6 février 2022

Temps de lecture : 5 min

« Le super moi, c’est d’être père », Jean-Emmanuel de la Saussay (Storymind)

Altice Media Ads & Connect, a confié à Kantar Worldpanel la réalisation d’une étude intitulée Men Shopper. L’homme fait sa révolution ? Un point d’interrogation qui n’en est pas un. Le petit monde de l’achat d’espace publicitaire TV de la grande consommation n’a rien vu venir… Puisqu’il se réfère encore et toujours à la ménagère de moins de 50 ans, en négligeant ces hommes qui désormais représentent 47% des achats FMCG (Fast-Moving Consumer Goods). En ignorant même que l’implication chez les plus jeunes d’entre eux, dans ces courses destinés au « foyer » est d’ores et déjà de 55%… Pour analyser ce phénomène sociétal, INfluencia a interrogé, le sociologue Jean-Emmanuel de la Saussay, un spécialiste qui éclaire l’étude en question, sous l’aune de la pop culture.

Vous l’aurez sans doute constaté en trainassant dans les rayons de vos supers et hypermarchés, chaque fois plus d’hommes, jeunes, et moins jeunes scrutent les étiquettes, balaient d’un regard perçant, les rayons, et remplissent leurs caddies avec méthode, et rigueur.

71% des hommes 15-64 ans qui déclarent s’occuper eux-mêmes du ménage, soit 20 points de plus qu’en 2010.

Non, ces hommes ne suivent pas attentivement une liste de courses qui aurait été rédigée par une épouse, ou une compagne, mais bien leur propre conviction d’acheter ce qu’ils estiment être bon pour eux. Or, au moins 79% des investissements publicitaires ont une cible féminine… Les hommes sont bien sous-exposés à ces messages publicitaires, soit 36% de moins que les femmes.

Les hommes sont bien sous-exposés à ces messages publicitaires, soit 36% de moins que les femmes.

Cette mutation au masculin concerne bien d’autres thématiques telles que les tâches ménagères du quotidien, avec en 2021, au sein du panel Kantar TGI, 71% des hommes 15-64 ans qui déclarent s’occuper eux-mêmes du ménage, soit 20 points de plus qu’en 2010.
Et qu’aux fourneaux, le panel Kantar exprime la même tendance : 76% des hommes interrogés déclarent cuisiner soit 22 points de plus qu’en 2010. La parole à Jean-Emmanuel Cortade de la Saussay (Storymind).

INfluencia : cette étude dit beaucoup de la société actuelle. Pour illustrer l’étude menée par Kantar, vous vous intéressez à ce que vous nommez, l’archipel du masculin. Pourquoi ce terme ?

Jean-Emmanuel de la Saussay. : le premier point est que les hommes ne se définissent plus par tranches d’âge, mais par catégories socioprofessionnelles et qu’ils sont écartelés entre des idées qui les portent et leur application. Par exemple, 88% des 18-65 ans se disent sensibles à la réduction des énergies polluantes, et 70% déclarent ne pas avoir changé grand chose dans leur consommation. 71% disent faire attention à ce qu’ils mangent, tout en étant 75% à craquer pour des plaisirs caloriques industriels. Enfin, 90% disent avoir des relations égalitaires avec leurs compagnes, tandis que 72% aiment se montrer protecteurs…

il n’y a plus ni macho, ni métro, ni bobo, qui sont des connotations toutes négatives aujourd’hui. On est dans du « no credo »…

IN. : de la même manière, vous expliquez que plusieurs masculinités cohabitent…

J-E. de la S. : oui, il n’y a plus ni macho, ni métro, ni bobo, qui sont des connotations toutes négatives aujourd’hui. On est dans du « no credo »… Dans la quête de soi, dans la fidélité à ce que l’on est pour 70% des hommes interrogés. Les termes virils, sexys, fêtards, gagnant bien leur vie, ne sont plus des critères dans lesquels les hommes se reconnaissent.

IN. : l’étude est délivrée aujourd’hui, après deux ans de Covid. Y voyez-vous un lien ?

J-E.de la S. : la covid a certainement éclairé le phénomène, mais cela fait cinq ans que le masculin opère une mutation que tous les acteurs de la société doivent veiller à comprendre et à analyser. En particulier en ce qui nous concerne, à savoir la sphère du marketing.

IN. : pensez-vous que la publicité ne prend pas en compte ces nouveaux hommes ?

J-E.de la S. : les publicitaires le font, il suffit de voir ces spots que j’ai choisi pour illustrer l’étude d’Altice, mais par obligation légale, ils travaillent énormément sur des sujets de niche, tels que l’écologie, le développement durable, la responsabilité, l’inclusivité, la diversité, etc. Chacun s’est engouffré sur ces sujets pour ne pas être taxé ensuite d’être le grand absent de ces renversements sociétaux. Les hommes eux, ont énormément changé sans grand bruit, et on ne le voit guère, notamment en ce qui concerne leur relation aux caddies, aux achats essentiels, à leur besoin de remettre le foyer, ou la maison au centre de leur vie, de leur rapport à la famille.

IN. : vous-vous servez de la pop culture pour cerner ces mutants. Quels changements observez-vous ?

J-E.de la S. : je m’attache aux phénomènes et en la matière, il suffit d’observer une rentrée littéraire, dont les ouvrages se consacrent à raconter les pères, James Bond se recentre sur ses amours, la série En thérapie au succès phénoménal s’intéresse à l’intime… En devenant papa, Julien Doré devient cultissime notamment sur les réseaux sociaux.

IN. : qu’ont compris les hommes que n’auraient pas saisi les femmes ?

J-E.de la S. : il n’y a pas à les opposer, chacun fait sa révolution. Les femmes sont dans une quête d’égalité, depuis 20 ans, elles suivent leur propre révolution, au travail, en termes d’égalité salariale, de parité au sein de l’entreprise, etc. Tandis que les hommes sont entrain de comprendre que leur rôle titre, celui auquel ils prétendaient par le passé, la puissance, la carrière, les promotions, l’argent, sont caduques. Cette croyance en une sphère du travail qui ferait d’eux des êtres « puissants » s’est vidée de son sens, elle a fondu, elle est désinvestie et remise en question à cause du capitalisme sauvage. Or l’homme a besoin d’être rassuré.

En lâchant Superman, l’homme doit se doter d’un nouveau pouvoir, que j’appelle « le super moi ».

IN. : vous dites que l’investissement le plus rassurant pour un homme aujourd’hui, est d’être père… Et par conséquent tout ce qui va avec. Y compris ses achats, ses centres d’intérêt, et que les « régies n’auraient pas vu venir ce phénomène ?

J-E.de la S. : Altice a voulu mettre en exergue une mutation énorme que les acheteurs d’espace publicitaire ne semblent pas prendre en compte. Des questions philosophiques, primordiales. Qu’est-ce qu’être un homme ?

Jules,  Men in progress novembre 2020.

Qu’est-ce que la relation parents-enfants ? Où est la sécurité ? Qu’est-ce que le travail ? Des fondamentaux qu’on a cru longtemps immuables. Altice est allé creuser de ce côté là de manière tangible. L’homme est entrain d’opérer une mue en se recentrant sur ce qu’il peut maîtriser. L’homme n’a plus foi non plus dans le couple. Dès lors, de Superman, il doit se doter d’un nouveau pouvoir, que j’appelle « le super moi ».

Castorama, réveillez le castor qui est en vous juillet 2021

IN. : c’est à dire ?

J-E.de la S. : le super moi c’est d’être père, c’est l’absolue sécurité d’être « quelqu’un » à vie. Existentiellement, égoïstement. D’ailleurs, 77% des pères disent « mes enfants m’aident à avoir confiance en moi ». 80% affirment que faire des choses avec les jeunes leur permet de rester jeunes »… Il y a également l’amitié comme espace de partage de passions, l’intergénérationnel.

Volkswagen, way to zero 2022

Les publicitaires ont bien compris qu’il fallait réinvestir la sphère masculine, et beaucoup de secteurs comme la mode, l’automobile, ou les services, banques, assurances, l’ont compris, mais ceux qui achètent l’espace n’investissent pas les domaines hygiène beauté, alimentation, décoration, électroménager, ils ont négligé cette réalité et continuent de rester rivés à l’indicateur clé du marché publicitaire en termes de GRP : » la « ménagère de moins de 50 ans…

CIC, 2022

IN. : concrètement, ce papa, cet ami, cet homme nouveau investit donc d’autres sphères…

J-E.de la S. : il s’occupe des repas quotidiens, il fait les courses, il s’occupe de sa santé, il s’affirme sur la sphère du shopping, il est responsable de sa famille, de ses enfants. Ce spot Auchan le montre extrêmement bien, cet homme qui surfe sans complexe dans les rayons…

Auchan, les courses plaisir au masculin 2021

 

En résumé

A l’aube de 2022, le rôle de l’homme dans la société et sa représentation dans la pop culture, ont évolué. Mais finalement, sa contribution aux achats du foyer a-t-elle progressé ? L’homme moderne vient-il concurrencer la fameuse ménagère de moins de 50 ans ?

Pour répondre à ces questions, la régie d’Altice Media a fait appel à deux expertises : l’anthropologue et fondateur de Storymind : Jean-Emmanuel Cortade de la Saussay, et l’institut Kantar Worldpanel, expert de la consommation des marchés alimentaires, beauté, fashion…

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