11 décembre 2022

Temps de lecture : 8 min

Seconde tendance de l’étude 366/BVA: La marmite bout encore…

Voici la 6ème édition de « Français, Françaises, etc. » réalisée par 366 et BVA avec également UPTOWNS, et KANTAR. L’étude fait notamment appel au big data sémantique avec la base ADAY, un corpus gigantesque de plus de 101 millions d’articles et 30 milliards de mots, soit 10 ans d’articles parus en PQR. Cette étude est réalisée tous les deux ans pour faire le point sur l’état de la France et révèle 10 tendances expliquées, décryptées et illustrées. Deuxième tendance: la marmite bout encore

Le tout premier opus de Françaises, Français, etc. sorti en 2012 s’ouvrait sur un chapitre intitulé « La marmite en ébullition », dressant le portrait d’une France en colère, qui déferlera sur les ronds-points 6 ans plus tard. Force est de constater que cette marmite bout encore.

Crise de la représentation et des affiliations politiques, abstention et plus largement désengagement citoyen, défiance abyssale et perception dégradée du politique… la séquence électorale de 2022 ne nous a pas fait changer d’ère, ni fondamentalement changé le rapport des Français à la politique. Les tendances structurelles demeurent et pourraient s’aggraver sous l’effet de la forte inflation et des tensions grandissantes sur le pouvoir d’achat. « L’histoire ne se répète pas, elle bégaie », disait Marx. Et pourtant… Tous les historiens ont montré comment la crise de 1929, l’inflation galopante et l’appauvrissement des classes populaires et moyennes avaient contribué à l’avènement des sombres années qui suivront. Il ne s’agit bien évidemment pas de dire qu’un phénomène identique est en train de se produire mais de constater que déjà apparaissent les signes d’un retour en force des extrêmes, notamment nationalistes, au sein de l’Union européenne. Ce mouvement atteint un niveau record en Suède, bastion pourtant de la social-démocratie, et en Italie, autour du parti « Frères d’Italie », après la Pologne et la Hongrie.

Sous l’effet de la hausse des prix de l’électricité, du gaz, de l’essence et de l’alimentation, une nouvelle poussée populiste pourrait bien venir tendre et radicaliser le climat politique européen. Tension individuelle et immédiate liée au choc inflationniste, individualisme, difficulté des citoyens à trouver du commun et à se projeter dans un projet collectif : beaucoup d’ingrédients d’un cocktail explosif sont dans le shaker et rendent particulièrement imprévisibles les dynamiques politiques et sociales à venir.

Le grand désengagement

Et si la grande démission était surtout citoyenne? Les indicateurs de notre sondage exclusif sont particulièrement signifiants. Ils disent la montée d’une forme de colère résignée, ou de résignation rageuse, et la tentation grandissante du renoncement à l’engagement. Déçus du système politique, de son éloignement et de son impuissance, les Français s’en retirent progressivement et se replient une fois de plus sur eux-mêmes et leurs sociabilités proches. Seuls 20 % des Français considèrent aujourd’hui que le gouvernement et les responsables politiques se soucient des gens comme « eux » : la distance, et la défiance demeurent abyssales. Plus d’un Français sur deux, 54 %, déclare de « plus en plus » comprendre que les gens se révoltent (graphique 2).

La colère, pourtant, débouche bien moins sur une demande d’action radicale et protestataire que sur une forme de plus en plus massive de retrait et de désengagement de toute activité citoyenne et politique. Une majorité de Français dit ainsi que la situation actuelle leur donne « moins envie » de militer dans un parti (67 % contre 16 % plus d’envie), de participer à une manifestation (55 % contre 30 %), de participer à des débats citoyens et des concertations (52 % contre 34 %) et même de s’engager dans une association (48 % contre 37 %) (graphique 3). Le ressort démocratique se rouille de plus en plus. En colère mais se sentant impuissants, une majorité de Français choisit le retrait, le désengagement.

Même si les élections législatives n’ont pas été, pour la première fois depuis l’instauration du quinquennat, des élections de confirmation offrant une majorité absolue au président élu, contribuant à réinstaller un parlementarisme de fait et une meilleure représentation des différentes forces politiques, elles n’ont pour l’heure aucun effet sur la fracture gouvernants/ gouvernés que connaît le pays. Elles avaient d’ailleurs été marquées elles-mêmes par un renoncement démocratique majoritaire, enregistrant un record d’abstention lors des deux tours sous la Ve République (54 %). Plus grave encore, car signe d’une forme de déculturation de la jeunesse à la vie démocratique, plus de 70 % des moins de 25 ans ne se sont pas rendus aux urnes à cette occasion.

Dans ce tableau général de désengagement et de renoncement demeure une singularité : l’élection présidentielle. Elle a enregistré, elle, plutôt d’honorables taux de participation (74 % au premier tour et 72 % au second), la plaçant dans la fourchette haute des niveaux de participation aux élections dans les démocraties occidentales ne rendant pas le vote obligatoire. Dramatisation, incarnation, sentiment que se joue là l’avenir du pays : l’élection présidentielle reste plus que jamais l’élection fondamentale, fondatrice, pour les Français. Sans doute parce qu’ils demeurent aussi, et quand même, un peuple fondamentalement politique. Le quinquennat ne s’ouvre donc pas dans un nouveau climat, ni dans un changement d’état d’esprit des Français. Et ce d’autant plus que la réélection d’Emmanuel Macron s’est effectuée dans une logique très singulière dans l’histoire de la Ve République.

Une élection présidentielle « fonctionnelle »

L’élection de 2022 s’est en effet jouée sur une forme de recrutement à la fonction bien plus que d’adhésion à un projet politique. Les Français ont joué les DRH, en élisant la personnalité qui leur paraissait la plus apte, la plus compétente, particulièrement en ces temps troublés de crises et de guerre. Dans toutes les enquêtes d’opinion publiées pendant la campagne électorale, Emmanuel Macron devançait de plus de 15 points tous ses rivaux sur l’attribut d’image de présidentiabilité, c’est- à-dire de stature et de capacité à assurer la fonction. En revanche alors que plus de 80 %

des votants du premier tour disent avoir choisi leur candidat par conviction et adhésion, ce n’est le cas que de 50 % de l’électorat macroniste. En résumé, les Français ont réélu Emmanuel Macron bien plus parce qu’il « faisait le job » que pour voir l’âge légal de la retraite repoussé à 65 ans ! Cette logique « fonctionnelle » assez singulière sous la Ve République éclaire et explique en partie l’échec de la majorité présidentielle à obtenir la majorité absolue aux élections législatives. Elle ouvre également la voie à de possibles et importantes contestations lors du quinquennat, qui pourraient en plus trouver une forte caisse de résonance à l’Assemblée nationale grâce à la forte progression des députés d’opposition, du côté du RN et de la Nupes. Toutes les enquêtes d’opinion montrent ainsi que les Français, et encore plus les actifs, sont largement opposés à la réforme des retraites. À l’heure de la remise en cause du travail et de ses conditions, travailler plus longtemps fait figure de repoussoir. La faible adhésion des Français au projet politique du président réélu va indéniablement compliquer la mise en œuvre des réformes au cours du quinquennat.

Une conjoncture économique propice à la contestation

Démocratie fonctionnelle plus qu’élan pour un projet politique, crise des affiliations partisanes, individualisme et volatilité électorale, délitement du collectif, le kaléidoscope français est aussi politique. Il offre un nombre important de combinaisons, de réagencements et de réajustements. À très court terme, des regroupements d’intérêts pourraient se faire contre la baisse du pouvoir d’achat et l’inflation, sur le modèle de l’action des Gilets Jaunes. Même si la France paraît mieux protégée que ses voisins grâce à ses boucliers tarifaires, on voit d’ores et déjà monter la contestation partout en Europe. Au Royaume-Uni émerge un mouvement de désobéissance civile « Don’t pay UK », mené par des activistes anonymes sur les réseaux sociaux et appelant à ne plus payer les factures de gaz et d’électricité, à partir du 1er octobre. Il regroupe déjà plusieurs centaines de milliers de personnes et espère atteindre le million très vite. En Italie, à Naples, des manifestants ont brûlé leurs factures de gaz et d’électricité sur la célèbre Piazza Matteotti dans un geste très médiatisé. En Allemagne, les partis d’extrême gauche et d’extrême droite ont lancé un appel à manifester contre l’inflation galopante tous les lundis à Berlin et Leipzig. À Prague, 70 000 personnes ont manifesté à la mi-septembre contre la hausse du prix de l’énergie. La colère couve, et gronde dans tous les États membres. Dans la dernière enquête Eurobaromètre de l’été 2022, réalisée par la Commission européenne auprès des opinions publiques des 27 États membres, la préoccupation des Européens pour l’inflation et la hausse du coût de la vie écrase toutes les autres et progresse de près de 15 points en six mois (1). L’inflation est une bombe politique pour l’Europe, qui pourrait, pour peu que l’hiver soit rigoureux, créer de larges protestations collectives, fragiliser les gouvernements en place et faire le lit des extrêmes.

Politique fiction

Le politique évolue donc de plus en plus au milieu de sables mouvants. Osons ici une hypothèse : il est peu probable que le macronisme survive à Emmanuel Macron, tant il est moins une doctrine politique qu’une incarnation liée à la singularité de sa personnalité. Les années politiques qui viennent pourraient donc être celle d’un « rewind », d’un retour à un affrontement traditionnel gauche/droite. Dans cette perspective, la droite va être en permanence confrontée à la question de son alliance avec le RN. Sous la pression de victoires de coalition droite/extrême droite en Europe qui pourraient bien servir de modèle à de nombreux acteurs. D’autant plus que la (1) Standard Eurobarometer 97 – Été 2022 – Eurobarometer survey (europa.eu).

grande banalisation du RN est quasi achevée. Alors qu’il avait cahin-caha fonctionné lors de toutes les élections précédentes, et notamment lors des régionales de 2021 en PACA et dans les Hauts-de-France, le Front républicain s’est effondré lors des dernières législatives et le RN a, pour la première fois, percé son plafond de verre. En 2017, En Marche ! avait remporté 93 % des duels qui l’opposaient au RN dans les circonscriptions. Aux législatives de 2022, la coalition présidentielle en a perdu plus de la moitié (53 %). Avec l’élection de près d’une centaine de députés, le RN peut entamer son institutionnalisation (tous les départements affaires publiques des grands groupes se demandent d’ailleurs aujourd’hui comment les « traiter »), et poursuivre sa banalisation.

La gauche, elle, doit élargir sa base sociologique. Les élections de 2022 ont montré que l’alliance entre électorat diplômé des métropoles et électorat des banlieues ne suffisait pas quantitativement : il lui faut partir à la conquête de la France rurale et périurbaine. Au risque de fractures idéologiques en son sein, comme le montre la vive polémique sur les propos de Fabien Roussel disant préférer la France du travail à celle des allocs, une manière de parler à la France périphérique en collant à ses représentations. Il n’y a plus de corpus idéologique de droite ou de gauche auquel on adhère en bloc aujourd’hui. L’individualisation des comportements politiques rend les recompositions idéologiques bien plus complexes. Le retour à une forme de structuration gauche/droite est un scénario post-macroniste possible mais qui pourrait être concurrencé par une autre hypothèse, celle d’une recomposition de l’ordre politique autour du clivage populisme/ partis de gouvernement. L’alliance entre les populismes de gauche et de droite ne se fera pas au niveau des appareils. Il n’est en revanche pas totalement impossible qu’elle puisse se faire au niveau des bases sociales et électorales.

Ce cadre est évidemment majeur pour observer la société et la façon dont les entreprises et les marques peuvent s’inscrire dans le quotidien des Français. Non pas en prenant parti, ce qui ne serait pas leur rôle, mais en décryptant les facteurs de cette ébullition de la marmite sociale. On l’a vu, le pouvoir d’achat, la vie décente, la capacité à se déplacer, se soigner, se chauffer, et par rebond l’aménagement des territoires vécus comme délaissés, tous ces facteurs de colère sont autant de frustrations par rapport à l’impuissance ressentie du politique. C’est là que les entreprises ont un terrain d’intervention, dans le quotidien, le service et l’utilité dont elles peuvent faire preuve.

Leurs circuits de distribution, leurs magasins, leurs agences, leurs repré­sentants de terrain sont autant de vecteurs d’une proximité dont les Français ont désespérément besoin. Les marques peuvent être au soutien, sur le pouvoir d’achat, sur l’activation économique et l’animation des territoires, sur l’empathie dans un monde de crises, comme elles ont montré qu’elles pouvaient le faire au cœur des premiers confinements.

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