De la déesse Ishtar à l’actrice Gal Gadot qui incarne Wonder-Woman, pourquoi l’image de la femme guerrière, tueuse, féline, vierge ou délurée, génère-t-elle une excitation sexuelle ? D’où provient le lien imaginaire entre guerre et sexe féminin ? L’icône des comics, créée en 1941 par le psychologue William Moulton Marston, est l’un des avatars les plus récents d’un fantasme millénaire. Décryptage extrait du rapport Golden Club réalisé par la rédaction d’INfluencia et en partenariat avec M6 Publicité.
Ishtar et Wonder Woman, même combat ! Les premiers rois de l’histoire de l’humanité, apparus il y a 5 000 ans à Sumer, dans le sud de l’Irak actuel, se disaient les protégés d’Ishtar, également appelée Inanna, une grande déesse à la fois de l’amour et de la guerre. Garante de la survie du royaume, la déesse désignait au roi les ennemis à abattre et l’accompagnait au combat. Elle menait une guerre sainte contre les forces du mal qui mettaient le peuple en péril. La déesse était associée à la puissance des fauves : on disait qu’elle se battait comme une lionne déchaînée. Les hommes de l’Antiquité savaient observer la nature : ils avaient reporté sur la déesse la combativité de la mère des fauves, prête à toutes les batailles sanguinaires, aux plus violentes morsures et coups de griffes, pour protéger ses petits. Wonder Woman entend-elle aussi se battre pour « défendre le monde ». Telle est sa mission, son devoir sacré. Ishtar et Wonder Woman, même combat !
Et la sexualité dans tout cela ?
Le roi sumérien se disait l’amant de la divinité. D’après des hymnes officiels, rédigés en un style très poétique, il entrait dans sa couche et y « labourait la divine vulve ». Faire l’amour avec Ishtar faisait partie du culte qu’il devait rendre à la déesse au nom de l’ensemble de ses sujets. Ishtar était l’amante du roi, un héros exceptionnel qui lui apportait son concours pour sauver l’humanité. En somme, il jouait un peu le même rôle que Steve Trevor, le pilote américain du film.
La féline : de Sekhmet à Catwoman
En Égypte, la plus redoutable des déesses se nomme Sekhmet. Comme Ishtar, elle présente deux faces : tantôt elle est la terrible lionne tueuse d’ennemis, que même le pharaon n’ose pas regarder dans les yeux, tantôt elle se transforme en adorable chatte appelée Bastet. Catwoman, héroïne de comics, née quelques mois avant Wonder Woman, est le dernier avatar de cette femme féline. Toujours ce lien entre combat et amour : la guerrière est une invitation au plaisir érotique. Le succès de Wonder Woman tient à la réunion de ces ingrédients, repris par Marston. Un succès presque assuré d’avance, tant la figure correspond à un désir profond, associé à une sorte de libido archaïque. La guerrière protectrice et sexy produit toujours une intense émotion.
Athéna, excitante vierge armée !
Entre Ishtar et Wonder Woman, la figure de la combattante s’est aussi incarnée en Grèce, avec une qualité en supplément, et non des moindres : la virginité. La guerrière est une jeune vierge qui n’a jamais connu l’amour physique. Une pure icône féminine sublimée, intouchable. L’excitation est à son comble chez des Grecs qui considèrent alors la virginité comme une valeur suprême. La femme, vue comme un sanctuaire non encore défloré, est une idée qui démultiplie sa puissance érotique. C’est cette émotion sexuelle que traduit le mythe de la rencontre entre Athéna et Héphaïstos. La déesse, à la fois vierge et guerrière, va trouver le dieu dans son atelier pour se faire fabriquer une nouvelle série d’armes. Au moment où elle apparaît près de la forge, le dieu est pris d’excitation. Elle repousse avec dégoût les avances du dieu.
Amazones et fantasmes de marins solitaires
Les Grecs ont aussi imaginé un peuple de guerrières : les Amazones. Dans leur royaume, les femmes combattaient et gouvernaient, tandis que les hommes étaient astreints à toutes les tâches domestiques. Marston s’est directement inspiré de ce mythe : il a repris le nom de Thémiscyra, grande cité des Amazones, et celui de la reine Hippolyté, dont il fait la mère de Wonder Woman. Mais Thémiscyra se trouvait au bord de la mer Noire, au nord de la Turquie actuelle. Marston a préféré situer le pays des guerrières sur une île en s’inspirant d’un autre mythe : celui des femmes de Lemnos, une île de la mer Égée. Les Lemniennes s’étaient révoltées contre leurs époux, de vrais goujats. Dans la foulée, elles avaient massacré tous les mâles de l’île, jeunes et vieux. Du coup, elles s’étaient elles-mêmes contraintes à une abstinence sexuelle forcée. Jusqu’au jour où de beaux marins débarquèrent enfin sur une plage de Lemnos : les Argonautes, sorte de « dream team » de la Grèce antique, réunissant Thésée, Hercule et autres beaux héros virils. Les femmes les entraînent aussitôt dans de longs ébats orgiaques. On peut voir dans cette légende un fantasme de marins condamnés à une longue misère sexuelle : débarquer sur une île entièrement peuplée de femmes jeunes et belles qui s’offrent au premier venu. Le fantasme est une évasion de la réalité : il permet la satisfaction imaginaire de scénarios sexuels souvent difficiles à réaliser. Marston reprend en partie ce schéma. Le marin a juste été remplacé par le pilote d’avion, arrivé en parachute, modernité oblige. Au XXe siècle, l’Amazone a aussi été réactualisée avec succès par le personnage de Lara Croft. La guerrière est adaptée à son temps : experte en arts martiaux, pourvue d’armes à feu et autres gadgets militaires…
Gal Gadot : de Tsahal à Hollywood
L’avantage du cinéma, ou le défaut (tout dépend des goûts), est que la figure fantasmée s’y trouve forcément incarnée par une actrice, pour le meilleur ou pour le pire. Les images laissent moins de place à la rêverie que le conte. L’actrice choisie jette forcément un pont entre réalité et fiction. Angelina Jolie est désormais indissociable de Lara Croft. Dans son cas, l’incarnation du fantasme paraît avoir fait l’unanimité. En sera-t-il de même pour Gal Gadot ? L’actrice a déjà interprété le rôle de Wonder Woman, en 2016, aux côtés d’autres héros justiciers, dans Batman v Superman ; mais, en 2017, elle a droit à son propre film. Pour convaincre le public, la dernière incarnation de Wonder Woman s’appuie sur sa biographie personnelle : miss Israël en 2004, elle est à sa manière une élue ; elle sort du lot par son physique hors du commun. Et puis elle a servi dans l’armée où elle a été, pendant deux ans, entraîneuse sportive. Son expérience militaire l’a préparée à sa carrière hollywoodienne, affirme-t-elle dans une interview. Lors de son service militaire, en 2015-2016, Maria Domark, une jeune beauté israélienne avait déjà réactivé ce fantasme en publiant des photos d’elle en uniforme. Mais elle n’a pas, pour l’instant, été auditionnée par Hollywood. Peut-être ne s’agissait-il que d’une opération de communication de l’armée, visant à se présenter sous un jour « sexy ». Wonder Woman reprend donc de bien anciennes recettes pour essayer de corriger le réel et ses imperfections, au moins en rêve. Les armes et les accessoires de l’imaginaire érotique changent, mais le fantasme, lui, demeure intemporel.
Christian-Georges Schwentzel
Découvrez le Report n°2 sur la « Génération guerrière », en partenariat avec M6 Publicité