est fait cannibaliser par la « fast fashion » dans les années 2000, l’industrie du textile a obtenu sa place sur le podium des fléaux écologiques et sociaux de notre temps. Aujourd’hui, alors que la biodiversité s’effondre et que les délocalisations asservissent les perdants de la mondialisation, les géants de la mode retaillent dans le paradigme pour rentrer dans une ère nouvelle éthique et durable.

Lorsque le prêt-à-porter s’est fait cannibaliser par la « fast fashion » dans les années 2000, l’industrie du textile a obtenu sa place sur le podium des fléaux écologiques et sociaux de notre temps. Aujourd’hui, alors que la biodiversité s’effondre et que les délocalisations asservissent les perdants de la mondialisation, les géants de la mode retaillent dans le paradigme pour rentrer dans une  ère nouvelle : éthique et durable.

Il est aujourd’hui de notoriété publique que l’industrie de l’habillement produit des effets hautement préjudiciables sur le vivant. On sait qu’un jean nécessite 7500 litres d’eau en moyenne pour être fabriqué – soit ce qu’un être humain boit en sept ans –, qu’il voyage en avion jusqu’à 65 000 km lors de son assemblage et qu’il libère au cours de son lavage des milliers de particules de micro-plastique qui asphyxient les océans. On sait également que le polyester – matériau privilégié pour son coût et sa résistance – dévore 48 millions de tonnes de pétrole chaque année et, qu’au total, l’ensemble des matériaux utilisés dans la fabrication textile mondiale (coton, polyester, acrylique…) produit 1,2 milliard de tonnes ce CO2 par an, l’équivalent de l’émission annuelle de la Russie. Face à ces chiffres implacables, les acteurs du textile se mobilisent pour réduire leur impact et faire coïncider leurs pratiques avec les exigences sociales et environnementales du XXIème siècle.

« Le meilleur policier, c’est le consommateur »

Le 23 août 2019, ils sont 32 géants de la mode, dont H&M (Cos, & Other Stories) et Inditex (Zara, Bershka, Pull & Bear…), à signer le Fashion Pact, une série d’engagements qui vise à protéger le climat et la biodiversité par le recours à 100 % d’énergies renouvelables d’ici à 2030 et une émission neutre de CO2 d’ici à 2050. Des mesures collectives fortes, mais non contraignantes, car « dans la mode, le meilleur policier, ce n’est pas un État c’est le consommateur », souligne Marie-Claire Daveu, directrice du développement durable de Kering. Pour favoriser la transition volontaire des entreprises, de nombreux acteurs ont en outre mis en place des outils d’accompagnement. La Fédération française du prêt-à-porter féminin propose ainsi «un guide sur les approvisionnements responsables pour identifier les risques», explique son président Pierre-François Le Louët. « Cela permet de faire un état des lieux d’une marque (matériau, transport, logistique) et de lui proposer des alternatives pour réduire son coût social, environnemental et animal».

Coton,  lin et polyester issus de filières durables d’ici à 2025, pour Inditex.

Un accompagnement qui pousse les leaders du secteur à s’engager à leur échelle. Le numéro un Inditex a ainsi annoncé durant l’été 2019 qu’il ne travaillerait plus qu’avec du coton, du lin et du polyester issus de filières durables d’ici à 2025. «Nous devons être une force de changement, non seulement dans l’entreprise, mais pour l’ensemble du secteur», déclarait alors le PDG du groupe Pablo Isla dans un communiqué. Pour autant, sa filiale Zara renouvelle les rayons de ses 5500 magasins toutes les deux semaines, soit vingt-quatre fois par an. Un record mondial que l’homme d’affaires assume : « Je ne pense pas que nous produisions trop de vêtements», déclare-t-il au magazine Business of Fashion. Une position qui s’explique par le succès planétaire du groupe; selon une étude de Joko Insights via les données de son appli récoltées auprès de 80000 consommateurs de 18-30 ans, Zara est l’enseigne préférée des millennials en 2019, devant H&M. Pour autant, la friperie en ligne Vinted apparaît en troisième position, soulignant selon l’étude «deux tendances de mode diamétralement opposées chez les millennials : d’un côté l’indétrônable fast fashion, et de l’autre l’émergence d’une consommation alternative ».

L’espoir de la mode à louer

À l’inverse, le suédois H&M a développé assez tôt un tropisme éco-responsable. Dès 2010, l’enseigne développe ses collections Conscious avec des matériaux durables à partir de coton bio et de polyester recyclé. La marque s’est d’ailleurs engagée à transformer 100% de coton éco-res- ponsable avant la fin de la décennie et 100% de matériaux recyclés ou issus de filières recyclables d’ici à 2030 afin de tendre vers un système de mode circulaire. En parallèle, le groupe a annoncé fin 2019 que sa marque haut de gamme COS s’associait à YCloset, une plateforme de location de vêtements en Chine, dont «les investissements dans des technologies vertes sont en phase avec ce que nous souhaitons », explique Laura Coppen, madame développement durable chez H&M. Et dans cette veine, il expérimente également à Stockholm, au sein de son magasin amiral, la location aux membres de son programme de fidélité de vêtements « éco-responsables » issus des collections Conscious Exclusive.

Les Européens jettent 4 millions de tonnes de vêtements par an

«La location de vêtements est dans notre radar depuis un certain temps et nous pensons que c’est un modèle très pertinent à explorer. Cet usage nous permettra d’étudier les exigences des clients, le modèle commercial, le potentiel d’évolution et différents facteurs du développement durable», souligne Laura Coppen. Pour cause, les Européens jettent 4 millions de tonnes de vêtements par an. Bien qu’elle soit pour l’heure surtout l’apa- nage du luxe, la location de vêtements serait un moyen de réduire ce gâchis. Urban Outfitters s’est également lancé à l’été 2019 dans la location de vêtements avec Nuuly, sa plateforme qui permet d’emprunter six articles par mois pour moins de 100 dollars parmi une centaine de griffes. Dans le lot, les enseignes du groupe comme Free People et Anthropolo- gie, mais aussi de nombreuses marques vintage. «Nuuly cherche à s’adapter […] en donnant accès à une vaste gamme de produits, résolvant le para doxe de la quête des jeunes générations : une mode renouvelée en même temps qu’un mode de vie plus durable», commente le groupe dans un communiqué. Plus récemment, depuis avril 2020, Les Cachotières, après avoir proposé avec succès à ba&sh son service de location, entend développer Les Cachotières For Brands : permettre à chaque marque de lancer sa propre plateforme de location afin d’enrichir son modèle de distribution. Une aubaine pour les marques de pouvoir «proposer d’anciennes collections à la location, atti- rer une nouvelle clientèle sen- sible aux questions éthiques et s’inscrire dans une dynamique sociétale forte, tout en rédui- sant l’impact environnemental de leur activité», est convain- cue la CEO Agathe Cuvelier. Forte de ses valeurs éco-responsables, la mode locative a bel et bien le vent en poupe : selon Global Data Retail, la croissance de ce secteur augmente de plus de 20% chaque année. Le leader américain Rent the Runway est déjà valorisé à un milliard de dollars.

Les DNVB à la manœuvre

Un nouveau modèle d’entreprise est en train de disrupter le marché de la mode, les Digitally Native Vertical Brands (DNVB). Ces marques natives du digital, véritables pure players de la mode créés par et pour des jeunes, placent le local et le durable au centre de leur stratégie. Selon Viviane Lipskier, auteure de DNVB : les surdouées du commerce digital (Maxima Laurent du Mesnil Éd., 2018), ces jeunes pousses sont en train de «remodeler les standards du marché et de repenser toute la chaîne de valeur ». Nées dans les années 2010, elles ont intégré d’emblée les enjeux écologiques et sociétaux à leur stratégie globale. Pas de surproduction, une suppression des intermédiaires qui permet la transparence, et un engagement social et écologique porteur. En France,
le Slip Français et le lunetier Jimmy Fairly en sont devenus les parangons. Ce dernier propose ainsi des prix bas sans pour autant faire du low cost : des lunettes à moins de 100€, des verres français et une monture venue d’Italie. Idem pour le Slip Français, qui revendique une chaîne de production intégralement nationale. Un autre exemple, celui de la marque 1083, qui propose des jeans, t-shirts et baskets en coton bio conçus en France, soit à moins de 1083km de ses clients métropolitains, la distance qui sépare les deux villes les plus éloignées de l’Hexagone.`

La marque Reformation est emblématique du succès des DNVB

Outre-Atlantique, la marque Reformation est emblématique du succès des DNVB. Ce label californien, au slogan impertinent «Being naked is the #1 most sustainable option. We’re #2» , parvient à articuler fast fashion et éco-responsabilité avec brio. L’enseigne branchée a créé son unité de mesure RefScale qui permet de mesurer son impact sur l’environnement (CO2, eau, pro- duits chimiques…). La griffe composte et recycle par ailleurs près de 75% de ses déchets organiques et textiles. Depuis 2015, le label américain a également investi dans des projets de conservation et de restauration qui lui ont permis de compenser ses émissions d’eau et de déchets sur l’année en cours. En matière d’entreprise modèle, on peut également citer Stella McCartney, dont les collections sont composées à 75% de vêtements eco-friendly (coton écologique, viscose durable…). En janvier 2020, la créatrice éponyme a lancé le premier jean bio- dégradable fabriqué à base de plantes. Son tissu extensible sans micro-plastique pourrait être une solution viable pour enfin, épargner les écosystèmes marins.

Patagonia, la conscience et les actes

Au début des années 1970, Yvon Choui- nard, passionné d’escalade, mesure le désastre écologique de la grimpe aux États-Unis : fissure des roches, matériel laissé sur place… Soucieux de proposer une «grimpe propre», il crée en 1973 Patagonia, une marque de vêtements techniques avec une forte conscience écologique. Yvon Chouinard est lepremier industriel du textile à bannir en 1996 le coton traditionnel pour n’utiliser que du coton bio. La marque abandonne également la fabrication de pitons – dont elle est pourtant le leader mondial – pour les remplacer par de coinceurs en aluminium qui ne défigurent pas la roche. L’enseigne américaine s’engage par ailleurs dès 1986 à reverser 1 % de son chiffre d’affaires à des associations qui œuvrent concrètement à la préservation de la planète. Au fil des décennies, Patagonia ira jusqu’à réduire la gamme de ses produits quand tous ses concurrents augmenteront la leur. L’enseigne optera également pour une sobriété publicitaire, limitée à de rares campagnes militantes en faveur de la déconsommation. En plein Black Friday 2011, par exemple, elle achetait une pleine page de publicité au New York Times avec en guise de visuel une veste et ces mots : «Don’t buy this jacket». Patagonia a également lancé une plateforme activiste «Action Works », qui permet aux internautes de « trouver des ONG qui œuvrent sur des sujets qui leur tiennent à cœur à deux pas de chez eux», et en 2019 elle a ouvert un café « Action Works » à Londres. L’objectif de la marque est que ce mouvement devienne une plaque tournante pour tous les citoyens qui souhaitent nouer des liens avec les ONG, signer des pétitions, organiser des conférences sur l’en- vironnement, s’inscrire à des ateliers pour lutter contre la crise climatique, etc. L’attractivité de ces structures responsables ainsi que les nouvelles attentes des millennials incitent aujourd’hui les grandes marques de mode à réin- venter leur modèle.

La crise du Covid pourrait accélérer le mouvement…

La crise du Covid-19 pourrait également jouer le rôle d’accélérateur. La fast fashion, dépendante de circuits mon- dialisés, est contrainte de cesser intégralement sa production faute de distribution. «Il va falloir travailler’approvisionnement de la manière la plus flexible possible en mixant les circuits courts et le long terme, et ce quel que soit le niveau de gamme», explique Céline Choain, spécialiste du secteur mode et distribution au sein du cabinet Kea & Partners. La pandémie pourrait ainsi impulser un changement de modèle économique dont la norme ne serait plus le profit mais une approche durable, éthique et respectueuse de l’homme et de la planète.

Article tiré de la revue INfluencia numéro 33, Dessine-moi un monde nouveau. Pour s’abonnet c’est par ici

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